Jean-Michel Blanquer veut (encore) changer la formation des enseignants

lundi 3 septembre 2018.
 

Le premier ministre Édouard Philippe et le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer comptent réformer le système éducatif en s’inspirant des recommandations formulées par le Comité action publique 2022. Une refonte qui passe notamment par une évolution de la formation des enseignants.

En toute simplicité, Jean-Michel Blanquer et Édouard Philippe, respectivement ministre de l’éducation nationale et premier ministre, ambitionnent de « changer la vie des enseignants ». C’est ce qu’ils clament dans un entretien conjoint publié dans Ouest-France le 2 août. L’un des leviers pour le faire est le rapport « Comité action publique 2022 », dévoilé mi-juillet et qui consacre deux parties de sa réflexion à l’école et à l’université (lire notre article sur le sujet)

D’aucuns s’interrogeaient sur le statut de ce document. À savoir, allait-il finir comme d’autres rapports au fond d’un tiroir ou au contraire irriguer la politique des prochaines années ? Réponse donnée le 2 août : Matignon et la Rue de Grenelle ont gardé un certain nombre de propositions et en ont rejeté d’autres. La création d’un nouveau corps d’enseignants qui devait se substituer progressivement à celui des professeurs certifiés, proposition polémique s’il en est, n’est pas retenue, comme annoncé dans un communiqué. Édouard Philippe justifie cette décision par la nécessité de se focaliser sur des « réponses concrètes et opérationnelles ».

Le ministre de l’éducation nationale entend plutôt concentrer ses efforts sur la gestion des ressources humaines et la formation des enseignants. Il est vrai que depuis son arrivée à la tête du ministère, Jean-Michel Blanquer a consacré son énergie à des réformes destinées aux élèves, comme le dédoublement des classes de CP et bientôt CE1 en éducation prioritaire, la scolarisation obligatoire dès trois ans, la réforme à venir du baccalauréat et du lycée général et technologique ou la transformation de la voie professionnelle, etc.

Jean-Michel Blanquer explique, toujours dans le quotidien régional, que « la formation initiale des professeurs ne nous donne pas satisfaction. C’est vrai depuis des décennies et cela explique nos résultats parfois décevants dans les classements internationaux, par exemple dans l’apprentissage des mathématiques ».

Faire remonter les écoliers français dans les classements internationaux où ceux-ci ne brillent pas, et c’est un euphémisme, apparaît comme l’une des obsessions du ministre. Pour ce faire, il ouvre un nouveau chantier : celui de la formation dispensée dans les écoles supérieures de professorat et d’éducation (ESPE) créées en 2013 et dans les masters métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF).

Dans l’absolu, le sujet est consensuel, puisque les syndicats réclament que la formation des enseignants soit revue pour être renforcée et donner plus d’outils aux enseignants débutants, souvent affectés dans des zones délicates. Les professeurs en devenir souhaitent être également mieux encadrés.

En 2010, la réforme Chatel avait fait grand bruit et alimenté une forte colère. Cette réforme de la « mastérisation » avait instauré un recrutement des enseignants au niveau master (bac + 5) au lieu de la licence (bac + 3). Cela devait permettre, selon le ministre de l’époque, d’élever le niveau de qualification des professeurs. La première année de formation en alternance qui suivait le concours a été supprimée ; les nouveaux professeurs, les « stagiaires », sont ainsi parachutés dans les classes sans formation pratique. De fait, Bercy aura fait l’économie de 16 000 postes en 2010, dégageant ainsi 204 millions d’euros, mais la formation des enseignants en a pris un sacré coup et de fortes disparités sont apparues d’une université à l’autre.

C’est pourquoi le ministre entend développer un tutorat pour encadrer ces futurs professeurs et leur permettre d’échanger avec « des enseignants qui sont eux-mêmes au contact des élèves ».

Le concours pourrait changer de visage et être différencié, selon que le futur enseignant souhaite enseigner en primaire ou dans le secondaire. L’idée de créer des passerelles et d’ouvrir le métier à ceux qui souhaitent entamer une deuxième carrière dans l’enseignement est aussi à l’étude. Un cursus dédié sera mis en œuvre. En creux, l’exécutif entérine ainsi l’absence d’attractivité du métier parmi les jeunes, l’un des problèmes majeurs dans l’éducation nationale.

Plusieurs académies, comme Créteil ou Versailles, ont compté moins d’admissibles aux concours de l’enseignement que de postes disponibles. Les pré-recrutements, avant les concours, sont aussi envisagés. Là encore, c’est une idée à laquelle tient le ministre de l’éducation nationale. Il s’agit ainsi, selon lui, « d’encourager les vocations » en faisant par exemple évoluer le statut d’assistant d’éducation afin que cette expérience puisse être valorisée par un postulant aux concours de l’enseignement.

La formation continue sera aussi refondue, sans plus de précision sur la nature et l’ampleur de ce remodelage.

Le comité CAP 2022 préconisait d’instaurer des évaluations dans les établissements sous couvert de les « responsabiliser ». Pour ce faire, plusieurs critères seraient utilisés. Les résultats des élèves, mais aussi leurs conditions d’études et matérielles et l’implication des personnels. Ces données seraient ensuite rendues publiques dans un élan de transparence. Bien entendu, une telle démarche renforcerait de fait la hiérarchie entre écoles, collèges et lycées, déjà très présente, et favoriserait la concurrence.

Le gouvernement entend instaurer « une véritable culture de l’évaluation, transparente et publique » selon le communiqué de Matignon. Des tests d’acquis des élèves seront, dès septembre, organisés en début et milieu du cours préparatoire, en début de CE1, à l’entrée en 6e puis en 2de, toutes filières confondues. Déjà, depuis la rentrée 2017, les élèves de CP et de 6e sont évalués afin que leurs enseignants puissent cerner leur profil scolaire. Déjà, entre 2009 et 2012, Jean-Michel Blanquer, alors directeur général de l’enseignement scolaire au ministère, avait concocté des évaluations à faire passer aux élèves en fin d’année de CE1 et en milieu d’année en CM2 pour estimer les progrès des uns et des autres. La validité scientifique de celles-ci est contestée, rappelle le Café pédagogique.

Une instance ou agence sera créée par voie législative au premier trimestre 2019 afin d’évaluer les établissements scolaires. Le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) est déjà chargé de travailler sur l’amélioration de l’école française ; reste à voir comment les deux organismes d’évaluation pourront coexister.

La question des critères employés et de la composition de cette instance future est cruciale. Il convient aussi de s’interroger sur la place des personnels dans ce processus.

Le gouvernement confirme aussi le versement d’une prime spécifique, au montant progressif, aux enseignants d’écoles et de collèges labellisés REP +, le grade maximal de l’éducation prioritaire dès la rentrée prochaine. Ils recevront 1 000 euros net, puis 2 000 euros un an plus tard et 3 000 euros en septembre 2020. L’engagement pris par Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle était de verser 3 000 euros pour attirer des candidats et les stabiliser dans ces quartiers où les difficultés se concentrent. En 2015, Najat Vallaud-Belkacem avait déjà créé une prime analogue de 2 315 euros.

Le problème est que début juillet, le ministère de l’éducation nationale a évoqué l’idée d’adosser une partie de cette prime au mérite des élèves, expliquant que ce point devrait être soumis à discussion avec les différents syndicats.

Le ministère ne semble pas craindre de générer une forme de concurrence malsaine entre l’éducation prioritaire et les autres enseignants. Édouard Philippe a tranché. Il n’y aura pas de budget supplémentaire pour mettre en œuvre ces réformes. « Notre politique se fera à moyens contraints, mais nous investissons dans l’éducation et la formation, et cherchons à faire de profondes transformations, pas de petites économies. »

Pas question non plus de revenir sur le gel du point d’indice ou de rouvrir les discussions sur les parcours professionnels, carrières et rémunérations (le PPCR) des enseignants. Ceux qui souhaitent gagner plus devront faire des heures supplémentaires, ce qui ne concerne par ailleurs que le secondaire.

En mai 2016, Najat Vallaud-Belkacem avait lancé un plan de revalorisation d’un milliard d’euros d’augmentations jusqu’en 2020. Depuis 2017, les enseignants ont eu des augmentations de quelques dizaines d’euros net mensuels. Pas de quoi renverser la tendance : les enseignants français sont mal lotis au regard des traitements perçus par leurs homologues des pays de l’OCDE.

D’autres réformes vont être mises en œuvre comme la dématérialisation des démarches administratives dans les établissements scolaires. Il sera plus facile de régler les frais de cantine ou de remplir un dossier de bourse.

L’éducation nationale veut aussi développer une gestion des ressources humaines de proximité. Dans chaque académie, des fonctionnaires seront dédiés pour répondre aux demandes des enseignants. Des expérimentations en ce sens ont cours à Toulouse et Lyon.

L’organisation territoriale de l’administration de l’éducation nationale sera bouleversée et redécoupée en 13 académies, comme autant de régions. Les recteurs d’académie doivent proposer une nouvelle carte au 1er janvier 2020.

8 Par Faïza Zerouala


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