Nouvelle-Calédonie : demain la Kanaky ?

samedi 3 novembre 2018.
 

Dimanche 4 novembre 2018, se tiendra sur un territoire de la République, le premier référendum de décolonisation depuis plus de 40 ans1. Cet évènement historique, qui sera supervisé par des observateurs de l’ONU, ne sera probablement qu’une des étapes vers une autonomie ou indépendance future de cette ancienne colonie française. Son bon déroulement est le garant de l’unité de la République et des liens de fraternité entre la métropole hexagonale et les territoires d’Outre-Mer.

Le combat des Kanaks pour leurs droits, une longue marche vers l’autodétermination ?

Ce référendum, prévu depuis 1998, est l’aboutissement d’un long processus politique. Sur cet archipel du Pacifique à l’Est de l’Australie, le groupe historique dominant, les Kanaks, représente aujourd’hui environ 40% des 260 000 habitants (contre 29% pour les « européens », 8% pour les wallisiens et futuniens, 3% pour les asiatiques). Or, les inégalités sociales et économiques de cet archipel se confondent beaucoup avec l’origine ethnique, et de nombreux Kanaks sont bien souvent des citoyens « de seconde zone », en particulier touchés par le chômage ou victimes de discriminations pour l’accès au logement. Ainsi, par exemple, en 2014, date du dernier recensement, 36% des Kanaks âgés de 15 à 64 ans étaient sans diplôme, contre 17% des non-Kanaks ; 5% seulement des Kanaks ont obtenu un diplôme du supérieur, contre 28 % des non-Kanaks.

Cette lutte toujours d’actualité des Kanaks pour leurs droits politiques et sociaux puise ses sources dans les grandes révoltes de 1878 et 1917, ainsi que dans l’exposition de Kanaks en zoo humain dans une cage lors de l’exposition coloniale de 1931 à Paris2. Elle s’est ensuite structurée dans le FLNKS (Front de libération national kanak socialiste) avec des dirigeants qui ont lutté jusqu’au don de leur vie comme Jean-Marie Tjibaou, Yeiwéné Yeiwéné et Éloi Machoro. Ce combat pour la reconnaissance des droits des Kanaks fait directement partie de notre histoire militante, et même les communards transportés dans cette colonie pénitentiaire, lieu d’exil à la fin du 19ème siècle ont aidé et soutenu certaines rébellions, telle Louise Michel3.

A ce combat des Kanaks, se lie intimement la question la redistribution des richesses dans l’archipel, marqué par l’exploitation capitaliste et oligarchique de l’île, à travers notamment ce qu’on a appelé le « système Lafleur », du nom de la dynastie familiale ayant eu les mains sur l’exploitation des ressources en nickel de l’île (20% des ressources mondiales) et toujours présent dans de nombreux pans de l’économie (cimenterie, presse, hôtellerie), etc… A cela il faut rajouter notamment l’appropriation historiques de terres coutumières par des exploitations agricoles, et le sacrifice de milliers d’hectares au nom de l’industrie minière.

Ces tensions sociales non résolues au sein de la population de cet archipel et avec l’Etat ont donné lieu aux tragiques « Evènements » (1984-1988) qui se sont terminés par le massacre d’Ouvéa et les Accords de Matignon en 1988. C’est de cette époque que date l’inscription par l’ONU de la Nouvelle-Calédonie sur la « Liste des territoires non autonomes ». Pour donner un cadre concret à ce même « processus de décolonisation »4, les Accords de Nouméa en 1998 ont consacré le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie (par des transferts de compétences de l’Etat, la possibilité d’édicter des « lois du pays » locales, et la création d’un Congrès de la Nouvelle-Calédonie avec un président à sa tête) et sa vocation à accéder à l’autodétermination.

Les atermoiements du Gouvernement actuel ont fragilisé ce processus pacifique.

Depuis les Accords de Nouméa, tout a été progressivement mis en œuvre par les Gouvernements successifs pour que les tensions s’amenuisent au sein de la population calédonienne et que le référendum puisse se tenir dans les meilleures conditions, pacifiquement. Or la situation reste extrêmement précaire et le Gouvernement actuel a jusqu’ici pêché par son inconséquence, ce qui a fragilisé le consensus entre les représentants calédoniens.

Tout d’abord, Manuel Valls, ancien Premier ministre et député de la majorité, président d’une mission parlementaire sur l’avenir de l’Île, a ainsi déclaré le 22 février dernier qu’il était favorable au maintien de la Nouvelle Calédonie en France. Une prise de position inacceptable pour tous les acteurs calédoniens, puisque l’Etat doit être neutre en organisant ce référendum. Emmanuel Macron a aussi joué avec le feu, puisqu’en tant que candidat à l’élection présidentielle il s’était aussi prononcé, avant le second tour, pour le maintien5, avant désormais de se murer dans une position de neutralité formelle.

Ensuite, le Gouvernement a particulièrement tardé pour l’organisation du référendum lui-même (modalités d’inscriptions sur les listes électorales, choix de la question qui allait être posée, adoption des lois pour organiser le référendum), le Conseil d’Etat allant même jusqu’à s’émouvoir du manque de prévision et des courts délais, en qualifiant ces derniers de « particulièrement tendus »6. Alors même que cela fait plus de 20 ans que ce référendum doit être organisé, la précipitation avec laquelle le Gouvernement semble l’organiser en 2018 peut avoir une incidence réelle sur l’issue du vote : faire douter les électeurs qui craindraient un saut dans l’inconnu en cas de vote positif, et l’impréparation de l’Etat à cette possibilité. Et de fait, tous ces cahots se sont accompagnés de sondages durant les premiers trimestres de l’année 2018 qui ont à chaque fois marqué une augmentation supplémentaire du taux d’opposants déclarés à l’indépendance (qui serait désormais à plus de 60%)7.

Au-delà du résultat, les nouveaux défis qu’impliquent ce référendum pour la République

Car l’importance réelle du référendum réside dans les conditions de sa tenue, qui est nécessaire pour garantir la concorde sociale en Nouvelle-Calédonie. Quel que soit son résultat, l’important est que le processus et l’issue de cette première consultation soient considérés comme légitimes et acceptés par toute la population de l’archipel calédonien. Et la vigilance est de mise ! 12 personnalités calédoniennes, réunies dans un « comité des sages », chargé de veiller au bon déroulé du référendum ont déjà fait part de leurs inquiétudes et ont appelé à la « modération » après les incidents qui ont eu lieu en septembre et en octobre (en particulier l’intimidation de groupes loyalistes ayant tenté d’empêcher un meeting indépendantiste de se tenir, la décision du président du Congrès calédonien de supprimer le drapeau indépendantiste de la façade du Congrès pour ne laisser que le bleu, blanc et rouge).

Ceci est d’autant plus important que la loi prévoit8 qu’il est possible pour un tiers des membres du Congrès de Nouvelle-Calédonie de demander un deuxième et troisième référendum, a minima en 2020 et en 2022. En cas de vote négatif en novembre, la même question pourrait être ainsi être reposée à nouveau dans quelques années.

Mais surtout ce référendum du 4 novembre ne doit pas jeter un voile sur les autres défis de la Nouvelle Calédonie pour lesquels la réponse est un oui incontestable. Oui il faut mettre fin au plus vite à l’accaparation oligarchique des richesses en Nouvelle-Calédonie, un terme à la marginalisation sociale des Kanaks dans la société calédonienne, et oui, il faut garantir un modèle de développement écologique pour la Nouvelle Calédonie avec notamment une autonomie alimentaire (actuellement à seulement 15% !) et énergétique (4% de production locale).

Arnaud APFFEL

NOTES

[1] Le dernier ayant eu lieu en 1977 (Territoire des Afars et des Issas, devenu Djibouti).

[2] Le grand père du footballeur C. Karembeu était de ces kanaks, et cela a notamment, selon lui, motivé son refus de chanter la Marseillaise lors de la Coupe du Monde 1998.

[3] Très attachée à la culture kanak, elle a même compilé un recueil de leur culture orale : Légendes et chants de geste canaques, 1885

[4] Point 4 de l’Accord de Nouméa https://www.legifrance.gouv.fr/affi...

[5] Le 5 mai 2017 : « Même si pour ma part, je souhaite que la Nouvelle-Calédonie reste dans la communauté nationale, ce sera aux Calédoniennes et aux Calédoniens de répondre à la question posée » http://www.voiceofmelanesia.com/201....

[6] « les délais entre l’adoption de cette loi organique et la tenue de la consultation qui aura lieu au plus tard en novembre 2018 seront particulièrement tendus. »). https://www.legifrance.gouv.fr/Droi...

[7] http://www.europe1.fr/societe/refer...

[8] Article 217 de la loi organique du 19 mars 1999 qui transcrit les Accords de Nouméa de 1998


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