Face aux gilets jaunes : Même en temps de crise, Macron exonère l’entreprise

samedi 5 janvier 2019.
 

En renonçant à faire participer les entreprises au financement des mesures de soutien au pouvoir d’achat, le gouvernement et le président de la République confirment leur priorité : subventionner les entreprises et casser le service public.

Qui va payer ? En mettant sur la table 10 milliards d’euros pour obtenir l’ordre et pouvoir poursuivre les « réformes structurelles », notamment celles des retraites et de l’assurance-chômage, le gouvernement avait le choix : augmenter le déficit ou réduire les transferts aux entreprises. Il a choisi clairement la première voie. Et ce, de manière fort cohérente. Car, comme le faisait remarquer Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, « il n’y a pas de changement de cap ». Le cap, c’est bien celui de la politique de l’offre, des réformes de structure, et de l’obsession de la compétitivité. Édouard Philippe, le premier ministre, l’a confirmé devant l’Assemblée nationale : les mesures portées par le président de la République ne freineront pas la « volonté de transformation » du pays. La réforme néolibérale reste à l’ordre du jour.

Dès le moment des annonces, pourtant très floues, du président de la République, la messe semblait être dite de ce point de vue : les « réformes structurelles » étaient réaffirmées avec force et chacune des mesures de soutien au pouvoir d’achat s’annonçait à coût neutre pour les entreprises. Ainsi l’exécutif a-t-il inventé une « hausse de salaire » (comme il l’appelle) « sans surcoût pour l’employeur ». Les 100 euros offerts aux bénéficiaires du Smic seront financés non pas par ceux qui emploient ces personnes, mais par l’État, par la collectivité nationale.

Parallèlement, les heures supplémentaires, donc la richesse supplémentaire produite pour les entreprises, ne rapporteront aucun impôt, n’engrangeront aucune cotisation. Le budget de l’État est donc ici clairement utilisé pour protéger les entreprises encore plus que les salariés, car il protège les premières des demandes d’augmentation de salaires émanant des seconds.

Quelques mesures peuvent, certes, coûter aux entreprises : cette fameuse « prime exceptionnelle » ou encore la baisse des agios facturés par les banques. Mais tout ceci est sous la forme du volontariat. Seules les entreprises qui le veulent ou le peuvent participeront donc à cet effort. C’est une forme de charité, encouragée là encore par des avantages fiscaux. « On espère que les grandes entreprises joueront le jeu », souligne un ministre.

Bref, pour les entreprises, la solidarité nationale est facultative et volontaire. C’est la conséquence de cette vision gouvernementale affirmée il y a 18 mois, lorsque Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, avait souhaité « faire confiance sans conditions » aux entreprises, dans la foulée des mesures de défiscalisation du capital en 2017, et lorsqu’avec Édouard Philippe, il tentait de séduire les acteurs de la finance londonienne.

Certes, il y a bien cette volonté affichée de « faire payer aux chefs d’entreprise et aux entreprises leurs impôts en France », mais c’est là un étrange argument. Pourquoi n’est-ce pas le cas aujourd’hui ? Doit-on considérer que payer ce que l’on doit est un acte de bravoure ou de solidarité exceptionnelle ? Si ce qui est visé, ce sont les mécanismes légaux d’optimisation fiscale, quels seront les outils utilisés pour le faire ? Et alors pourquoi avoir réduit l’exit tax et avoir fait voter cette réduction le 10 décembre ? Est-il possible de les mettre en œuvre sans accord européen, alors que la France vient de subir une cuisante défaite sur sa taxe numérique ? Tout cela, faute d’éléments concrets convaincants, ressemble fort à un simple affichage creux, sans traduction sonnante et trébuchante.

Dès lors, la seule option raisonnable pour financer la hausse du pouvoir d’achat tombait. Car, en réalité, l’équation budgétaire n’était pas si complexe que ce que l’exécutif prétend. Le budget 2019 était plombé par une dépense exceptionnelle de 18,8 milliards d’euros, soit 0,9 point de PIB, liée à une décision étrange : celle de faire commencer la transformation du CICE en baisse de cotisations l’année même où l’État devait payer la dernière année de ce crédit d’impôt. Hors effet de cette « double année » du CICE, le déficit public français était de 1,9 %. Hors CICE, il passait à 0,9 % !

Rappelons rapidement que ni le CICE, ni les baisses de cotisations n’ont fait la preuve formelle et indiscutable de leur effet positif sur la croissance, la compétitivité et l’emploi. Mais le gouvernement avait décidé de la pérennisation du dispositif, comme il avait décidé de creuser le déficit pour financer ce transfert inédit vers les entreprises.

Fait significatif : ce formidable cadeau aux entreprises ne permettait pas d’accélérer la croissance dans le bouclage macroéconomique de la loi de finances. Coûteux et inutile, ce dispositif offrait une marge de manœuvre budgétaire formidable pour le gouvernement. En décidant de reporter la baisse de cotisations au 1er janvier 2020 (n’envisageons même pas la prise en compte de l’échec pur et simple de cette stratégie), il ne pénalisait pas la trésorerie des entreprises (par rapport à 2018) et libérait des moyens considérables.

Sans même reprendre l’idée des socialistes de tout redonner au pouvoir d’achat, il faut souligner qu’à niveau de croissance équivalent, la suppression de ce doublon permettait de financer les annonces du 10 décembre avec un déficit proche de 2,4-2,5 % du PIB. Non seulement le déficit serait resté sous les 3 %, mais il aurait reculé par rapport au niveau prévu en 2018 (2,6 %).

Or, cette option a été absolument exclue par Édouard Philippe devant l’Assemblée nationale, ce mardi 11 décembre, au nom de la « compétitivité des entreprises » et de la « baisse du coût du travail ». Parallèlement, devant le Sénat, le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a indiqué que le déficit public en 2019 devrait se situer à 3,4 % du PIB et a confirmé que le coût de 0,9 point de PIB de la « double année du CICE » ne serait donc pas modifiée. Le résultat de ce choix est alors clair : les ménages vont payer eux-mêmes leurs cadeaux fiscaux. Ils vont financer la hausse de la prime d’activité et la défiscalisation des heures supplémentaires, qui ne concernent que 40 % des actifs.

Le financement des annonces du président de la République se fera donc par deux biais principaux : le déficit, et donc la dette publique, et les coupes dans les dépenses publiques. Compte tenu des engagements que Paris devra prendre devant Bruxelles pour revenir rapidement dans les clous du pacte de stabilité et de croissance, ces deux mesures n’en font du reste qu’une : on justifiera bientôt de nouvelles coupes dans les services publics au nom de la dette. D’autant que d’autres engagements ont été pris, très coûteux, comme la suppression complète de la taxe d’habitation. Mais le coût de cette dette aurait pu être réduit et cette dette elle-même aurait pu être davantage remboursée, si elle avait été contractée pour financer des dépenses d’intérêt général, plutôt que des défiscalisations massives et stériles des entreprises.

Édouard Philippe a cependant entonné à nouveau devant les députés la petite musique de la dette insoutenable. Cette musique vise uniquement à justifier des mesures sévères de baisses de dépenses, alors même que la dette s’accroît d’abord en raison des subventions et exemptions accordées au secteur marchand privé. Les « cadeaux » du 10 décembre seront donc financés par des « économies » sur la dépense publique. Dans le chiffre de 3,4 % de déficit, il y a, selon Les Échos du 11 décembre, une réduction de « 3 à 4 milliards d’euros » de la dépense publique. Édouard Philippe a ainsi annoncé qu’il sera « attentif à ne pas augmenter ou accélérer » la dépense publique. Et d’ajouter qu’il faudra « faire mieux et moins cher ». Cela montre bien où se portera l’effort présent et futur. Le rapport CAP 2022 est à la disposition du gouvernement pour tracer la voie d’une destruction du modèle français de service public. Car, inévitablement, le désendettement s’accompagnera de nouvelles privatisations, qui profiteront à ceux qui ont déjà encaissé CICE et baisses de cotisations.

En faisant mine de protéger le pouvoir d’achat, le gouvernement suit donc sa priorité, qui, loin d’être le désendettement de la France, est avant tout le soutien inconditionnel au secteur marchand privé. C’est là sa priorité et son cap. Et tout est bon pour y parvenir, y compris en provoquant une révolte où l’on a pu réclamer plus de services publics. Le cap, décidément, est bel et bien affirmé.

Romaric Godin


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