Perquisitions chez Mélenchon : les affaires politiques doivent être traitées directement et uniquement par des juges d’instruction

lundi 29 octobre 2018.
 

par Jean-Baptiste Soufron, avocat associé au cabinet FWPA et ancien Secrétaire Général du Conseil National du Numérique.

Les enquêtes contre des personnalités ou partis politiques ne relèvent pas du quotidien. Ce sont des actes graves, portant en eux-mêmes une forte responsabilité politique et qui nécessitent d’être confiés aux magistrats du Siège dont l’indépendance est mieux garantie que celle du Parquet.

Il est difficile de se plaindre depuis des années du manque d’indépendance du Parquet et de s’indigner simultanément de la réaction de Jean-Luc Mélenchon lors de sa récente perquisition. On peut se répéter qu’une autorisation du juge des libertés et des détentions a été nécessaire. On peut aussi se dire que la loi interdit aux procureurs de ne pas transmettre les informations à leur ministre. Il n’empêche que la mise en place d’une indépendance véritable est une demande régulière et normale, qui se voit opposer une fin de non-recevoir.

En février encore, Emmanuel Macron l’a refusé, rappelant - et ce n’est pas faux - que le lien hiérarchique entre les procureurs et le gouvernement était une condition indispensable de l’harmonisation de la politique pénale. À ceci près que la mise en œuvre d’une enquête contre des personnalités ou des partis politiques ne relève pas du quotidien. Ce sont des actes graves, portant en eux-mêmes une forte responsabilité politique, déclenchant toujours un important écho médiatique et pouvant avoir des conséquences démocratiques importantes.

Ce sont des aussi des actions qui se lancent contre les représentants d’institutions dont le rôle est défini par l’article 4 de la Constitution de 1958 qui rappelle que les partis politiques concourent à l’expression du suffrage, qu’ils se forment et qu’ils exercent leurs activités librement.

Autrement dit, les partis politiques ne sont pas des justiciables comme les autres. Au titre de la responsabilité qui est la leur, ils ont des obligations de probité et de transparence supplémentaires par rapport à celles qui s’imposent aux autres citoyens. Mais, ils doivent également bénéficier de garanties leur permettant d’accomplir leur fonction dans la sérénité. Or, en septembre encore, Emmanuel Macron lui-même a encore usé de ses prérogatives pour retoquer les candidatures présentées pour le poste de Procureur de Paris – un acte que le Syndicat de la Magistrature qualifiait alors de « fait du prince ».

Pour une bonne part, le gouvernement fait donc bien aujourd’hui la carrière des procureurs du Parquet. Une pratique instaurée au moins sous Lionel Jospin et reprise sous François Hollande veut que le Président de la République prenne d’abord l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature. Emmanuel Macron a bien proposé d’inscrire cette pratique de nomination conforme dans le projet de réforme constitutionnelle, mais il ne fait ainsi que déplacer le problème puisqu’il resterait malgré tout l’autorité de nomination de l’ensemble du Parquet.

Cela fait déjà pourtant plusieurs années que les alertes se répètent. Faut-il rappeler les écoutes dont l’avocat de Nicolas Sarkozy avait fait l’objet ? La rapidité et la force des procédures engagées contre François Fillon ? À chaque fois, l’assujettissement du parquet au gouvernement nourrit le soupçon et empêche le fonctionnement serein de la justice, mais aussi de la démocratie.

Mais comme le disait Richard Ferrand le 29 juin, il faut veiller « à ne jamais en faire un pouvoir ». De fait, c’est aujourd’hui Emmanuel Macron qui doit nommer le Procureur de Paris, le Procureur du Parquet antiterroriste, et même le Procureur du Parquet National Financier devant lequel est actuellement mis en cause Alexis Kohler, son propre Secrétaire Général.

Comment s’étonner dès lors des réactions de Jean-Luc Mélenchon ? Et comment ne pas s’inquiéter de voir sa vie privée presque immédiatement dévoilée dans la presse à la suite de ces perquisitions ?

Certaines colères peuvent être salutaires. Face à ces problèmes qui minent autant la République que le développement des fausses nouvelles – et qui procèdent des mêmes racines, Emmanuel Macron ne peut pas se contenter de citer le très obsolète article 64 de la Constitution en rappelant qu’il est le « garant » de l’autorité judiciaire. Il faut qu’il en constate les échecs et les lenteurs et qu’il en prenne acte pour faire œuvre de réforme.

Alors que les affaires politiques se multiplient et touchent aujourd’hui presque tous les partis, il est sans doute temps d’en accepter la singularité. Puisque l’indépendance du Parquet semble un idéal impossible à atteindre en France, il faut alors s’appuyer le rôle constitutionnel des partis politiques et, comme le proposait par exemple le Professeur de droit Paul Cassia, passer outre l’étape de l’enquête préliminaire pour entrer directement dans l’enquête judiciaire en demandant aux procureurs du Parquet de transmettre systématiquement aux magistrats du Siège – dont l’indépendance est mieux garantie. C’est déjà ce qui se fait presque automatiquement en matière de presse.

Pourquoi ne pas étendre cette possibilité au monde de la politique ? En pratique, cela signifierait qu’un procureur saisi d’une affaire concernant un parti politique devrait alors systématiquement la transmettre à un juge d’instruction – inamovible et sans lien hiérarchique avec le gouvernement. Cela permettrait également immédiatement aux partis mis en cause d’avoir accès au dossier, de savoir précisément ce qui leur est reproché et bénéficier des règles du contradictoire.

Cela rejoindrait les différentes règles dérogatoires qui existent déjà en la matière et qui permettent d’arbitrer sereinement entre les nécessités de la transparence, les garanties de la liberté politique, et l’indépendance de la Justice.


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