Acte X : les Gilets jaunes restent mobilisés ! (dossier du Monde)

mercredi 23 janvier 2019.
 

1) Les « gilets jaunes » restent mobilisés après le lancement du débat national

Le lancement par Emmanuel Macron d’un « débat national », censé canaliser deux mois de colère sociale, n’a pas permis d’endiguer la contestation des « gilets jaunes ».

Quelque 84 000 « gilets jaunes » ont manifesté dans toute la France, samedi 19 janvier, pour leur dixième journée d’action, soit autant que la semaine précédente. Des chiffres qui sont habituellement critiqués par les « gilets jaunes », qui communiquent eux-mêmes leur comptage via plusieurs pages Facebook.

La ville de Toulouse a connu sa plus forte journée de mobilisation, avec près de 10 000 manifestants dans les rues, se plaçant ainsi comme l’épicentre de la contestation, devant Paris, où 7 000 « gilets jaunes » se sont réunis samedi. Des heurts entre forces de l’ordre et manifestants ont éclaté dans plusieurs villes de France. Côté forces de l’ordre, 80 000 policiers et gendarmes étaient mobilisés, dont 5 000 à Paris.

Défilé « classique » à Paris

Pour la première fois depuis le début du mouvement social, la manifestation parisienne s’est, elle, déroulée sans débordements et avec un parcours pré-établi. La mobilisation était en léger recul, avec 7 000 manifestants, contre 8 000 le 12 janvier, selon le ministère de l’intérieur.

Le cortège est parti de l’esplanade des Invalides vers midi. La manifestation a rallié la place d’Italie, avant de revenir aux Invalides. Un aller-retour de quinze kilomètres le long de la rive gauche, qui abrite de nombreux ministères et lieux de pouvoirs, et avait jusqu’ici échappé aux grands rassemblements.

La traversée s’est effectuée dans le calme, mais une fois le cortège disloqué, les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène et de canon à eau contre les manifestants qui jetaient des bouteilles et des pavés, dans le 7e arrondissement. Un feu tricolore a été descellé et une voiture vandalisée.

Toulouse, nouvel épicentre de la mobilisation

La mobilisation a atteint un record à Toulouse, avec 10 000 manifestants selon la préfecture, loin devant la capitale et Bordeaux. La mobilisation des « gilets jaunes » dans la Ville rose avait déjà battu un record le 12 janvier, avec 6 000 manifestants officiellement recensés.

Le cortège avait débuté dans le calme à 14 heures, derrière des banderoles rejetant le grand débat lancé par l’exécutif et dénonçant des violences policières. Comme au cours de la plupart des samedi de mobilisation, la manifestation a dégénéré avec des heurts entre les forces de l’ordre et des manifestants. Un canon à eau a été utilisé vers 17 h 30 pour repousser les manifestants sur le grand boulevard entourant le centre historique, après que les forces de l’ordre ont à plusieurs reprises fait usage de gaz lacrymogènes sous divers projectiles envoyés des rangs des manifestants.

A Angers, le rassemblement se termine par des violences

La rassemblement des « gilets jaunes » à Angers (environ 2 500 personnes), s’est achevé par des violences après avoir débuté pacifiquement. Quatre personnes ont été interpellées, a précisé la préfecture, qui mentionne une tentative d’incendie contre la Banque de France et des dégradations sur le chantier du tramway. Les manifestants ont aussi incendié des barricades constituées notamment de matériel de chantier.

Le rassemblement était annoncée comme une manifestation régionale (Pays-de-la-Loire). Mais un autre a réuni entre 800 et 900 « gilets jaunes » à Nantes, selon la préfecture de Loire-Atlantique.

Ailleurs en France

Plusieurs rassemblements, de moindre importance mais comptant parfois plusieurs milliers de personnes, ont eu lieu à Marseille, Saint-Etienne, Roanne (Loire), Valence, Clermont-Ferrand, Montélimar (Drôme), Dijon ou Nevers.

A Lille, entre 1 500 et 3 000 personnes ont défilé dans le centre-ville, dans le calme.

A Lyon, des « gilets jaunes », qui manifestaient sur les quais du Rhône, ont été empêchés d’accéder à l’hypercentre par les forces de l’ordre qui ont fait usage de gaz lacrymogènes.

A Dijon, alors que quelque 2 500 « gilets jaunes » ont défilé dans les rues, une cinquantaine d’entre eux a pénétré « dans le périmètre de la prison » pour demander la « libération de leurs camarades » avant de repartir d’eux-mêmes.

A Bordeaux, un bastion du mouvement, quelque 4 000 « gilets jaunes » ont participé à la mobilisation, qui s’est terminée par de violents affrontements et 49 interpellations.

A Nantes, entre 800 et 900 « gilets jaunes » se sont rassemblés, selon la préfecture de Loire-Atlantique.

A Rennes, la situation était plus tendue, avec 2 000 manifestants qui ont parfois affrontés la police.

A Nancy, environ 2 000 « gilets jaunes » ont manifesté. Le rassemblement a été marqué par quelques heurts avec les forces de l’ordre.

A Béziers (Hérault), quelque 2 500 manifestants selon la police, 3 000 selon les organisateurs, ont défilé dans le centre-ville.

A Rouen, le rassemblement d’environ 2 500 personnes avait débuté dès le matin avec une pause pique-nique le midi, avant que le rassemblement dégénère, donnant lieu à quinze interpellations.

A Caen, 1 100 manifestants ont été comptabilisés au plus fort du rassemblement non déclaré au cours duquel quatorze personnes ont été interpellées.

Le débat national s’invite dans les slogans

Les slogans « Macron démission » ou « Tes hauts et débats, on n’en veut pas, Macron dégage » ont donné le ton, affichant le scepticisme général vis-à-vis du grand débat national lancé cette semaine par le chef de l’Etat.

Réticent face à la revendication des « gilets jaunes » qui réclament partout l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), le président a défendu lors de deux déplacements cette semaine en région le grand débat, articulé autour de quatre thèmes : pouvoir d’achat, fiscalité, démocratie et environnement. « Je veux juste plus de démocratie », « Macron, ton compte est bon », « RIC ! » ont répondu les pancartes dans les rues.

Les violences policières dans les esprits

Dans la capitale comme en région, la colère était toujours intacte face à la violence policière, dénoncée ses derniers jours. Depuis le début du mouvement le 17 novembre, plus de 1 800 « gilets jaunes » ont été blessés, selon une source policière samedi soir.

« Stop aux massacres » affichait une pancarte à Dijon ; « Castaner le boucher, France mutilée », a crié la foule à Toulouse, visant le ministre de l’Intérieur qui a défendu, vendredi, l’utilisation par les forces de l’ordre du lanceur de balles de défense controversé LBD. « Bienvenue en lacrymocratie », pouvait-on lire à Tours.

Des dizaines d’interpellations

En fin de journée, Christophe Castaner a salué dans un tweet « l’action des forces de l’ordre à nouveau mobilisées partout en France » et il a condamné « sans réserve des dégradations commises à Rennes, Bordeaux, Toulouse… et des violences à nouveau perpétrées contre des journalistes ».

Plusieurs dizaines de personnes ont été interpellées en France, selon les préfectures : quarante-deux à Paris (dont trente-six gardes à vue selon le parquet), quarante-neuf à Bordeaux, vingt-quatre à Toulouse.

La mobilisation doit se poursuivre dimanche dans plusieurs villes. Des femmes « gilets jaunes » appellent à une manifestation à Paris, inspiré par l’événement pacifique qu’elles avaient déjà organisé le 6 janvier.

Source : https://www.lemonde.fr/societe/arti...

Mobilisation record à Toulouse avec 10 000 manifestants

Comme la plupart des derniers samedis de mobilisation, la manifestation, qui a rassemblé plus de « gilets jaunes » qu’à Paris, a dégénéré avec des heurts.

« C’est bien que “Fly Rider” soit là, il va amener du monde », espère un « gilet jaune », samedi 19 janvier, vers 14 heures. Comme il l’avait annoncé sur les réseaux sociaux, Maxime Nicolle, figure du mouvement et du collectif La France en colère, était bien à Toulouse pour la dixième journée de mobilisation.

« Je suis ici, car c’est le souhait de plein de personnes, explique celui qui est surnommé « Fly Rider ». Comme il n’y a ni chef, ni leader dans ce mouvement, je me déplace à droite, à gauche, pour voir si les gens sont motivés et connaître leurs revendications. » Attendu par des manifestants, le Breton de 31 ans, administrateur de la page Facebook de Fly Rider infos blocage, qui enregistre plus de 166 000 abonnés, a pris la tête du cortège toulousain.

Près de 10 000 personnes ont manifesté dans ce cortège hétéroclite, composé de jeunes, d’étudiants, de retraités, de salariés et de précaires. Il s’agit d’un record de mobilisation depuis le début du mouvement toulousain, qui constitue, désormais, l’épicentre de la contestation des « gilets jaunes », dépassant le nombre de manifestants parisiens, qui s’élevait à 7 000 samedi, selon le ministère de l’intérieur. En début d’après-midi, peu après son départ boulevard de Strasbourg, le cortège a été rejoint par une poignée de militants syndicaux de la CGT, de FO et de la FSU.

« Le grand débat, c’est du pipeau »

Déambulant dans le centre-ville, les manifestants de ce rassemblement non déclaré en préfecture ont scandé des « Toulouse, soulève-toi », quand d’autres ont entonné La Marseillaise. Devant les forces de l’ordre, un homme dénonçant les violences policières, exhibe des photos de victimes blessées au visage lors des précédentes manifestations.

Dans le cortège, les « gilets jaunes » réclament notamment l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) et le rétablissement du l’ISF. Aux revendications initiales contre la hausse du prix du carburant et du pouvoir d’achat, s’ajoute également une vive protestation contre le « grand débat national », voulu par Emmanuel Macron, et lancé cette semaine.

« Le grand débat, c’est du pipeau, explique un retraité de 62 ans qui participe au mouvement depuis le 17 novembre. On a fait des doléances, mais on n’est pas écoutés ». Pour « Fly Rider », ce débat national, « c’est de l’enfumage » :

« On veut aussi que les privilèges d’Etat, rentes, salaires, anciennes retraites diminuent. »

Cette colère se porte aussi sur l’exécutif. « Il faut tout changer, la République et sa Constitution », tonne un jeune chômeur. « Il faut aller plus loin. Cette France à deux vitesses, qui oppose les riches aux pauvres, doit cesser », ajoute une fonctionnaire d’une cinquantaine d’années.

Canon à eau

A 16 h 30, le monument aux morts disparaît sous un épais nuage de lacrymogène. Bruits sourds, cris, explosions. En fin d’après-midi, des échauffourées se poursuivaient, sans comparaison toutefois avec les violences des semaines précédentes.

Un canon à eau a été déployé vers 17 h 30 pour repousser les manifestants sur le grand boulevard entourant le centre historique, après que les forces de l’ordre ont à plusieurs reprises fait usage de gaz lacrymogène répondant au jet de divers projectiles, envoyés depuis les rangs des manifestants.

Sur la place centrale du Capitole, la façade de la mairie – un bâtiment historique du XVIIe siècle – a été taguée, avec notamment le message « Macron Bolsonaro, Non », assimilant le président français à son homologue brésilien d’extrême droite, Jair Bolsonaro. Plusieurs vitrines bancaires ont également été attaquées.

A 18 heures, le bilan de cette nouvelle journée de mobilisation faisait état de 24 interpellations. Depuis le début du mouvement, 350 personnes ont été interpellées et 34 incarcérées. Dimanche, à partir de 11 heures, le mouvement des femmes « gilets jaunes » manifestera dans la ville...

Audrey Sommazi

Source : https://www.lemonde.fr/societe/arti...

A Paris, un « acte X » des « gilets jaunes » aux allures de cortège syndical

Loin des attroupements anarchiques des débuts, le défilé de samedi était encadré par des véhicules de police et structuré de manière classique avec un cordon de tête, un parcours préétabli et un service d’ordre.

« C’est trop calme », regrette presque Christophe, 48 ans, venu depuis Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), pour participer à la manifestation hebdomadaire des « gilets jaunes », samedi 19 janvier, à Paris. Et pour cause, cet « acte X » a davantage ressemblé à un défilé syndical traditionnel qu’aux attroupements anarchiques des débuts.

Encadré à l’avant et à l’arrière par des véhicules de police, le cortège était structuré de manière classique avec un cordon de tête, un parcours préétabli et un service d’ordre. A l’avant, une voiture au coffre ouvert diffuse Hexagone de Renaud. Ne manquaient que les drapeaux syndicaux et un peu de soleil pour que la ressemblance avec un 1er -Mai soit flagrante. Les syndicats, justement : à l’angle du boulevard Raspail, un grand gaillard bloque l’accès au cortège à un petit groupe de manifestants estampillés CGT. « Rangez vos drapeaux si vous voulez venir avec nous », leur intime-t-il. « La CGT vous avez rien fait depuis quarante ans et en plus vous avez appelé à voter Macron », lance un autre.

La longueur du parcours, qui avait fait l’objet d’une demande d’autorisation en préfecture, et l’allure du cortège avaient aussi de quoi dérouter les habitués des traditionnelles marches syndicales : de l’esplanade des Invalides à la place d’Italie puis retour au point de départ, soit près de quinze kilomètres parcourus en trois heures et demie. Le froid n’a pas découragé les manifestants, à peu près aussi nombreux que la semaine précédente : ils étaient 7 000, selon le ministère de l’intérieur.

Autre différence notable avec une manifestation classique, l’absence de slogan unifié, chacun chantant ou criant ce qu’il lui plaît, avec parfois, de longues plages de silence : Emmanuel Macron et, dans une moindre mesure, Christophe Castaner, le ministre de l’intérieur, sont les principaux visés ; mais aussi Alexandre Benalla, à qui l’on reproche d’être en liberté alors que des « gilets jaunes » sont en prison, ainsi que Brigitte Macron, devenue aux yeux de nombreux manifestants une Marie-Antoinette de film X…

Les panneaux, souvent écrits à la main, reprenaient les principales revendications du mouvement : hausse du pouvoir d’achat et baisse des taxes, instauration du « RIC » (référendum d’initiative citoyenne) sans limite, moralisation du train de vie des élus.

Nombre de « gilets jaunes » arboraient des pancartes en hommage à la douzaine de « martyrs » du mouvement et aux 1 800 blessés – selon une source policière citée par l’AFP – par des tirs de « lanceurs de balles de défense » (LBD) ou de grenades lacrymogènes et de désencerclement. Des bougies ont été allumées et une minute de silence, sur fond de sonnerie aux morts, a été respectée en l’honneur des morts et des blessés...

Un jeune homme, qui refuse de dire son prénom, fustige sur une pancarte « les médias » qui font de la « propagande d’Etat ». Lesquels ? « Tous. » Même ceux qui appartiennent à des fortunes privées ? « Mais c’est l’Etat qui est aux mains de la finance mondiale, des lobbies et des francs-maçons. » Autant de forces qui voudraient, selon lui, « détruire l’identité ethnoculturelle des peuples ».

Méfiance envers les médias

Le matin, place de la République, un rassemblement contre les violences visant les journalistes, à l’initiative de Reporters sans frontières (RSF), avait regroupé… une trentaine de personnes et autant de photographes. « C’est une petite action symbolique pour défendre une liberté, celle d’informer, qui est entravée tant par les violences policières que par celles de manifestants, explique Christophe Deloire, président de RSF. Personne n’a intérêt à ce que les manifestations ne soient plus couvertes. »

Un petit groupe de « gilets jaunes » du quartier de Belleville débarque et engage le dialogue, qui tourne à la cacophonie. « Votre liberté est inféodée à votre patron », déplore une « gilet jaune ». « Pas du tout, je suis libre d’écrire ce que je veux, répond une journaliste des Echos. De toute façon, je ne suis pas là pour mettre mes opinions dans mes articles. » « Les Echos ! C’est le journal qu’il faut lire pour savoir à quelle sauce on va être mangés. Je l’achèterai quand vous ferez en sorte que mon pouvoir d’achat s’améliore », réplique un troisième.

Pascale Justice, présidente de la société des journalistes de France 3, déploie des trésors de patience : « Je comprends votre colère et vos critiques, mais on ne peut pas accepter la violence. » « Le service public travaille pour Macron et non pas pour le peuple », lui répond-on.

Dans la manifestation de l’après-midi, les chaînes de télévision sont systématiquement accompagnées de gardes du corps. La méfiance envers les médias traditionnels est palpable. Sur un panonceau, un manifestant fait l’apologie de RT, la chaîne russe pro-Kremlin, au détriment des chaînes d’info en continu françaises, qui sont vilipendées. Un autre s’enquiert de savoir si Le Monde diffuse des « fake news » : « Quand on dit A, vous écrivez B de toute façon ». Beaucoup de manifestants s’improvisent reporter, smartphone en main, racontant ce qu’ils voient et diffusant le tout en direct.

Des colères diverses

Tout comme l’ensemble du mouvement, la manifestation agrège des colères si diverses qu’il est difficile de les résumer.

Des « infirmières en colères », venues en blouses blanches, espèrent bénéficier de « la convergence des luttes ». « Nous, ça fait plusieurs années qu’on proteste mais on n’a jamais été médiatisées », regrette Sylvie, 47 ans, qui travaille à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. Sa collègue Cathy, 44 ans, de l’hôpital Beaujon à Clichy, renchérit : « On se reconnaît dans ce mouvement. Il faut davantage de moyens pour le service public, plutôt que de redistribuer l’argent aux actionnaires ou aux gens riches en supprimant l’ISF [l’impôt de solidarité sur la fortune]. » D’autres veulent « moins de taxes », moins d’Etat.

Le grand débat voulu par le gouvernement ne trouve grâce aux yeux de personne. « Macron parle aux maires, mais il vient pas nous parler à nous, alors que c’est quand même nous qui avons provoqué tout ça. Il nous méprise », juge Sylviane, 63 ans, qui travaille dans le logement social dans les Yvelines.

« Ce grand débat, ils l’organisent parce qu’ils ont peur, pour se justifier », assure Farid, 47 ans. L’homme, qui vit à Argenteuil et travaille dans la maintenance, ne cache pas sa fierté d’être là : « Je suis venu pour participer à quelque chose d’extraordinaire, à l’émergence de quelque chose. On prend enfin en compte le collectif. On n’a pas besoin d’eux pour organiser le débat. On s’était laissé prendre la parole, mais là, on a repris la main nous-mêmes ! »...

Outre le service d’ordre, reconnaissable à son brassard blanc, des équipes de « street medic » accompagnent le cortège. Muni d’un nécessaire de soins avec compresses, bandages et collyre, Yann, un informaticien de 53 ans, croix rouge sur le bras, estime qu’il sert mieux le mouvement ainsi.

Au moment de la dispersion, à 17 heures, une bonne partie des manifestants ayant peur d’être « nassée » sur l’esplanade des Invalides a reflué vers le boulevard du Montparnasse, malgré les assurances données au mégaphone par l’un des organisateurs. Pour la première fois depuis deux mois et demi à Paris, la manifestation des « gilets jaunes » s’est achevée dans le calme et sans heurts.

Christophe Ayad et Nicolas Chapuis

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A Angers, la ville secouée par l’afflux de « gilets jaunes » bretons et vendéens

Anticipant un déferlement de manifestants, les banques avaient calfeutré leurs façades et le maire lancé un appel pour inviter ses concitoyens à ne pas fréquenter le centre-ville.

Habitués à des manifestations tranquilles, les Angevins appréhendaient cet « acte X » depuis l’appel au rassemblement lancé en début de semaine par les « gilets jaunes » locaux à leurs cousins des Pays de la Loire, de Bretagne et du Centre. Dès vendredi 18 janvier au soir, les banques avaient calfeutré leurs façades, le préfet pris un arrêté martial et le maire lancé un appel pour inviter ses concitoyens à ne pas fréquenter le centre-ville ce samedi.

De fait, la journée a été nettement plus mouvementée que les précédentes. C’est même la première fois que les forces de l’ordre, rapidement débordées, ont été obligées de faire usage de grenades lacrymogènes et assourdissantes sur la place du Ralliement — la bien nommée, en plein cœur de la ville — qui devait pourtant rester imprenable, selon les ordres donnés par le représentant de l’Etat. Sur les boulevards, le chantier du tramway a lui aussi subi les assauts de cette foule inédite (environ 2 500 manifestants, cinq fois plus que le samedi précédent).

Barrières arrachées pour dresser des barricades, feux tricolores jetés au sol, pavés descellés pour servir de projectiles… Avec la tombée de la nuit, les affrontements se sont durcis aux abords de l’hôtel de ville, lui aussi visé par une cinquantaine de casseurs, sous le regard interdit d’une majorité silencieuse mais bien présente. Protégés par les gendarmes mobiles, les pompiers ont même dû s’employer à éteindre plusieurs incendies allumés par les plus virulents des « gilets jaunes ». Un peu plus loin, la Banque de France — symbole honni — a elle aussi été visée par des dégradations.

« Même moi je serai le premier à lancer des pavés »

Deux heures plus tôt, dans le cortège encore pacifique, le cégétiste Didier Testud prophétisait : « Ça ne va pas s’arrêter comme ça. » La section locale du syndicat appelle depuis le 17 novembre à soutenir les « gilets jaunes », contre l’avis des responsables départementaux et nationaux. « Il faut que ça bouge dans les entreprises maintenant, le mouvement est orphelin de ça. Il faut la grève générale, quoi ! »

Eric, un « gilet jaune » plutôt modéré confirme : « Si ça n’a pas bougé dans deux mois, là, ça va vraiment devenir violent. Même moi, je serai le premier à lancer des pavés. » Une petite dame est arrêtée devant le Monoprix, rideau baissé. Elle remarque à peine la cohue autour d’elle. « Je ne peux même pas faire mes courses. Mais comment je vais manger ce soir, moi ? », souffle-t-elle.

C’est l’un des paradoxes de cette journée de lutte. Malgré les appels à la prudence, celui des soldes a été plus fort encore. Les commerces, éreintés par des mois de novembre et décembre catastrophiques, sont restés ouverts dans leur très grande majorité. Et les clients, parfois un peu perdus au milieu des manifestants casqués et munis de masques et de lunettes, ont répondu présent. Comme s’ils ne croyaient pas vraiment que leur ville puisse être le théâtre de débordements comme à Rennes ou Nantes, plus habitués à ces scènes de guérilla urbaine.

Christophe Béchu, maire (DVD) d’Angers, n’a, lui, pas tardé à faire part de son « écœurement » et de sa « colère », estimant « qu’en restant présents aux côtés des casseurs, et donc en se montrant publiquement solidaires d’eux, les “gilets jaunes” se sont discrédités ».

Depuis la préfecture, le député La République en marche (LRM) Matthieu Orphelin, qui recevait le matin même une délégation de « gilets jaunes » dans sa permanence, a décidé de suspendre le dialogue disant sa « honte » et sa « rage » de voir de « tels affronts aux valeurs de notre République ».

Il a fallu attendre le début de soirée pour que le calme revienne sur la ville. A l’heure du bilan, ces affrontements ont fait sept blessés sans gravité, dont quatre parmi les forces de l’ordre. Ces dernières ont procédé à quatre interpellations.

Yves Tréca-Durand (Angers, correspondant)

Source : https://www.lemonde.fr/societe/arti...

Une partie du mouvement s’accroche, l’autre raccroche

Après l’évacuation de nombreux ronds-points, de nouvelles stratégies sont élaborées par les protestataires pour continuer à mobiliser.

A la veille de l’acte X des « gilets jaunes », samedi 19 janvier, le mouvement est désormais moins visible lorsque l’on arpente les routes de France et rassemble moins de monde qu’à ses débuts. Mais, alors que beaucoup prédisaient qu’il ne passerait pas les fêtes de Noël – période au cours de laquelle il a effectivement marqué le pas –, il a repris, début janvier, sous une forme différente, souvent loin des ronds-points, dont les manifestants ont été délogés.

Le 17 novembre 2018, première journée de manifestation nationale, les « gilets jaunes » étaient plus de 280 000 à travers la France. La semaine suivante, ils bloquaient routes et péages. Pour résister au froid, les premiers braseros sont apparus, puis, début décembre, de vrais campements se sont installés sur nombre de ronds-points, devenus des agoras à ciel ouvert et le cœur battant du mouvement. Devenus trop impopulaires, les blocages ont été abandonnés.

Les annonces du président de la République, le 10 décembre, ont marqué une nouvelle étape. Certains ont alors quitté le mouvement, satisfaits par les mesures. De leur côté, les préfets ont durci le ton, prenant des arrêtés pour interdire rassemblements et manifestations, délogeant les « gilets jaunes » et détruisant les campements de fortune.

Deux temps forts par semaine

Ces contraintes ont poussé les manifestants à s’organiser autrement. Les plus déterminés tentent encore d’occuper « leurs » ronds-points, qu’ils considèrent comme la place forte de leur lutte, même s’ils en sont régulièrement chassés par les forces de l’ordre. Les cas de figure varient toutefois d’une ville à l’autre, selon les relations que les manifestants ont réussi à tisser, ou non, avec leur maire. Certains ont eu l’autorisation de s’installer sur un bout de terrain à côté du carrefour giratoire qu’ils occupaient. D’autres n’ont rien obtenu, ce qui a parfois porté un coup sévère à leur mobilisation. Ainsi, à Bernay, dans l’Eure, aucun des trois « noyaux » de rassemblement n’a tenu. Des manifestantes qui avaient sympathisé autour de leur rond-point tentent malgré tout de maintenir le lien en se retrouvant « de maison en maison », comme l’explique Muriel, retraitée de 63 ans.

Pour beaucoup de « gilets jaunes », la semaine se résume dorénavant à deux temps forts. D’abord, une réunion hebdomadaire organisée par leur groupe local dans des salles prêtées par les mairies. L’objectif est de débattre, d’organiser des actions et de se structurer. Certains tentent notamment de mettre sur pied un « cadre de réflexion et d’organisation » au niveau national. Des délégations venant de toute la France sont ainsi attendues à Commercy (Meuse), les 26 et 27 janvier.

Le second temps fort a lieu le samedi, lors des manifestations. Depuis que la mobilisation ne se fait plus aux ronds-points de Bernay (Eure), Muriel a ainsi été manifester pour la première fois à Evreux, la grande ville près de chez elle, début janvier. Pour faire masse et contrer l’idée d’un essoufflement du mouvement, les « gilets jaunes » appliquent désormais une nouvelle stratégie : ils se coordonnent avec d’autres départements afin de converger tous ensemble vers une grande ville, Paris, Rouen ou Bordeaux…

Désaccords sur les revendications

Depuis le début du mouvement, de nombreux manifestants ont raccroché leur gilet jaune. Si l’acte IX a connu un regain, ils n’étaient cependant plus que 84 000, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, contestés par les « gilets jaunes ». Les raisons de cet essoufflement peuvent être multiples : l’usure, les désaccords sur les revendications, la désapprobation devant les violences commises par des « gilets jaunes », la peur face à la répression des forces de l’ordre, l’impression que se mobiliser ne sert plus à rien, la satisfaction après les annonces gouvernementales, mais aussi le travail et les impératifs de la vie quotidienne.

Des guerres d’ego ou de chefs ont aussi contribué à la démobilisation. Elles ont éclos au sein des microsociétés qui s’étaient formées sur les ronds-points, poussant certains à quitter la « famille » qu’ils disaient s’être trouvée. Delphine, mobilisée près de Sens (Yonne) et devenue une référente au sein de son groupe de « gilets jaunes », est ainsi rentrée chez elle, agacée par l’attitude jugée autoritaire d’un autre membre. Cette mère au foyer ne participe plus qu’aux manifestations du samedi. La bande soudée à laquelle elle appartenait et qui tenait le « rond-point des Gaulois », où elle était postée, s’est délitée. Ne restent plus que cinq ou six personnes, qui ont fini par se fondre dans le paysage.

Les klaxons des voitures affichant leur solidarité se sont aussi fait plus rares. Ceux qui restent engagés dans le mouvement, aux opinions et profils encore divers, mais dont certains sont des sympathisants du Rassemblement national (ex-FN) ou de La France insoumise, jurent toutefois qu’ils ne « lâcheront rien », comme ils le clament régulièrement.

Reste à savoir si le grand débat, proposé par le gouvernement, permettra de sortir définitivement de la crise. Certains affichent leur scepticisme. D’autres sont tentés d’y croire et ont décidé de se prêter à l’exercice. Ainsi, des dizaines de « gilets jaunes » étaient présents dans les premières réunions, lancées depuis mardi. « On n’a aucune visibilité sur la manière dont vont être traitées les contributions, mais on y participera, explique Florian, 28 ans, intermittent du spectacle, mobilisé à Vernon (Eure). On nous ouvre une voie démocratique, il faut la prendre. Personne ne l’a fait depuis longtemps. »

Aline Leclerc et Faustine Vincent

Source : https://www.lemonde.fr/societe/arti...


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