Nul ne peut se prononcer sur l’effet qu’aura à terme la réaction de Jean-Luc Mélenchon

jeudi 1er novembre 2018.
 

Le jour même des perquisitions qui ont visé Jean Luc Mélenchon, 17 de ses collaborateurs, les locaux de la « France Insoumise », Sophia Chikirou et son entreprise Médiascop, la cause était entendue dans la plupart des médias où les éditorialistes s’en donnaient à coeur joie. « Détournements de fonds », « escroquerie », « bande organisée", tout était suggéré, sans oublier les considérations visant la vie privée, celle de Mélenchon et de Sophia Chikirou notamment. Il ne serait évidemment pas sérieux de prendre le contre pied sur des éléments que nul ne connait, même pas d’ailleurs les principaux visés qui à les entendre découvrent au jour le jour ce qui leur est reproché. Ce qui interroge, c’est plutôt la nature politique de cette vaste opération judiciaire.

Jean Luc Mélenchon a occupé l’espace médiatique, revenant en boucle dans les escaliers de la « France Insoumise ». « Emportements », « violence dans le regard », « violences dans les gestes » , « corps à corps » avec un policier en faction… Son ton, son attitude devait prouver les doutes légitimes sur sa « présidentiabilité », sur sa capacité à garder son sang froid. Mais est-ce vraiment cette inquiétude qui dominait dans les propos de différents éditorialistes, Barbier et compagnie ? Ou bien plutôt l’expression d’une haine qui trouvait là un terrain idéal pour se déverser, tellement l’attitude du leader de la FI dénotait avec le fonctionnement feutré des élus mis en cause un jour pour attendre souvent des mois, sinon des années, pour voir leur cas réglés, pour se voir souvent blanchis.

Cette haine ne porte-elle pas un nom ? Et s’il s’agissait de la « haine de classes » tout simplement, la haine de cette « intelligentsia » porte parole d’un pouvoir dont les orientations défendent les privilèges d’en haut au détriment de la souffrance d’en bas ? Ce sont les mêmes qui justifient toutes les décisions qui visent dans tous les domaines ouvriers, salariés, jeunes ou retraités. Ce sont les mêmes qui hier vantaient la « loi travail » de Hollande complétée par Macron, qui félicitent la réduction du bien commun, des services publics et du nombre de fonctionnaires au nom de la chasse aux déficits, qui comprennent pour mieux les encourager les restrictions qui visent les retraités au nom de l’équilibre des comptes sociaux, qui approuvent « chiffres à l’appui » les injonctions faites aux chômeurs, « fainéants » par nature, responsables de leur chômage, qui refusent de « traverser la route pour trouver un emploi », qui soutiennent l’Union Européenne dans ses décisions dirigées contre les peuples, qui éructent avec mépris contre les « souverainistes », les « populistes », les « nationalistes »…

La réaction de Mélenchon devant les caméras, passée en boucle sur les chaines d’info en continue, lui sera peut-être préjudiciable. Mais est-ce bien certain, à l’heure où les couches populaires impuissantes ne sont pas dupes des discours qui servent l’oligarchie, des promesses que fait le pouvoir, de la nature politique des mesures qui sont prises ? Et si l’attitude de Jean Luc Mélenchon s’inscrivait dans un basculement en train de s’opérer au plus profond de la société ? Il pouvait sembler plus raisonnable de voir le chef de la FI se cantonner aux questions purement politiques et laisser des hommes de loi ferrailler sur le terrain judiciaire, y compris celui des perquisitions. Mais nul ne peut en attendant se prononcer sur l’effet qu’aura à terme la réaction qui fut la sienne.

L’opinion aujourd’hui n’est pas dupe de la nature de l’opération. Evidemment, même si la garde des sceaux Belloubet s’en défend, une opération de cette envergure, qui a mobilisé plus d’hommes et plus d’énergie au petit matin qu’une opération visant le grand banditisme ou le terrorisme, ne peut avoir été mise en branle sans l’accord des ministères concernés, et donc sans que le pouvoir au plus haut niveau n’ait donné sont feu vert. Pour sa signification politique, la tourmente actuelle indique une instrumentalisation de la justice à des fins partisanes. Et cette utilisation de la justice s’inscrit dans celle qui hier déjà permettait de mettre sur la touche François Fillon durant la campagne présidentielle, ou qui hier encore conseillait de faire passer des tests psychiatriques à Marine Le Pen dans le cadre de messages postés sur Tweeter. Il ne s’agit évidemment pas de mettre là un trait d’égalité entre les uns et les autres, ou d’affirmer une sympathie quelconque à l’égard des incriminés, mais seulement de rappeler que les principes ne peuvent être à géométrie variable, au risque d’autoriser tous les abus et de rendre vulnérables demain ceux qui se taisent aujourd’hui. Est-ce d’ailleurs la raison pour laquelle les soutiens à la FI et à son responsable viennent surtout de là où à priori on ne les attendait pas, de Christian Jacob, mais aussi François Bayrou, ou encore Marine Le Pen. Et qu’à l’inverse, comme s’ils voulaient se débarrasser de Jean Luc Mélenchon, Benoit Hamon ou les amis de Pierre Laurent, comprenant certes « le sentiment d’humiliation ressentie par le responsable de la FI », affirment qu’ils ne sauraient y avoir « de passe-droit », condamnent « les attaques contre la presse » ou s’inquiètent qu’on puissent un jour « confier les codes nucléaires à quelqu’un qui défonce une porte ».

L’offensive politico judiciaire annonce sans doute des développements d’ores et déjà programmés. Alors qu’ils agissaient dans le cadre d’enquêtes préliminaires, les enquêteurs ont tout loisir de multiplier à l’avenir de nouvelles perquisitions, de nouvelles convocations, des mises en examens, le tout largement relayé par une presse dont certains au nom de « l’investigation » ne manqueront pas de publier sur commande, ou sur ordre. Une presse qui oublie de s’offusquer sur le syphonnage des fichiers et informations les plus précieuses d’une des principales organisations d’opposition, la FI aujourd’hui comme cela a d’ailleurs été le cas avec le FN hier. Cela ne pose t’il pas une question d’ordre démocratique élémentaire, lorsqu’on sait, il est bon de le rappeler, que le procureur est par essence, comme membre du parquet, aux ordres de la ministre de la justice, donc du gouvernement, sans aucune marge d’indépendance possible, à moins de vouloir se faire un hara-kiri professionnel en entravant toute possibilité d’avancement.

Portée par une véritable haine de classe, n’assistons-nous pas au développement d’une véritable guerre de classe engagée par le pouvoir qui utilise en « temps de paix apparente » les moyens qui sont à sa disposition, la police et la justice en l’occurence, pour tenter de terrasser ses adversaires ? N’assistons nous pas à une adaptation nationale d’un mal plus général qui menace la démocratie à l’échelle internationale. Le candidat donné favori au Brésil par exemple n’est autre qu’un sinistre fasciste qui préconise en guise de programme l’éradication définitive du socialisme, des socialistes donc, la liquidation en bonne et due forme de ses opposants, et qui annonce d’ores et déjà que Lulla, le candidat du PT donné gagnant il y a quelques mois dans les sondages, et jeté en prison depuis, peut se préparer à y rester jusqu’à la fin de ses jours si par malheur il sort gagnant des élections. Que dire du silence médiatico-politique en France sur cette réalité ? Evidemment, Emmanuel Macron n’est pas Jair Bolsonaro, mais l’opération contre Mélenchon et la FI n’est-il pas l’expression d’un nouveau pas vers la transformation du régime, comme Erdogan l’a également entrepris en Turquie par exemple, l’élimination des opposants politiques broyés par la machine judiciaire ? Cette opération n’apparait-elle pas en France d’une incroyable violence, comparée à la perquisition connue par Alexandre Benalla, l’homme de main de l’Elysée cet été, perquisition reportée pour absence de clés, puis effectuée le lendemain une fois qu’un déménagement d’armoire avait pu être effectué dans la nuit ?

Pour qu’une telle opération contre Mélenchon et la FI ait pu se mener, il a fallu qu’elle soit préparée de loin, au plus profond de l’état. La faiblesse politique de Macron, le désaveu de ses décisions, la crise de régime et de gouvernement qui serait apparus plus encore, si le remaniement n’avait été fort à propos caché par l’opération politico-judiciaire contre la FI, mettent tout ce beau monde aux abois. Est-on bien sûr que les nerfs qui ont lâchés ne sont pas ceux qui ont ordonné de frapper ? Et si l’affolement dans le contexte politique d’ensemble était celui du pouvoir ?

Jacques Cotta Le 24 octobre 2018


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