Brésil. Bolsonaro, un candidat soutenu par le mouvement chrétien évangélique

mardi 23 octobre 2018.
 

Au Brésil, le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro est donné favori à la présidentielle après avoir recueilli 46% des voix au premier tour. Tandis que partout en Amérique latine, le mouvement chrétien évangélique a conquis des millions de fidèles, le chef du parti social-libéral (PSL) revendique les mêmes valeurs. Avec un net penchant rétrograde.

Le monde entier a suivi les obsèques de Billy Graham [1918-2018], un des prédicateurs évangéliques [américains] les plus influents du XXe siècle. À Washington, les plus éminentes personnalités de la vie politique lui ont rendu hommage sous la Coupole [où une chapelle ardente avait été installée] tandis que sur les réseaux sociaux, Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama saluaient la mémoire du “pasteur des États-Unis”.

L’émotion suscitée par sa mort et l’ampleur des cérémonies organisées montrent bien que ses prêches dans plus de 185 pays pendant plus de soixante-dix ans n’ont pas été vains : aujourd’hui encore, le mouvement évangélique chrétien continue d’attirer de nouveaux fidèles, et son importance et son influence dans de nombreux domaines ne cessent de croître, notamment en politique.

Bastion du mouvement évangélique

L’Amérique latine est l’un des bastions du mouvement évangélique. Dans une région où en seulement trente ans, le catholicisme a perdu le monopole de la foi après plus de cinq siècles de règne sans partage, et où environ 20 % de la population est évangélique, la frontière entre ce qu’il faut rendre à Dieu et ce qui appartient à César est de plus en plus ténue. Les mouvements protestants ont déjà donné à la région des présidents comme Jimmy Morales [depuis 2016] au Guatemala, et des candidats à la présidentielle – Fabricio Alvarado au Costa Rica, Jair Bolsonaro [extrême droite] au Brésil et même Javier Bertucci [un pasteur] au Venezuela. Pourtant si ceux qui se hissent aux plus hautes fonctions sont très médiatisés, la grande force des églises évangéliques est aussi de compter parmi leurs fidèles des maires, des ministres, des députés, des membres du Congrès, des conseillers et des fonctionnaires qui assurent la conquête des plus hautes sphères du gouvernement.

La progression constante du nombre d’évangéliques en Amérique Latine en fait une force politique importante. Au Pérou, en Équateur, en Colombie, au Venezuela, en Argentine et au Panama, plus de 15 % de la population est évangélique  ; au Brésil, au Costa Rica et à Puerto Rico, ce chiffre avoisine les 20 %, et dans les pays d’Amérique centrale comme le Guatemala, Honduras et le Nicaragua, ils sont plus de 40 %.

Même si aucun pays latino-américain ne compte une majorité d’évangéliques, la facilité avec laquelle ces mouvements arrivent à convertir leur popularité en capital politique est étonnante. Comme l’explique Javier Corrales, docteur en sciences politiques et professeur à l’université du Massachusetts à Amherst, “les évangéliques sont très disciplinés et ils obéissent à leurs pasteurs, ils se rendent régulièrement aux cultes (c’est-à-dire qu’ils écoutent les messages politiques), ils sont présents dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux modernes, et possèdent une grande capacité de mobilisation”.

Au Brésil, où l’on compte environ 42 millions d’évangéliques, l’alliance (puis la rupture) entre l’Église universelle du royaume de Dieu [évangélique] et Dilma Rousseff a été l’un des facteurs essentiels de sa victoire, puis à terme de sa destitution. Au Chili, les quatre pasteurs évangéliques qui ont joué le rôle de conseillers de campagne auprès [du président] Sebastián Piñera ont démontré leur ferme intention de fidéliser cet électorat pendant la présidentielle de 2017.

Un code moral plutôt qu’un projet politique

Toutefois, l’influence des évangéliques va au-delà de leur potentiel électoral. Une chose est sûre, ils ont le vent en poupe. Ils transforment la politique régionale et proposent un programme qui ressemble davantage à un code moral qu’à un projet politique.

Ainsi au Costa Rica, une décision de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) en faveur du mariage homosexuel a-t-elle catapulté en tête des intentions de vote le présentateur et chanteur évangélique Fabricio Alvarado. Lorsque, au nom de la protection de la vie et de la famille, il a promis de faire sortir le Costa Rica de la liste des pays qui reconnaissent la compétence de la CIDH, Alvarado a fait encore un saut dans les sondages, et en un clin d’œil, les intentions de vote en sa faveur sont passées de 3 à 17 %. Son candidat à la vice-présidence, Francisco Prendas, a dû présenter des excuses publiques après avoir affirmé qu’il ne mettrait jamais un homosexuel à un poste politique important pour ne pas offenser la majorité de la population. Après avoir remporté le premier tour de la présidentielle, Alvarado demeurait le favori du deuxième tour du 1er avril [finalement, il n’a obtenu que 39,26 % des suffrages, loin derrière Carlos Alvarado qui l’a emporté avec 60,74 % des voix], tandis que la question du mariage homosexuel continuait de monopoliser le débat politique.

Le grand nombre de partis, de candidats et d’électeurs évangéliques donne un nouvel élan aux projets conservateurs d’autres mouvements politiques et religieux en Amérique latine. Des thèmes comme l’avortement, le mariage pour tous, l’euthanasie et la “théorie du genre” ont réconcilié évangéliques et catholiques autour d’une cause commune. Sous des slogans comme “Touche pas à mes enfants” ou “Défendons l’enfance”, des milliers de croyants qui voient dans ces libertés une menace ont défilé dans les principales villes de Colombie, du Paraguay, de l’Équateur, du Pérou, du Mexique et du Chili. La grande pression qu’ils ont exercée sur l’opinion publique a déjà entraîné des mesures à l’échelle nationale, comme l’interdiction dans les écoles paraguayennes d’un guide de prévention de la violence de genre destiné aux enseignants. Leur forte influence a eu également pour conséquence la victoire du “non” au référendum colombien [sur la paix avec la guérilla des Farc, en octobre 2016].

La foi et la politique entretiennent des liens de plus en plus étroits. Tandis que les partis conservateurs reprennent leurs batailles et attirent de nouveaux électeurs vers leurs programmes politiques, “les évangéliques progressent beaucoup dans l’électorat par une stratégie consistant à former des blocs de députés et à nouer des alliances avec ces partis”, comme l’a déclaré à Semana Andrew Chesnut, directeur des études catholiques à la Virginia Commonwealth University [aux États-Unis].

Impressionnant pouvoir économique

Les évangéliques ont beau ne pas former un mouvement homogène, ils ont tendance à s’allier avec les partis conservateurs. Le cas le plus représentatif est la candidature polémique à la présidence du Brésil de Jair Bolsonaro – un ancien militaire qui n’a pas reconnu publiquement être évangélique, mais dont le discours, à la limite de l’extrême droite, bénéficie du soutien du Parti social-chrétien. Avec des formules fleuries comme “les gays sont le produit de la consommation de drogues”, “tu ne mérites même pas qu’on te viole” ou “l’erreur de la dictature a été de torturer au lieu de tuer”, Bolsonaro s’est hissé à la deuxième place dans les sondages, derrière Lula, inéligible pour corruption.

Dans le pays le plus grand d’Amérique latine, le phénomène évangélique se manifeste dans toute sa splendeur. Forts de plus de 90 députés au Congrès, les évangéliques tiennent aussi la mairie de Rio de Janeiro (la ville la plus cosmopolite et multiculturelle du pays) et ouvrent plus de 14 000 églises par an. Ce à quoi vient s’ajouter l’impressionnant pouvoir économique de ces mouvements. Selon le magazine Forbes, les fortunes des cinq pasteurs les plus riches d’Amérique latine dépassent 1,5 milliard de dollars.

La présence grandissante de la religion dans la vie politique constitue un vrai défi pour les démocraties latino-américaines. Même si ce n’est pas toujours le cas, “quand quelqu’un veut influer sur les codes de conduite et vit imprégné de doctrines extrêmes sur le péché et la moralité, la religion peut être l’ennemie de la liberté de pensée, de la vie privée et du libre arbitre”, assure Corrales. Autant dire qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des évangéliques. Car ne l’oublions pas, ce mouvement n’est pas étranger à la victoire de Donald Trump aux États-Unis.

Courrier International


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