Mélenchon : les limites juridiques, judiciaires et politiques de l’enquête préliminaire

mercredi 14 novembre 2018.
 

par Georges Moréas, Commissaire Principal honoraire de la police nationale

La semaine dernière, une quinzaine de perquisitions simultanées ont été menées au domicile de Jean-Luc Mélenchon et de ses proches, ainsi que dans les locaux de La France insoumise. L’opération de police judiciaire a été menée en enquête préliminaire sous la houlette d’une demi-douzaine de substituts du parquet.

Avec sa verve habituelle, le président de la FI, a dénoncé une « énorme opération de police politique », affirmant dans une conférence de presse qu’il allait demander l’annulation de la perquisition au siège de son parti.

Ce n’est pas gagné !

L’enquête préliminaire découle de l’enquête « officieuse » du début du siècle dernier. Une pratique adoptée par les policiers en l’absence de textes pour encadrer leur travail. Cette enquête ne leur donnait évidemment aucun pouvoir, mais comme elle n’existait pas, ils en prenaient beaucoup.

Cette expérience de terrain a été légalisée en 1958, avec l’adoption du code de procédure pénale qui a sonné la fin du code d’instruction criminelle de 1808. L’enquête préliminaire est une enquête de « consentement », autrement dit sans contrainte, qui permet de vérifier l’existence d’un soupçon, afin que le procureur de la République puisse engager des poursuites ou classer le dossier. Elle peut être diligentée à l‘initiative d’un officier ou d’un agent de police judiciaire de l’article 20, ou à la demande du procureur de la République. Ce qui, aujourd’hui, est le plus souvent le cas. La formule « le parquet a ouvert une enquête préliminaire » était rarement utilisée il y a seulement quelques dizaines d’années.

L’enquête préliminaire présente un deuxième volet, qui cette fois n’est pas basé sur le soupçon, mais sur un fait concret, un crime ou un délit qui a été réellement été commis et constaté, lorsque la période de flagrance est écoulée et qu’aucun juge d’instruction n’a été saisi.

Mais dans un monde de plus en plus sécuritaire, les choses ont évolué : « Traditionnellement présentée en doctrine comme un cadre juridique qui ne permet pas à l’OPJ de recourir à la coercition, l’enquête préliminaire a été profondément réformée au point de remettre en cause cette affirmation. » (Droit de la police, Hervé Vlamynck, 5eédition)

Les pouvoirs de police se rapprochent donc de plus en plus de ceux accordés aux enquêteurs en flagrant délit. Pourtant, la perquisition a résisté peu ou prou à cette inflation sécuritaire. En fait, c’est le seul domaine où la personne, le maître de maison, comme on dit, doit donner son accord. Et ce n’est pas un accord de principe, mais une déclaration écrite de sa main : « Sachant que je puis m’opposer à la visite de mon domicile, je consens expressément à ce que vous y opériez les perquisitions et saisies que vous jugerez utiles à l’enquête en cours. » Cette perquisition doit de plus être autorisée par le procureur de la République lorsqu’elle a pour finalité la saisie de biens dont la confiscation est envisagée.

Trop beau pour durer. La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, qui visait à fixer un nouveau cadre à la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées, a amorcé un virage en donnant au juge des libertés et de la détention (JLD) la possibilité d’autoriser des perquisitions sans le consentement de la personne concernée, lorsque celle-ci est soupçonnée d’un délit punissable d’au moins cinq ans d’emprisonnement. L’année suivante, une nouvelle loi (n° 2005-1549 du12 décembre 2005) relative au traitement de la récidive a étendu cette latitude aux infractions criminelles. Dans les deux cas, cette autorisation doit être motivée par des éléments de faits et de droit justifiant de la nécessité de l’opération (art. 76, al. 4).

Et demain, si le projet de loi pour la réforme de la justice est adopté (ce qui ne fait guère de doute), cette possibilité concernera également les délits punissables de trois ans d’emprisonnement. Autrement dit presque toutes les infractions.

Toutefois, en contrepartie en quelque sorte, pour satisfaire aux recommandations du Conseil d’État, en l’absence de poursuites dans les six mois qui suivent, la personne chez qui la perquisition a eu lieu pourra en contester la régularité devant le JLD.

On peut se dire que c’est bien de donner plus de pouvoir au parquet, et aux policiers, et aux gendarmes, ou regretter le temps lointain où son chez-soi était considéré comme un lieu « sacré ». À chacun sa conception du monde dans lequel il veut vivre.

Le but de la perquisition est de découvrir des objets, des écrits et des indices susceptibles d’étayer les soupçons qui ont entraîné l’ouverture de l’enquête préliminaire. Ceux-ci doivent immédiatement être inventoriés et placés sous scellés afin d’éviter toute contestation ultérieure et garantir si besoin les résultats des expertises à venir. En cas d’impossibilité, ils doivent faire l’objet de scellés provisoires fermés, lesquels seront ouverts et inventoriés ultérieurement en présence des personnes qui ont assisté à la perquisition.

En l’absence de l’occupant habituel des lieux (du dirigeant s’il s’agit d’une entreprise), les enquêteurs peuvent faire appel à son représentant ou à deux témoins qui assisteront à la perquisition.

En ce qui concerne la perquisition au siège de la FI, il y a une question embarrassante, puisque Jean-Luc Mélenchon ne pouvait pas à la fois assister à la perquisition à son domicile et à celle effectuée au siège de son parti. Et, plus tard, lorsqu’il frappe à la porte (le poing fermé), on lui en interdit l’entrée pour des raisons d’ordre public. Ce qui peut semer un doute dans les esprits les moins complotistes, avec cette interrogation : les fichiers numérisés de la FI auraient-ils pu être copiés ?

La plupart des médias critiquent le comportement de Jean-Luc Mélenchon, lequel critique la plupart des médias. C’est destructeur, pour les uns et pour l’autre. Et pourtant, il est si doux cet été indien qui n’en finit pas ! Le patron de la FI est cependant légitime à s’étonner de l’importance du dispositif mis en place. Comme une opération commando : une centaine de policiers, accompagnés de représentants du parquet, qui au petit matin font une descente chez lui, ses proches et dans les locaux de son parti, non pas pour une affaire de grand banditisme, mais parce que la Commission des comptes de campagne (CNCCFP) a effectué un signalement au parquet au titre de l’article 40 du code de procédure pénale sur de possibles irrégularités dans les dépenses pour l’élection présidentielle de 2017. Ce qui, d’après le journal Le Monde, donnerait : « escroquerie et tentative d’escroquerie, abus de confiance, infraction à la législation sur le financement des campagnes électorales et travail dissimulé aggravé ». Il s’agit là des qualifications pénales retenues par le procureur de la République de Paris, pas par le parquet financier, même si M. François Molins a saisi l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF).

D’après la procureure générale de Paris, qui est montée au créneau pour s’opposer aux propos enflammés de Jean-Luc Mélenchon, autant d’éléments qui nécessitent d’être vérifiés avant d’être confiés à un juge d’instruction. Pour résumer les propos de la haute magistrate, l’ouverture d’une information judiciaire aurait été « disproportionnée »…

Personne ne peut nier qu’une opération d’une telle ampleur, effectuée dans un cadre juridique non coercitif, est inhabituelle. Et lorsqu’elle vise un parti politique d’opposition et son leader, c’est… disons troublant.

Bien sûr, les règles restrictives posées par la Constitution à l’égard des parlementaires (qui s’appliquent à l’enquête préliminaire) n’interdisent pas expressément les perquisitions, mais textuellement les arrestations et les mesures restrictives ou privatives de liberté. Cependant, l’existence même de cette protection montre que notre Constitution a voulu protéger les représentants de la Nation des risques d’une action judiciaire télécommandée. Ce simple fait aurait mérité, à mon avis, la saisine d’un juge indépendant, ce qui, qu’on le veuille ou non, n’est pas le cas des procureurs.

Comme beaucoup, je le suppose, je ne peux d’ailleurs m’empêcher de penser que cette opération surdimensionnée est le fait de gens de cour, de ceux qui cherchent à plaire. Hélas pour eux, les retombées sont incertaines, car cette affaire va feuilletonner et laisser des points d’interrogation, comme autant de petites bombes à retardement dans la tête de pas mal d’électeurs.


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