Les évadés fiscaux font leur beurre sur l’argent des chômeurs

jeudi 2 août 2018.
 

Des citoyens ont retracé le circuit très opaque de la dette de l’assurance-chômage française. Leur enquête montre que les détenteurs de cette créance, auxquels l’Unédic verse 400 millions d’euros d’intérêts par an, opèrent dans les paradis fiscaux.

Ce vendredi matin, au moment même où le Conseil des ministres se penche sur les réformes de la formation professionnelle, de l’apprentissage et du système d’indemnisation du chômage qui constituent le projet de loi «  pour la liberté de choisir son avenir professionnel  » – un titre pour le moins décomplexé –, une quinzaine de membres du Groupe d’audit citoyen de la dette de l’assurance-chômage (Gacdac) rendent public un premier rapport sur la dette de l’Unédic. Ils dénoncent l’opacité du financement de l’organisme chargé de la gestion des cotisations de 16,5 millions de salariés, un «  système-dette  » volontairement mis en place par ses dirigeants avec le soutien de l’État et des investisseurs sur les marchés financiers, détenteurs de 35 milliards d’euros de titres de créances sur l’assurance-chômage. Des investisseurs dont certains flirtent avec les paradis fiscaux, et se trouvent en bonne place sur les listings des Panamas et Paradise Papers révélés dans la presse.

Où va l’argent de l’Unédic  ? Quel est le niveau d’évasion fiscale tiré des cotisations des salariés et de la CSG, l’impôt payé par les salariés et les retraités pour financer une partie de la protection sociale  ? Après plusieurs semaines d’enquête dans les méandres de la comptabilité et des opérations financières de l’Unédic, ce que les membres du Groupe d’audit citoyen de la dette de l’assurance-chômage (Gacdac) ont découvert les a laissés pantois. D’autant que plus d’un chômeur sur deux n’est pas indemnisé.

Si le montant de la dette du gestionnaire des allocations-chômage, estimée entre 34 et 37 milliards d’euros, n’a pas vraiment surpris les membres du Gacdac, la proximité de l’Unédic avec certains créanciers adeptes de l’optimisation, voire de l’évasion fiscales les a, en revanche, stupéfiés. «  L’opacité du système ne nous a pas aidés. Nous ignorons précisément où sont les titres (de dette de l’Unédic), mais nous savons avec certitude que les entités qui les détiennent sont présentes dans les listings des Paradise ou Panama Papers (ces fichiers de comptes cachés dans les paradis fiscaux qui ont fuité dans la presse – NDLR). Sur cinquante investisseurs que j’ai réussi à repérer, la moitié est présente sur ces listes  », révèle Louise Ferrand, qui a conduit les recherches ­documentaires pour le groupe d’audit.

Pour emprunter sur les marchés financiers, l’Unédic, via des banques dites «  placeuses  », émet des titres, des obligations, pour l’essentiel assez encadrés. Pour ses besoins de financement à court terme, elle recourt à des Euro Medium Term Notes (EMTN) imaginés aux États-Unis, des prêts très flexibles en taux, durée et peu réglementés, donc très prisés des «  investisseurs  », qui peuvent les échanger sans trop de contraintes. Pour ses affaires, l’Unédic fait appel à une vingtaine d’établissements financiers  : les banques françaises BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, Bred et ­Natixis, les britanniques Barclays et HSBC, la suisse Crédit suisse, ou encore l’italienne Unicrédit, les allemandes Commerzbank AG, Nord/LB, Landesbank Baden-Württemberg, DZ Bank AG et Helaba, les américaines Citigroup et J.P. Morgan, la canadienne Scotiabank et la japonaise Daiwa Capital. « Nous ignorons qui sont les vendeurs et les acheteurs  »

«  Aucune de ces banques, quel que soit le montant des titres qu’elle achète, n’a à rougir puisqu’on estime qu’elles pratiquent toutes, avec plus ou moins de dextérité, l’évasion fiscale  », notent les auteurs de l’audit, déçus de n’avoir pu présenter un tableau exhaustif des acteurs de la dette de l’assurance-chômage. Notamment ceux du marché dit secondaire, où se joue le gros de la partie, et qui, grâce à des réformes des Codes du commerce, monétaire et financier de 2002, bénéficient de véritables paravents qui garantissent leur anonymat.

Une fois acquis par les banques, les titres de l’Unédic sont en effet revendus sur un autre marché, le marché secondaire, en échange d’une commission, bien sûr, via une chambre de compensation, institution financière qui joue les intermédiaires dans les transactions en assurant leur bonne exécution. En l’occurrence, Euroclear, l’une des deux chambres européennes  ; la seconde, Clearstream, avait défrayé la chronique dans les années 2000. Selon le Gacdac, l’Unédic verserait autour de 400 millions d’intérêts aux investisseurs sans les connaître vraiment, expliquait son directeur, Vincent Destival, auditionné par les sénateurs en 2015  : «  Nous n’avons pas de suivi précis sur la manière dont notre dette est renégociée sur les marchés entre détenteurs primaires et des investisseurs intéressés. Nous savons à quel prix mais nous ignorons qui sont les vendeurs et les acheteurs.  » L’un d’eux a pourtant été repéré par les auteurs du rapport  : Sicav-Fis, adepte de l’optimisation fiscale. «  En fouillant, je suis tombée sur ce fonds de compensation privé. Il a été créé pour gérer la réserve du régime général des pensions de retraite des Luxembourgeois. En 2016, il possédait pour 7,95 millions d’euros de titres de l’Unédic  », précise Louise Ferrand. La dette équivaut à un an de recettes de cotisations

Les citoyens auditeurs ont ainsi retracé le circuit d’une partie de la dette de l’assurance-chômage française passant par le Luxembourg  : le Crédit suisse (sous le coup d’une enquête pour blanchiment aggravé, pour ne pas avoir déclaré des milliers de comptes au fisc français) gère pour Sicav-Fis un emprunt de 252 millions d’euros qu’il a lui-même placé avec HSBC (un champion des placements dans les paradis fiscaux, qui vient d’éviter un procès en versant 300 millions à l’État français pour compenser les impôts dus) sur le marché primaire pour le compte de l’Unédic. «  Nous demandons que la clarté soit faite sur l’identité des créanciers. Nous voulons savoir où passe l’argent de la collectivité  », explique Pascal Franchet, du Gacdac. Lui ne se fait pas d’illusions sur la réponse attendue à la longue liste de questions que les auditeurs posent, dans une lettre jointe à leur rapport, à la ministre du Travail, aux administrateurs et à la direction de l’Unédic. «  Les dirigeants ont fait le choix du système-dette, de l’endettement pour financer l’assurance-chômage avec le soutien de l’État qui garantit les emprunts. Cet aval de l’État permet à l’Unédic d’obtenir des taux d’emprunt très bas auprès des banques. Mais, si les taux remontent, ce qui est probable, ce sera une catastrophe pour le système d’assurance-chômage  », poursuit Pascal Franchet.

La dette équivaut désormais à un an de recettes de cotisations. Des cotisations dont le taux stagne depuis maintenant quinze ans, alors que le nombre de chômeurs a, lui, doublé. «  En fait, les allocations-chômage sont une variable d’ajustement. D’où la nouvelle course à la radiation qui s’annonce  », déplore Pascal Franchet.

Sylvie Ducatteau, L’Humanité


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