Parcoursup : 77.000 bacheliers dans la nature !

vendredi 14 septembre 2018.
 

Rentrée universitaire Le service public façon puzzle

L’heure de vérité est arrivée pour Parcoursup. Même si les résultats définitifs du nouveau système de sélection dans l’enseignement supérieur ne seront pas connus avant le 21 septembre, il est déjà possible de se faire une idée du désastre. Le 27 août, date butoir pour accepter une place dans la majorité des filières autorisées à prononcer un « non » ferme et définitif (BTS, DUT, prépas, certains cursus de licence), sur 812.000 candidats au moment des épreuves du bac, seuls 498.000 (61%) avaient accepté une place correspondant à leurs souhaits. Les 314.000 autres étaient pris dans la file d’attente des naufragés de Parcoursup, ou avaient déjà abandonné. Sur ces 314.000 personnes, 87.000 disposaient d’une proposition insatisfaisante. 60.000 n’avaient aucune proposition, et se trouvaient dans la situation des 6.000 « naufragés d’APB » recensés le 31 août 2017. Le ministère dissimule ce chiffre en qualifiant d’« inactifs » les 45.000 candidats non-pris en charge par l’un des dispositifs de secours de la plateforme – ces « inactifs » forment une catégorie mal définie, créée par le ministère en plein mois de juillet face à des résultats catastrophiques.

Sur ces 60.000, 35.000 sont des lycéens, ce qui suggère que les 25.000 restants sont massivement des étudiants en réorientation. Le dispositif aurait donc frappé durement la réorientation, caractéristique du système français, dont les sociologues ont pourtant montré l’efficacité... Le gâchis est complet !

Enfin, 167.000 personnes ont quitté le dispositif Parcoursup. Le ministère insiste sur la part des recalés au bac… mais ces recalés sont 90.000. Il reste donc 77.000 bacheliers dans la nature ! Ces bacheliers ont pour une part renoncé à l’enseignement supérieur, mais d’autres se sont tournés vers les établissements ayant choisi de ne pas participer à Parcoursup et de recruter leurs étudiants par des procédures maison, en jouant sur leur réputation et sur des campagnes de communication. Ces établissements annoncent avoir fait le plein dès le mois d’août, ce qui n’est pas le cas des cursus présents sur Parcoursup. Voici donc les premiers gagnants : l’enseignement supérieur catholique, certaines écoles privées, mais aussi… une université publique, Paris Dauphine, ancien établissement expérimental devenu un haut lieu de la pensée néolibérale, et pionnière de la déréglementation statutaire des universités.

On ne peut nier que le gouvernement ait aidé le secteur privé à accroître son attractivité aux yeux des bacheliers, et il faut bien parler d’un sabotage de l’enseignement supérieur public. Mais le « cas » de Dauphine est lourd d’une deuxième menace, à l’heure où le ministère a obtenu le droit de légiférer par ordonnances sur le statut des universités. Dans la mesure où le rapport « CAP 2022 » sur la réforme du service public préconise d’officialiser la différenciation du paysage universitaire entre des établissements de bassin et des universités d’excellence, il y a fort à parier que ces dernières, constatant le succès de Dauphine et soucieuses de ne pas se voir imposer des cohortes d’étudiants naufragés à quelques jours de la rentrée pour sauver la mise au ministère, demanderont à suivre cet exemple. Parcoursup pourra alors devenir ce qu’il a vocation à être : une machine à catalyser les inégalités. Car le statut spécial des établissements hors-Parcoursup va déjà de pair avec… l’autorisation de s’affranchir de l’encadrement des frais d’inscription. D’un côté, on entend se multiplier les exemples de néo-bacheliers recevant des offres de places à 3h de transport de chez eux, dix jours avant la rentrée, et, de préférence dans une métropole dont le marché immobilier est saturé. De l’autre, les personnes pouvant se permettre de débourser des frais d’inscription de plusieurs milliers d’euros ont obtenu une réponse fin juillet et ont pu préparer leur rentrée sereinement.

Préparer la rentrée sereinement, c’est ce que les personnels auraient voulu faire dans les établissements participant à Parcoursup. Mais jusqu’au 27 août, l’incertitude régnait quant aux effectifs étudiants : à cette date, au moins 102.000 bacheliers s’étaient vu promettre une place prochainement (15.000) ou en avaient déjà une, sans la valider (87.000). Le grand déblocage annoncé pour le 27 août a fait pschitt, puisque seuls 5000 cas ont été réglés ce jour-là… A quelques jours de la rentrée, les questions restaient donc inchangées : quel taux de remplissage dans telle classe de BTS ? Combien de groupes de travaux dirigés (TD) dans telle licence ? Dans un contexte de pénurie de personnel et de locaux, l’incertitude sur les effectifs, et notamment sur les groupes de TD, désorganise la rentrée et augure d’un semestre chaotique. Dans certains cursus, les étudiants ne se retrouveront face à un chargé de TD que plusieurs semaines après la rentrée, et ce chargé de cours ne pourra être qu’un précaire vacataire recruté à la dernière minute, sans avoir été associé à l’élaboration du cours. Face à cela, le gouvernement et ses alliés présidents d’université ne pourront proposer que des rustines. Très vite, le calendrier de la rentrée recommencera sans doute à se décaler vers l’automne pour redonner du temps aux parties prenantes. Or, en ces temps de précarité étudiante et de travail saisonnier quasi-général en été, la fin des rattrapages, fin juin, ne pourra guère être reculée sans toucher les étudiants précaires. Mais dans un contexte où l’arrêté ministériel sur la licence invite chaque établissement à rediscuter du principe des rattrapages, ce calendrier intenable sera vite brandi comme argument pour réduire la deuxième session d’examens, ce qui frappera là aussi de nombreux étudiants précaires, pour qui les rattrapages sont une possibilité d’aménager leur temps d’étude sur l’année.

Face au désastre, que faire ? D’abord, soutenir tout mouvement de contestation par les bacheliers, leurs familles et les personnels. Il n’est pas dit que l’échec de ce printemps soit une fatalité maintenant que la communication ministérielle s’est heurtée à la réalité. Ensuite, il faut réaffirmer qu’il existe une autre voie. Elle passe par la reconstruction de services publics nationaux et égalitaires, pour l’orientation scolaire et pour l’enseignement supérieur. Le service public du supérieur doit être organisé autour d’une université publique, gratuite, ouverte, laïque, démocratique et dotée de moyens pérennes permettant son fonctionnement. Elle passe aussi par une allocation d’autonomie pour les jeunes en formation, qui remédierait à la précarité étudiante, facteur majeur des difficultés en premier cycle. Et, enfin, par la revendication d’un plan logement qui fasse droit à la question spécifique du logement étudiant. C’est le sens des propositions portées par la France Insoumise depuis la présidentielle. Elle continuera à faire entendre cette nécessité démocratique : la citoyenneté ne doit pas s’arrêter aux portes de l’enseignement supérieur.

Jean-Louis Bothurel


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message