Grand Patronat : Geoffroy Roux de Bézieux, un militant politique ultralibéral conservateur à la tête du MEDEF

mardi 31 juillet 2018.
 

Geoffroy Roux de Bézieux a été élu le 3 juillet dernier, à 56 % des voix exprimées, nouveau président du Medef, l’organisation qui revendique de représenter le patronat français. En réalité, avec 130 000 membres, le syndicat patronal est une organisation rabougrie, qui ne représente plus grand monde. Face aux 3,5 millions d’entreprises du pays, sa représentativité est bien plus faible que celle des syndicats de salariés !

Geoffroy Roux de Bézieux prend donc la tête d’une coquille vide, sans aucune légitimité à parler au nom des patrons. Mais qui est cette personne, en charge d’organiser toutes les offensives du CAC40 contre nos droits dans les années à venir ?

Encore un héritier à la tête du MEDEF

Sur le papier, il s’inscrit dans la plus pure continuité vis-à-vis des dix anciens dirigeants du mouvement patronal depuis 1945 (le Medef, et avant lui le CNPF). C’est un homme de 56 ans, fils de banquier, formé dans l’établissement privé catholique Sainte-Croix de Neuilly, puis en école de commerce à l’ESSEC. Né avec une cuillère en argent dans la bouche, le nouveau président du Medef est un héritier. Il avait annoncé vouloir féminiser le Medef, mais le premier bureau élu dans la foulée de son intronisation ne compte que 2 femmes pour 11 hommes. Déjà un engagement électoraliste oublié...

C’est certes un héritier, mais plus encore un aristocrate revendiqué. Il appartient en effet à une « famille subsistante de la noblesse française » (titre que se donnent les familles qui descendent en ligne biologique masculine, par mariage, d’ancêtres nobles), qui est entrée dans l’Association d’entraide de la noblesse française en 1989. Il incarne à la perfection l’Ancien régime, de retour aux commandes dans la République, et désormais à la tête de la plus imposante organisation patronale.

Après un début de carrière à L’Oréal, il est parvenu à s’enrichir par une succession d’achats et de vente d’entreprises dans les télécoms. Car notre homme a une stratégie commerciale : créer des entreprises pour les revendre à d’autres, sans le souci de construction pérenne ou de stratégie industrielle. Il fonde The Phone House en 1996, revendu quatre ans plus tard au groupe Carphone Warehouse avec une ponction personnelle de 40 millions d’euros. En 2004, il développe un opérateur de réseau mobile virtuel (Omea Telecom), revendu en 2014 à SFR. Il prend alors la tête de Virgin Mobile France, vendu ensuite à Patrick Drahi. A cette occasion, les salariés ont obtenu 1800€, tandis que les neufs cadres ont touché 10 millions d’euros.

A partir de là, il adopte une nouvelle orientation : constituer un empire industriel à partir du rachat d’entreprises déjà existantes. Pour cela, ils constituent la société Notus pour prendre des parts dans (ou acquérir intégralement) d’autres sociétés : Oliviers & co. (huile d’olive de luxe), Le Fondant Baulois (pâtisserie chocolatée) Chullanka (équipement de randonnées), Chronoloisirs (équipement de pêche), Amsterdam Airs (triporteurs et vélos électriques). Il dégage actuellement 40 millions d’euros de chiffre d’affaire avec la société-mère Notus.

En « marche ou crève »

En terme de méthodes, c’est un patron de choc. Il confiait dans une interview à Enjeux-Les Echos en 2011 que « travailler avec moi, c’est un peu marche ou crève. Avec beaucoup de plaisir si on marche et beaucoup de souffrance autrement. Et je ne fais pas de prisonnier ». Dans cette même logique, il est hostile à toute grande négociation interprofessionnelle. Il entend re-féodaliser le droit du travail : remplacer les négociations nationales ou de branche par des discussions de couloir en tête à tête entre les salariés et leur employeur ! L’idée est de casser tout rapport de force du camp salarié.

Il est fâché avec un certain nombre de faits. En 2007, il donne la réplique télévisée à Ségolène Royal à la télévision, se présentant comme petit employeur de PME… alors qu’il est déjà directeur général de Virgin Mobile France ! Interrogé sur le montant mensuel du SMIC dans une émission de RTL, le 30 juin dernier, il a osé répondre « 1280 net, quelque chose comme ça ». Une erreur de plus de 100€, inacceptable pour un homme qui a présidé l’Unédic en 2008. Mais ne comptez pas sur lui pour demander la hausse du SMIC pour autant !

Cet amateurisme ne l’empêche pas de tonner, avec autant d’imprécision, contre l’encadrement envisagé des CDD par le gouvernement. Il est déjà parti en croisade, comme tous ses prédécesseurs, pour une « baisse des charges », et une « simplification du Code du travail » et des « négociations décentralisées entreprise par entreprise ». Toujours la même ritournelle depuis trente ans…

Patron ? Non militant politique !

Ses lectures ? Alexis de Tocqueville, lorsqu’il prône un Etat réduit à la police et à l’armée, ainsi que Milton Friedman, le père des « thérapies de choc » capitalistes appliquées dans le Tiers-Monde ou dans le sud de l’Europe, généralement par des gouvernements autoritaires.

Geoffroy Roux de Bézieux est aussi un militant conservateur assumé. Il était en première ligne de la « Manif pour tous » en 2013, contre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Il s’est prononcé avec vigueur contre l’adoption pour les couples de même sexe.

Il n’a jamais non plus tari d’éloge pour les politiques menées depuis 10 ans… qui ont pour unique défaut d’être trop lentement mises en œuvre. Sous Hollande, il l’encensait en expliquant que « le cap politique qu’a choisi François Hollande est le bon, et nous on pense qu’il faut aller plus vite et plus fort ». Sous Macron, il se félicite que « ce gouvernement est pro-emploi » et qu’« avec la réforme du code du travail, le gouvernement va dans le bon sens ». Les deux hommes s’étaient déjà côtoyés en 2007, dans la Commission Attali instituée par Nicolas Sarkozy – pour lequel Geoffroy Roux de Bézieux avait fait campagne, et qu’il soutiendra à nouveau en 2012.

Mais à quoi sert encore le Medef ? C’est une question qui circule doucement dans les couloirs de l’organisation, alors qu’Emmanuel Macron prend officiellement en charge ses intérêts. La plupart des revendications historiques ont été atteintes : plus d’ISF, plus de cotisations sur les bas salaires, liquidation du code du travail, démantèlement des seuils sociaux et des instances de défense du personnel. Si Emmanuel Macron parvient à abattre le régime français de retraites par répartition, tous les grands axes du Conseil national de la Résistance de 1945 auront été supprimés. Du même coup, le rôle du Medef comme groupe de pression devient problématique, et conduit l’organisation à une crise d’identité.

D’autant plus que Geoffroy Roux de Bézieux est dans une position plus fragile que Pierre Gattaz à son arrivée. Il n’a été élu qu’avec 60 voix de plus que son concurrent (sur 509). En outre, le Medef demeure divisé par les années Gattaz, qui a montré aux Français le vrai visage d’un accapareur sans scrupule, abîmant l’image que l’organisation avait essayé de construire.

En tout cas, le président de la République connaît désormais le nom de son principal collaborateur pour les quatre ans qui viennent. Président des riches, il était logique qu’il se fasse assister d’un riche patron dans son œuvre.

Hadrien Toucel


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