Jair Bolsonaro élu président : Le virage de l’extrême droite – Une victoire, pas un triomphe – Les militaires en embuscade – L’opposition en miettes

mardi 13 novembre 2018.
 

Le Brésil prend le virage de l’extrême droite

Jair Bolsonaro a largement remporté dimanche l’élection présidentielle avec 55,13 % des voix, contre 44,87 % à son adversaire de gauche, Fernando Haddad.

Promettant de « changer le destin du Brésil », le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, a été élu président haut la main dimanche 28 octobre, avec 55,13 % des voix, contre 44,87 % pour son adversaire de gauche, Fernando Haddad.

« Nous ne pouvons plus continuer à flirter avec le socialisme, le communisme, le populisme de gauche », a affirmé ce chantre de la dictature militaire (1964-1985) dans son premier discours, retransmis en direct sur Facebook. « Ensemble, nous allons changer le destin du Brésil », a insisté l’ex-capitaine de l’armée de 63 ans, qui prendra les rênes du plus grand pays d’Amérique latine en janvier, grâce aux suffrages de plus de 57 millions d’électeurs.

Entouré de sa troisième épouse, Michelle, et d’un pasteur évangélique, Jair Bolsonaro a promis que son gouvernement « défendra la Constitution, la démocratie, la liberté ». « Cela n’est ni la promesse d’un parti, ni la parole vaine d’un homme, mais c’est un serment devant Dieu », a-t-il poursuivi, répondant ainsi à ses détracteurs qui le voient comme une menace pour la démocratie.

Dès l’annonce des premiers résultats partiels, des feux d’artifice ont été tirés sur la plage de Barra da Tijuca, où des dizaines de milliers de partisans de Bolsonaro étaient rassemblés devant son domicile pour célébrer la victoire de celui qui deviendra chef de l’Etat en janvier, pour quatre ans. « Nous sommes le peuple indigné, exaspéré par la violence et la corruption. Le peuple a parlé. C’est la première fois que je me sens représenté », s’est exclamé André Luiz Lobo, chef d’entreprise noir de 38 ans.

A Sao Paulo, plus grande métropole du Brésil, des milliers de partisans de Bolsonaro sont également descendus dans les rues, notamment avenue Paulista, une des principales artères de la mégalopole. « Le Brésil a été libéré du communisme, du communisme de Cuba et du Venezuela », a scandé Sheila Sani, 58 ans, déployant un grand drapeau du Brésil.

Dans son premier discours après l’annonce des résultats, Fernando Haddad n’a pas félicité le vainqueur et a demandé que ses « 45 millions d’électeurs soient respectés ».

« Les droits civiques, politiques, du travail et sociaux sont en jeu maintenant. Nous avons la responsabilité de représenter une opposition qui place les intérêts de la nation au-dessus de tout. »

Dans un pays miné par une violence record, le marasme économique, une corruption endémique et une crise de confiance aiguë dans la classe politique, Jair Bolsonaro a réussi à s’imposer comme l’homme à poigne dont le Brésil aurait besoin.

Défenseur de la famille traditionnelle, il a reçu le soutien crucial des puissantes Eglises évangéliques et a indigné, par ses déclarations outrancières, une bonne partie des Noirs, des femmes et des membres de la communauté LGBT.

« Risque pour la démocratie »

La campagne a été alimentée par des discours de haine et émaillée de violences. Jair Bolsonaro lui-même a été victime le 6 septembre d’un attentat à l’arme blanche qui a failli lui coûter la vie.

Après le scrutin du 7 octobre qui a vu le candidat d’extrême droite frôler l’élection dès le premier tour (46 % des suffrages), les Brésiliens ont fait leur choix plus par rejet que par conviction : « contre la corruption » pour le candidat d’extrême droite, « contre la haine » pour celui de gauche.

Même si Jair Bolsonaro a promis d’être « esclave de la Constitution », Tomaz Paoliello, professeur de relations internationales à l’université catholique PUC de Sao Paulo, considère que son élection présente « de gros risques pour la démocratie ».

« Il a toujours pris position pour discréditer les institutions démocratiques. Une fois au pouvoir, il pourrait mettre en œuvre un vrai démantèlement de la démocratie. »

« Le futur président devra respecter les institutions, la démocratie et l’Etat de droit », a déclaré Dias Toffoli, président de la Cour suprême, après s’être rendu aux urnes avec la Constitution. Pour Marcio Coimbra, de l’université presbytérienne Mackenzie, le Brésil a des garde-fous solides avec « un parquet fort, une Cour suprême forte et un Congrès qui fonctionne ».

Le président sortant, Michel Temer, a indiqué que la transition débuterait dès lundi. Les premières réactions internationales sont venues des chefs d’Etat d’Amérique latine, notamment les présidents du Mexique, du Paraguay, d’Argentine ou du Pérou qui ont tous salué la victoire de Bolsonaro. Le président des Etats-Unis a appelé le vainqueur pour le féliciter.

Le Monde.fr avec AFP

L’opposition en miettes

La formation d’une union sacrée contre le président élu Bolsonaro paraît difficile, tant l’opposition sort affaiblie de la campagne et de ses propres erreurs.

Les yeux gonflés, le regard las, Fernando Haddad avait promis qu’il « lutterait jusqu’à la dernière minute ». Après avoir voté, dimanche 28 octobre, dans le quartier huppé de Moema à Sao Paulo, le candidat du Parti des travailleurs (PT, gauche) savait la défaite annoncée. Mais, accueilli par des militants chargés de roses, l’ancien ministre de l’éducation de Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, voulait croire que l’élection de son opposant d’extrême droite, Jair Bolsonaro, du Parti social Libéral (PSL), ne signerait pas la fin de l’aventure, ni de ses espérances. « J’ai senti dans la rue, le Brésil s’est réveillé ces derniers jours », a confié M. Haddad avant de prendre un ton combatif : « Nous allons regarder ces Brésiliens qui (...) ont défendu l’honneur et la démocratie. »

Au pouvoir de 2003 à 2016, le PT bascule donc dans l’opposition. Une opposition meurtrie par les outrances de Jair Bolsonaro, qui a su galvaniser la rage de la population contre le parti de gauche. Une opposition affaiblie, aussi, par ses propres erreurs. Englué dans des scandales de corruption allant du « mensalao », en 2005 – l’achat de votes auprès des membres du Congrès –, à « Lava Jato », en 2014, l’opération menée par le juge Sergio Moro, le PT a récolté l’image d’un parti de « bandits ». La condamnation à douze ans de prison de Lula n’a fait que renforcer cette vision.

Peu importe que le PT ne soit pas, et de loin, le parti le plus concerné par les affaires, ou que le procès de l’ex-président soit fondé sur les « convictions » plus que sur des preuves, l’électeur brésilien a préféré élire un militaire autoritaire, raciste, homophobe et misogyne plutôt que d’imaginer le PT reprendre le pouvoir. Tout vaut mieux que la « roubalheira do PT », le hold-up du PT, ont dit les électeurs.

Une victoire, pas un triomphe

Reste que l’élection de Jair Bolsonaro est une victoire. Pas un triomphe. Le parti de Lula sera la plus grande force d’opposition au Congrès. Et la montée de l’extrême droite a poussé à un engagement inédit de la société civile. L’ex-capitaine nostalgique de la dictature (1964-1985) a contre lui des figures respectées, tel l’ancien président de la Cour Suprême Joaquim Barbosa, à l’origine des accusations contre des cadres du PT dans l’affaire du « mensalao ». « Pour la première fois en trente-deux ans d’exercice de mon droit de vote, un candidat m’inspire de la peur », a-t-il affirmé la veille du scrutin en donnant sa voix à Fernando Haddad.

Le militaire de réserve a aussi forcé une partie de la presse à se positionner. Ainsi de la Folha de Sao Paulo, attaquée par Jair Bolsonaro après avoir fait état de possibles malversations financières et de divulgation massive de « fake news » par son équipe de campagne. « La Folha n’est pas en guerre contre Bolsonaro ni aucun candidat, mais se bat pour la démocratie », explique le quotidien dans un éditorial publié dimanche.

« Jair Bolsonaro a, dans son programme, une série de mesures impopulaires et polémiques. Le PT peut prendre le leadership de la contestation », présage le politologue et sociologue Ruda Ricci.

Mais l’existence d’une union sacrée, alliant gauche et droite contre le huitième chef d’Etat de la Nouvelle République (commencée au retour de la démocratie en 1985), paraît délicate. La droite traditionnelle, incarnée par le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), sort disloquée de ce scrutin. Incapable de se qualifier pour le second tour, la formation se déchire entre ceux qui entendent maintenir une posture républicaine, tel l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, et d’autres tel Joao Doria, tout juste élu gouverneur de Sao Paulo, prêts à pactiser avec Jair Bolsonaro.

« Le souhaitable serait que l’opposition ne signe aucune trêve avec Bolsonaro. Et que les forces s’agglutinent, explique Carlos Melo, professeur de sciences politiques à l’Institut d’études supérieures de commerce et d’ingénierie à Sao Paulo. Mais il est probable que les différents partis d’opposition se fragmentent et compromettent l’union d’une force d’opposition. »

Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)


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