Du Maghreb au Yémen, le nouveau désordre du monde arabe

mercredi 3 octobre 2018.
 

L’incapacité des “printemps arabes” à instaurer la démocratie a fait revenir au pouvoir des régimes ultrarépressifs hantés par de nouvelles révoltes, par la menace iranienne et par un retrait américain de la région. Le spécialiste du Moyen-Orient Marc Lynch dresse l’état des lieux d’une zone en plein bouleversement.

En 2011, dans l’ensemble du monde arabe, des millions de citoyens descendent dans la rue. De Tunis jusqu’au Caire, les autocraties chancellent, ébranlées par des soulèvements populaires qui réclament des réformes démocratiques. Pendant un moment, on a pu croire que l’ordre ancien qui prévalait au Moyen-Orient avait vécu et qu’il allait être remplacé par un autre, nouveau et plus juste.

Mais les choses dégénèrent rapidement. Certains États s’effondrent et sombrent dans la guerre civile. D’autres trouvent des moyens de brouiller les cartes pour mieux reprendre le contrôle de leurs sociétés. Sept ans plus tard, il semble qu’il ait été gravement prématuré d’espérer en un changement positif de la politique au Moyen-Orient.

Un nouvel ordre arabe

En revanche, ces bouleversements ont bel et bien abouti à un nouvel ordre arabe – qui n’est simplement pas celui que les gens attendaient. Si les soulèvements arabes n’ont pas eu pour conséquence le triomphe de nouvelles démocraties, ils ont refaçonné les relations régionales. Les grandes puissances [régionales] traditionnelles – l’Égypte, l’Irak et la Syrie – sont aujourd’hui des États tout juste fonctionnels. Les pays du Golfe, riches et répressifs – le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) –, prospèrent. La prolifération des États affaiblis ou en déshérence a créé un environnement propice à la compétition et à l’intervention, favorable à de nouveaux acteurs et de nouvelles capacités.

La dynamique du Moyen-Orient n’est plus déterminée par des alliances officielles et des conflits conventionnels entre grands États. Au lieu de cela, le pouvoir [des États] se manifeste par des guerres par procuration. Dans presque tous les États arabes aujourd’hui, la politique étrangère est régie par un redoutable mélange de menaces et de possibilités supposées. La peur d’une reprise des insurrections nationales, de la puissance iranienne et du retrait américain se mêle au désir de tirer parti des États fragilisés et du désarroi de la communauté internationale – une dynamique qui entraîne les acteurs régionaux dans des conflits par procuration destructeurs tout en semant le chaos. Il est illusoire d’imaginer que la région va parvenir à un équilibre fonctionnel : le nouvel ordre est, fondamentalement, une affaire de désordre.

Il est difficile de prendre la mesure du désespoir qui règne aujourd’hui au Moyen-Orient. La guerre civile syrienne s’est transformée en l’une des pires catastrophes de l’Histoire, elle a fait plus de 500 000 morts et déplacé plus de 10 millions de personnes. L’Irak a réalisé des progrès considérables dans la lutte contre Daech [EI], mais le prix à payer est terrible pour les habitants des zones libérées. La guerre civile au Yémen est à l’origine de la pire épidémie de choléra de l’histoire de l’humanité, et 8,4 millions de gens sont au bord de la famine. La Libye, en termes d’État, est un véritable désastre.

Aucun État n’échappe aux difficultés

Même les États qui ont échappé à l’effondrement connaissent des difficultés. L’Égypte subit encore les conséquences de son putsch de 2013 [contre le président islamiste élu Morsi] : la répression, étouffante, empêche tout développement politique, freine le tourisme, favorise le climat insurrectionnel et attise le ressentiment de la population. Au Bahreïn, le calme n’est pas revenu après l’écrasement sanglant des manifestations chiites, et le bâillonnement de l’opposition politique reste apparemment la seule solution envisagée.

Des États relativement mieux lotis, comme la Jordanie, le Maroc et la Tunisie, sont aux prises avec d’énormes problèmes politiques, une jeunesse en colère et des voisins instables. Dans presque chaque pays, les difficultés économiques et politiques qui avaient causé les soulèvements populaires en 2011 sont plus aiguës aujourd’hui qu’il y a sept ans.

Par ailleurs, l’ensemble de la région n’est plus qu’une vaste poudrière. Le retrait de Washington de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran fait de nouveau craindre l’éventualité d’une frappe militaire israélienne ou américaine [contre l’Iran] qui pourrait déclencher une guerre. Le boycott du Qatar, orchestré par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, a divisé le Conseil de coopération du Golfe, jadis la plus efficace des organisations arabes internationales.

En Syrie, les frappes aériennes israéliennes, de plus en plus fréquentes, les opérations transfrontalières turques et la robuste présence iranienne confèrent une nouvelle dimension à la guerre civile au moment précis où l’opposition armée au régime d’Assad est en déclin. Au Yémen, le conflit est dans une impasse et il semble impossible de l’empêcher de déborder de ses frontières, les rebelles tirant des missiles qui visent l’Arabie Saoudite. Pendant ce temps, à cause des violences récurrentes à Gaza et alors que la solution à deux États [israélien et palestinien] paraît définitivement compromise, les Territoires palestiniens risquent une fois de plus d’être au centre des préoccupations internationales.

Des régimes depuis longtemps fragilisés

S’il n’y a rien de nouveau sur l’échiquier géopolitique au Moyen-Orient, la structure et la dynamique actuelles dans la région sont bien différentes de ce qu’elles étaient auparavant. Du temps du président Gamal Abdel Nasser [1956-1970], l’Égypte s’est retrouvée aux prises avec les régimes soutenus par l’Occident et les forces conservatrices saoudiennes dans des conflits allant d’une intervention militaire directe au Yémen à des ingérences dans la politique intérieure en Jordanie, au Liban et en Syrie. Et les dirigeants de la région coopéraient ou se disputaient au nom du panarabisme, la foi en l’existence d’une seule nation arabe, de l’anticolonialisme et de l’hostilité envers Israël.

Avec la mort de Nasser et l’accroissement aussi subit que considérable de la manne pétrolière, les États [du Moyen-Orient] ont privilégié leur propre survie au détriment des causes idéologiques grandioses. Depuis cette période, ils se sont dotés de puissants appareils de sécurité qui ont jugulé toute tentative d’insurrection locale. De plus en plus stables, les pays arabes sont devenus des cibles moins tentantes pour des interventions extérieures. (Le Liban a été la malheureuse exception, et sa guerre civile, qui a duré de 1975 à 1990, a servi d’arène principale aux conflits par procuration.) Même la révolution iranienne de 1979, à l’origine d’une nouvelle forme de mobilisation populaire transfrontalière chez les islamistes, inspirés par le renversement d’un despote soutenu par les États-Unis, n’a pas suffi à relancer cette dynamique de la guerre par procuration. Au lieu de cela, les régimes arabes ont durci la répression contre leurs opposants islamistes sur leurs territoires.

Mais contrairement à ce qui est communément admis, cette solidité étatique dans le monde arabe n’a pas attendu l’éruption de 2011 pour voler en éclats. Dans les années 1990, la mondialisation a peu à peu confronté l’ordre moyen-oriental traditionnel à des défis fondamentaux. La nouvelle orthodoxie économique internationale a obligé les États à réduire les prestations sociales et les emplois dans le secteur public.

Dans les grands pays arabes, la misère a progressé tandis que les infrastructures tombaient en ruine. Même les pays producteurs de pétrole se sont retrouvés à la merci de forces économiques d’envergure planétaire, comme la crise financière de 2008 et les fluctuations du prix du brut. Dans le même temps, la télévision par satellite, les smartphones, les réseaux sociaux et d’autres nouvelles technologies ont contribué à saper des régimes qui dépendent du contrôle de l’information et de l’opinion.

Et à partir de 2001, la guerre contre le terrorisme, les démons réveillés par l’occupation américaine de l’Irak et l’effondrement du processus de paix israélo-palestinien ont ébranlé les fondations de la coopération régionale. Aujourd’hui, l’ordre arabe n’a plus d’autre raison d’être que de contenir l’Iran et réprimer le changement démocratique.

Les pétromonarchies gagnantes

Les soulèvements arabes de 2011 ne sont pas venus de nulle part. Ils ont représenté l’aboutissement de changements structurels depuis longtemps en gestation. La colère suscitée dans la population par la stagnation économique et le manque de liberté montait depuis au moins dix ans. L’espace politique de la région s’était retrouvé unifié grâce à la télévision par satellite, Internet et d’autres réseaux transnationaux qui ont permis à la contestation de se répandre rapidement de la Tunisie à l’Égypte, puis dans l’ensemble de la région. Ces révoltes simultanées ont été révélatrices quant à la force des États arabes : certains se sont adaptés aisément, d’autres en ont réchappé de justesse, et le reste s’est écroulé.

L’impact des soulèvements sur la politique intérieure est évident. En revanche, les observateurs ont prêté moins d’attention au déséquilibre des pouvoirs qu’ils ont provoqué dans la région. Des puissances traditionnelles comme l’Égypte et la Syrie se sont retrouvées enlisées dans des conflits civils qui les empêchent de projeter leur pouvoir à l’extérieur. Les riches pétromonarchies du Golfe, elles, étaient presque idéalement adaptées aux nouvelles réalités structurelles du Moyen-Orient. Grâce à leur argent, leurs empires financiers et la position clé qu’elles occupent dans de vigoureux réseaux transnationaux comme les Frères musulmans (le Qatar) ou les marchés (les EAU), elles ont pu faire la démonstration de leur influence diplomatique et culturelle.

Malgré leur petite taille, ces pays disposent de forces armées extrêmement bien équipées et entraînées, épaulées par des mercenaires généreusement financés. Ce qui leur a permis de projeter beaucoup plus de puissance sur des théâtres comme la Libye et le Yémen que ne l’ont jamais pu les grands États arabes. Mais surtout, ces régimes exercent un contrôle presque total sur leurs populations, si bien qu’il leur est plus aisé de résister aux ingérences extérieures que des pays plus importants, moins riches et moins répressifs.

Dans ce nouvel ordre régional, la puissance en elle-même se manifeste différemment. Le soulèvement a suscité de nouvelles peurs quant à la survie des régimes, même parmi les plus prospères. Dans le même temps, les États en déshérence et les guerres civiles offrent à certains acteurs régionaux de nouvelles possibilités d’accroître leur influence.

La Tunisie et l’Égypte ont montré quels risques couraient les dirigeants [Ben Ali et Moubarak] trop sûrs de pouvoir maîtriser toute contestation de leur pouvoir. Quand le “printemps arabe” a atteint la Libye, trois États du Golfe – le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis –, ainsi que la Turquie, ont profité de l’occasion pour intervenir contre le dirigeant libyen Muammar Kadhafi, qu’ils détestaient. Les pays du Golfe ont utilisé leurs empires médiatiques [médias panarabes et chaînes satellitaires] pour attirer l’attention sur les atrocités en cours en Libye (tout en fermant les yeux sur des violences qui avaient lieu au même moment au Bahreïn). Et ils ont fait voter une résolution de la Ligue arabe afin de pousser les États-Unis et les Nations unies à soutenir le principe d’une intervention humanitaire. Ils ont également livré d’énormes quantités d’armes et d’argent aux milices locales, qu’ils appuyaient contre le régime.

Des interventions aux effets catastrophiques

Ces interventions indirectes ont eu des effets négatifs et durables. Le Qatar et les EAU ont tous deux soutenu l’opposition à Kadhafi, mais pas les mêmes forces locales. Après la chute du régime, ces milices ont conservé et leurs armes et leurs mécènes extérieurs, gênant du même coup la consolidation d’un État libyen fonctionnel et accélérant la plongée consécutive du pays dans la guerre civile. Encore aujourd’hui, le soutien militaire apporté par l’Égypte et les Émirats à l’opération Dignité du maréchal Khalifa Haftar, dont les troupes contrôlent une grande partie de l’est de la Libye, ne fait qu’aggraver les combats.

Les retombées dévastatrices de l’implication étrangère n’ont pas été immédiatement perceptibles. Dans l’ivresse de la révolution de 2011, les États du Golfe et la Turquie (comme les États-Unis) ont considéré leur intervention en Libye comme une réussite : comprenant l’intérêt qu’il y avait à soutenir des forces locales, ils se sont aperçus qu’ils pouvaient s’assurer du soutien de l’Amérique, de l’Europe et des Nations unies pour agir contre leurs rivaux. Conscients de ces nouvelles possibilités, ils ont vu dans l’insurrection populaire contre le président syrien Bachar El-Assad l’occasion d’arracher la Syrie à l’influence iranienne et de réajuster l’équilibre régional du pouvoir en leur faveur.

Début 2012, quand il s’est avéré qu’ils ne parvenaient pas à reproduire leur succès libyen en obtenant l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies en faveur d’une intervention contre Assad [à cause du veto russe], les États du Golfe et la Turquie ont alors décidé d’armer les insurgés. Même si cela ne suffisait pas à faire tomber Assad, c’était un moyen de fragiliser un allié de l’Iran et de porter des coups à l’adversaire directement sur son terrain.

Ce soutien extérieur aux rebelles syriens a eu des résultats catastrophiques. Si le régime d’Assad est principalement responsable des atrocités et de la brutalité endémiques du conflit, les appuis étrangers des insurgés ont contribué à intensifier les affrontements en dépit des coûts manifestes. Du fait du bouleversement politique dans la région, le plan était voué à l’échec. Chaque fois que les rebelles progressaient, des acteurs extérieurs concurrents – l’Iran, le Hezbollah et la Russie – intervenaient aux côtés d’Assad. Chaque progression entraînait inévitablement une contre-offensive, qui ne faisait qu’accroître encore les souffrances humaines.

Glissement vers le djihadisme

Dans le domaine de la guerre par procuration, certains intervenants se sont avérés plus doués que d’autres. Les forces qui soutiennent Assad se sont concentrées exclusivement sur la défense du régime. Les Iraniens, en particulier, sont passés maîtres dans l’art d’épauler les milices locales [notamment le Hezbollah libanais]. Le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie, eux, se considéraient autant comme des rivaux que comme des alliés, et leurs efforts, concurrentiels et non coordonnés, ont systématiquement échoué.

Bien que la Maison-Blanche ait tenté d’obliger les factions syriennes appuyées par les Qataris, les Saoudiens et les Turcs à coopérer, elle n’a pu surmonter les dissensions entre leurs bailleurs de fonds, ni imposer une stratégie cohérente. Ces problèmes ont été accentués par la privatisation de l’afflux d’armes et d’argent destinés aux groupes insurgés pendant la période décisive de la fin de l’année 2012 et du début de 2013, époque où les réseaux salafistes du Golfe ont fourni des fonds importants aux rebelles.

Ce qui a encore aggravé les tensions et fait glisser le centre de gravité de l’insurrection vers le djihadisme. Alors que le conflit se poursuivait, les États du Golfe et la Turquie se sont mis à soutenir des coalitions islamistes de plus en plus radicales, en quête de combattants efficaces. C’est dans cet environnement qu’est né Daech, non en tant qu’agent d’un quelconque État, mais en tant que force insurgée parfaitement adaptée à ce qu’était devenue la Syrie.

Après avoir passé des années à essayer à la fois d’armer, de modérer et d’organiser l’opposition à distance, les États-Unis ont fini par intervenir directement en Syrie pour lutter non contre Assad, mais contre l’EI. Une intervention réussie, dans la mesure où Daech a été détruit en tant qu’entité quasi étatique aussi bien en Irak qu’en Syrie. Dans le même temps, les objectifs et le mandat limités de la campagne ont permis aux Américains d’éviter de se retrouver pris au piège d’un conflit plus général avec Assad et la Russie.

Mais même cette intervention limitée contre l’EI s’est révélée extrêmement complexe à orchestrer. Ces dernières années ont vu Washington et Moscou s’efforcer de gérer leur compétition en Syrie. Et pendant ce temps, le régime soutenu par l’Iran et la Russie a impitoyablement reconquis le territoire contrôlé par l’insurrection, en déclin malgré ses appuis extérieurs.

Toutefois, même l’effondrement de Daech et les conquêtes significatives du régime d’Assad n’ont pas suffi à mettre fin au conflit. La Syrie, aujourd’hui État en déshérence, exerce un attrait magnétique sur d’autres pays de la région. La campagne contre l’EI ainsi a abouti à une implication accrue de la Turquie. Par ailleurs, Israël multiplie les frappes contre des cibles iraniennes et du Hezbollah dans tout le pays. Si aujourd’hui, tant l’opposition au régime que la campagne contre Daech diminuent d’intensité, la guerre de Syrie est plus internationalisée que jamais.

La Syrie est sans doute le cas le plus extrême, mais dans leur quête d’influence et de prestige, les puissances régionales ont également causé de terribles dégâts humains et politiques dans d’autres pays. Allant même jusqu’à déstabiliser des États qui n’étaient pas en proie à une guerre civile. Le pire exemple étant l’Égypte. En 2013, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ont soutenu le coup d’État du général Abdel Fattah Al-Sissi, qui a renversé Mohamed Morsi, le président élu démocratiquement, membre des Frères musulmans et soutenu par le Qatar. Mais en dépit des dizaines de milliards de dollars versés par les pays du Golfe, le régime d’une implacable brutalité de Sissi n’a pas réussi à garantir un retour à la normale ou à la stabilité. Même en Tunisie, qui a connu un succès relatif, la compétition entre le Qatar et les EAU est une source d’instabilité. Les énormes injections de devises étrangères et le soutien politique des alliés locaux ont pollué la démocratie naissante du pays.

Cette dynamique régionale turbulente s’explique par des “dilemmes sécuritaires” classiques : quand un État tente de renforcer sa propre sécurité, il déclenche des contre-mesures qui ne font que saper un peu plus sa sécurité. Tous les régimes arabes vivent aujourd’hui dans un grave climat d’insécurité, et ils redoutent de nouvelles explosions de colère populaire.

Les États-Unis ne rassurent plus

Malgré tous leurs efforts, jamais les États-Unis ne parviendront à rassurer une région aussi fragilisée sur le plan de la sécurité. Même avec un président américain qui adopte une ligne dure vis-à-vis de l’Iran et que l’autocratie ne dérange manifestement pas, les régimes arabes ne considèrent plus les États-Unis comme un garant fiable de leur survie ou de leurs intérêts en politique étrangère.

Dans ce nouvel environnement, il est logique, même pour des alliés proches de Washington, de chercher à établir des relations avec la Chine, la Russie et l’UE – comme le font désormais l’Égypte, l’Arabie Saoudite, la Turquie, les Émirats arabes unis, voire la Jordanie. Ils s’efforcent là, de façon rationnelle, de se prémunir contre l’imprévisibilité des États-Unis, mais cela pourrait aller beaucoup plus loin, selon la même dynamique liée à ces dilemmes sécuritaires qui ont déjà semé le chaos dans d’autres domaines de la politique régionale.

Le gouvernement Trump peine à affronter cette nouvelle réalité. Les brusques changements de politique de la présidence, les messages incroyablement incohérents qui proviennent de différents secteurs du gouvernement américain sont une source de confusion pour ses alliés comme pour ses ennemis. L’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis apprécient sans doute son intransigeance face à Téhéran et son soutien à la guerre au Yémen, mais les pressions de Washington pour que cesse le blocus du Qatar, ses appels à augmenter la production de pétrole et son intention affichée de se retirer de Syrie sont autant de sources de nouvelles exaspérations.

Quoi qu’il en soit, la politique chaotique de Trump ne devrait pas occulter les réalités structurelles plus profondes, que n’importe quel président américain aurait de toute façon le plus grand mal à gérer. Les États-Unis n’ont plus le pouvoir, ni le statut nécessaire pour imposer un ordre régional qui leur conviendrait. Il est fort probable que Washington ne parviendra jamais à rétablir son hégémonie au Moyen-Orient, car la région a fondamentalement changé. Il ne sera pas facile de passer outre aux conflits et aux échecs politiques qui ont suivi les soulèvements arabes. Les dégâts sont trop importants.

Marc Lynch


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