Le viol comme arme de destruction des femmes

vendredi 21 septembre 2018.
 

Le viol comme arme de destruction des femmes, c’est ce que raconte Carole dans le texte que nous publions ci-dessous avec son accord. Il a été rédigé moins de 48 heures après le verdict de la cour d’assises où son violeur a été condamné. Il veut témoigner de l’indicible. Sur les trois victimes de ce procès, une n’a pu être retrouvée et entendue par les jurés. L’autre a exprimé devant les jurés que sa vie heureuse s’était arrêtée en 2010.

Je reviens de l’enfer, je reviens du front. Je reviens du procès porté aux assises de Romain Clément, un violeur en série qui a cherché à nous anéantir moi et au moins trois autres femmes. Insoupçonnable pour ses proches. Voulant nous « soumettre, dominer, faire tomber de notre piédestal » selon ses mots lâchés pendant le procès, il apparaît comme l’une des répliques de l’idéologie de la haine des femmes. Et pour cela, il rôde la nuit, le jour. Il nous attaque par surprise et avec une grande maîtrise. Il nous étrangle. Il nous viole.

Présenté comme bien sous tout rapports par ses proches, « serviable, doux, joyeux, humaniste », comment ne pas penser à Guy Georges qui lui aussi était au-delà de tout soupçon selon son entourage. La violence imperceptible de cet homme « de type européen » m’a condamnée à l’hypervigilance, la peur, et des scénarios d’ultra-violence dans la rue. Ce sont les symptômes du traumatisme que j’ai vécu, me poussant à apprendre à me protéger par la pratique approfondie de sport de combat et de self-défense. À la barre, face à la salle des assises, j’ai dit qui j’étais, quelle était ma vie et pourquoi j’étais là. Ce combat, dur, est indispensable.

« Je suis ici parce que je veux que cette guerre contre les femmes cesse. Depuis le viol, j’ai eu à me protéger pour me sentir moins vulnérable dans l’espace public et parce qu’autour de moi, c’est une hécatombe. Ma vie est marquée par cette guerre qui est menée contre les femmes ».

« Je suis la fille d’une femme qui a été violée plusieurs fois dans son enfance ».

« Je suis la belle-fille d’une femme qui a été violée dans son enfance et qui, à la vie adulte, est tombée dans une dépression grave. Détruite par les viols, elle ne s’en relèvera pas. Elle s’est suicidée en 2007 ».

« Je suis la fille d’une femme dont l’une des proches a été assassinée par son conjoint ».

« Je suis l’amie de tellement de femmes qui ont été violées. »

« J’ai appris à me protéger et j’ai formé d’autres femmes à l’autodéfense. »

La salle restée silencieuse m’a témoigné son écoute, visiblement touchée par mon récit. C’est parce qu’une autre femme, dans une autre ville, a eu le courage de porter plainte pour viol que le violeur a pu, après cinq années d’impunité, être enfin confondu. Un nouveau procès en assises aura lieu. À ce jour, le violeur Romain Clément a nié les faits. Sa victime devra donc affronter la violence institutionnelle qui fait passer les victimes pour des témoins à qui il est demandé ensuite de prouver qu’elles sont victimes. Je tiens, en outre, à préciser que je connais de nombreuses femmes que l’on n’écoute pas quand elles vont, avec courage, déposer plainte pour viol ou violence de leur conjoint. Est-ce parce qu’elles sont précaires et/ou non-blanches ?

La haine des femmes de Romain Clément a été identifiée par les juges et juré·es comme une « altération psychique », réduisant ainsi sa peine maximale de 15 à 10 ans. Guy Georges et Dino Scala (le « violeur de la Sambre »), tous pétris d’idéologie de haine, de domination et de toute-puissance, étaient-ils « altérés psychiquement » pour exécuter les massacres et violences qu’ils ont commis ? La session de la cour d’assises s’est poursuivit le lendemain du verdict, le vendredi. Un homme y a été jugé pour l’assassinat de sa conjointe, un féminicide, un autre pour viols sur mineurs, illustrant les différentes facettes de cette haine.

Vendredi, au lendemain du verdict, est paru un article dans le journal « Le Monde » selon lequel les procès en assises ont diminué de 40 % depuis 10 ans alors que les plaintes ont, elles, augmenté de 40 %. Nos moyens pour nous défendre s’amenuisent alors qu’une large partie des viols est déjà jugée au tribunal correctionnel et n’est donc plus qualifiée de crime, mais de délit (60 à 80 % selon « Le Monde diplomatique » du 14 septembre 2018). Cela renforce malheureusement la dimension exceptionnelle des assises qui viennent d’avoir lieu.

Cette guerre nous impose, à moi comme aux autres femmes, de nous défendre. La résilience ne suffit pas, l’autodéfense est nécessaire. Pour nous, pour elles, pour toutes.


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