La Justice face à la protection de la vie privée

mardi 27 novembre 2018.
 

(article du Canard enchaîné)

Publié le 16 novembre 2018 par werdna01

Le Canard enchaîné – 07/11/2018 – Hervé Liffran et Dominique Simonet

Quasiment en secret, elle à donné à la PJ le droit de ‘réquisitionner » des documents sans l’aval d’un magistrat. Et la chancellerie veut aller encore plus loin…

Des policiers autorisés à picorer dans la vie privée de leurs concitoyens sans avoir à demander la permission à un magistrat ? Personne ou presque n’est au parfum, pas même les avocats, mais ce scénario cauchemardesque est déjà une réalité. Et il risque fort de se généraliser d’ici la fin de l’année.

Depuis 2014 – plusieurs documents exhumés par Le Canard le prouvent, la police judiciaire a discrètement reçu le droit de procéder à des « réquisitions » (la remise de documents publics ou privés) sans avoir à solliciter l’autorisation préalable d’un procureur. Le projet de loi de programmation sur la justice, qui sera débattu bientôt à l’Assemblée nationale va encore plus loin.

Tampon magique

Au prétexte de « simplifier » le boulot des forces de l’ordre, et de les décharger d’une encombrante paperasserie, l’article 30 leur donne le droit de procéder librement à des réquisitions sur la vie privée des justiciables au près d’organismes publics de type Urssaf, allocations familiales ou Pôle emploi. Pour se justifier, il suffira aux agents de déclarer qu’ils travaillent sur une « enquête préliminaire » du parquet.

La garde de Sceaux, Nicole Belloubet, a ardemment défendu cette disposition octobre devant le sénat. Elle s’est inspirée des eux précédents. Dès 2014, le procureur de Paris, François Molins avait pris l’initiative de délivrer, en catimini, une « autorisation permanente » permettant aux policiers de consulter quasiment sans contrainte les enregistrements de caméras de surveillance placées par « Les banques, la RATP, la SNCF, les mairies des communes de petite couronne et les réseaux privés de vidéoprotection exploitées dans les commerces et les établissements publics« .

Du coup, il suffisait à la PJ de rédiger elle-même les fiches de réquisition ? Puis d’y donner un coup de tampon portant la mention « Sur autorisation du procureur de la République« , et le tour était joué… Ironie du sort : aujourd’hui,, le procureur Molins quitte son poste pour devenir procureur général de la Cour de cassation, le plus haut poste du parquet, où il sera chargé de veiller au respect de la justice de la « volonté du législateur« . Un expert !

Forte du précédent de 2014, la Chancellerie avait rédigé, le 8 septembre 2016, une circulaire ouvrant plus grandes encore les vannes. Passé, lui aussi, totalement inaperçu ce texte a « simplifié » à tout-va, laissant aux procureur le pouvoir de délivrer aux policiers et aux gendarmes ces « autorisations permanentes » de réquisitions.

Curiosité débridée

Les possibilités presque infinies d’application de cette circulaire laissent rêveur. Avec elle, la PJ peut, par exemple, farfouiller librement dans les images de vidéosurveillance privées, se procurer les numéros de téléphone de tel ou tel citoyen, le détail de sa facture EDF ou de ses mouvements bancaires. Même traitement pour la liste du personnel d’une société, le nom des voyageurs sur une liaison aérienne ou l’identité des clients d’un site Internet.

Soucieuse de justifier cette entorse aux principes judiciaires, la Chancellerie s’était appuyée sur les plaintes des policiers qui râlaient contre « le temps consacré à l’accomplissement des diligences formelles ou d’exercice des droits (sic !) ». Un souhait exaucé dans le respect le plus parfait, bien sûr, de l’autorité de la justice et de la liberté des citoyens.

Annexe

Article 60-1

Modifié par LOI n°2016-731 du 3 juin 2016 - art. 58

Le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l’enquête, y compris celles issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, la remise des informations ne peut intervenir qu’avec leur accord.

A l’exception des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, le fait de s’abstenir de répondre dans les meilleurs délais à cette réquisition est puni d’une amende de 3 750 euros.

A peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition prise en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Source : Légifrance https://www.legifrance.gouv.fr/affi...


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