Sous la carte scolaire de 1963, il y a l’héritage de 1789

samedi 2 juin 2007.
 

Les dessous de la carte La seule chose que l’on sait, c’est que cela commencera à la rentrée 2007. Le gouvernement a annoncé son intention « d’assouplir » la carte scolaire dès septembre prochain, avec l’objectif de la supprimer purement et simplement dans les années qui suivent. Il lui faudra en effet plusieurs étapes, car pour l’heure personne ne sait au juste comment le système éducatif pourrait fonctionner sans système contraignant d’affectation des élèves.

L’existence de la carte scolaire répond en effet à des impératifs triviaux. Il est tout bonnement impossible pour l’État de préparer la rentrée scolaire s’il n’est pas en mesure de prévoir à l’avance les effectifs des établissements. Comment construire des collèges ou affecter des enseignants si l’on ignore comment les élèves vont se répartir sur le territoire ? On se souvient peut-être que dans le passé, de subits engouements pour certaines filières de l’enseignement supérieur (« communication » par exemple), où le principe affiché est celui du libre choix des établissements par les bacheliers, avaient conduit à des explosions d’effectifs extrêmement difficiles à gérer. Dans les écoles, collèges et lycées, il serait impossible d’amortir de tels mouvements, en raison de locaux et d’effectifs par classe non extensibles. D’ailleurs dans l’enseignement supérieur, il n’existe guère de cas où l’affluence d’étudiants n’aient pas débouché sur la mise en place d’une sélection plus ou moins officielle par les établissements et filières concernés...

Il est donc impossible que la suppression de la carte scolaire permette comme le prétend l’UMP « le libre choix des établissements par les familles ». Elle ne peut consister qu’en un libre choix des familles par les établissements. D’ailleurs, lorsqu’il n’était pas encore ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos parlait dans Le Monde du 6 septembre 2006 de laisser les établissements « recruter » des élèves là où ils le souhaitent et donnait en modèle le très sélectif Institut d’Etudes Politiques de Paris (« Sciences Po ») qui a ouvert un accès destiné à une poignée d’élèves de quartiers populaires, chargés de venir apporter un peu d’exotisme social dans cet établissement à la composition sociale très favorisée.

Il ne s’agit pourtant que de mettre le droit en conformité avec les faits, sachant que la carte scolaire est déjà contournée par 30% des familles claironnent les partisans de sa suppression. Mais ils oublient de signaler que dans les deux tiers des cas, il s’agit d’inscriptions dans les établissements privés. Pourquoi n’est-il jamais fait question du privé dans leurs tirades enflammées sur la mixité sociale ? Le projet gouvernemental apparaît dicté avant tout par l’idéologie méritocratique du nouveau président. Il s’agit d’enraciner la thèse selon laquelle la réussite n’est qu’une conséquence de choix individuels, comme celui de son école, et en aucun cas des logiques sociales à l’œuvre dans notre société. La remise en cause de la carte scolaire traduit tout bonnement le renoncement officiel de l’État à assurer le droit de tous à la réussite scolaire au profit d’un système légitimant la réussite d’une minorité favorisée censée incarner le mérite.

En cela, il est particulièrement malhonnête de faire passer la carte scolaire comme un simple dispositif technique ayant mal vieilli depuis son instauration en 1963, qui serait dès lors discutable sans remettre en cause les fondements de l’école républicaine. L’ambition républicaine d’assurer à tous les futurs citoyens un niveau élevé d’éducation a d’abord été satisfaite par l’école primaire publique, laïque, gratuite et obligatoire. La carte scolaire la prolonge dans le contexte de l’allongement de la durée des études et de l’urbanisation de masse. Or ces phénomènes n’ont cessé de s’accentuer. Dès lors on comprend que c’est en réalité à l’objectif républicain d’une même école pour tous que s’attaque ce gouvernement.

La suppression de la carte scolaire préfigure en effet la création d’un grand marché de l’enseignement, revendication constante des libéraux de par le monde. La concurrence des établissements ouvre la voie à de nouveaux acteurs privés qui pourraient commencer par les niches rentables. Cette évolution a un coût : la rupture avec les fondements de la Nation républicaine. Le tri scolaire des jeunes dessine une société d’apartheid social où chaque groupe social s’habitue dès l’enfance à se développer en marge de l’autre. La légitimation méritocratique de cet apartheid social renforce la domination sur ceux qui ne disposent pas dès leur naissance des mêmes ressources pour affronter une telle compétition. Sous la carte scolaire de 1963, il y a l’héritage de 1789.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message