Bilan footballistique d’un mois de Mondial russe

lundi 23 juillet 2018.
 

A 65 ans, Ladislas Lozano, coach de la légendaire épopée des amateurs de Calais en Coupe de France en 2000 ex-entraîneur du Stade de Reims ou du Wydad Athletic Club, au Maroc, a décortiqué pour l’Humanité un mois de Mondial russe. Un entretien instructif et passionné.

-Qu’est-ce qui vous a marqué sur le plan du jeu lors de cette Coupe du monde russe ?

Ladislas Lozano. Jusqu’ici, on était habitué à ce que faisait l’Espagne, qu’avait repris aussi l’Allemagne et le Brésil par moments : un jeu de « toque » pour reprendre l’expression espagnole, avec une touche, deux touches de balle et une construction de jeu bâtie sur une multiplication de passes qui endormait ou même enivrait l’adversaire avant de finalement trouver l’ouverture. Et en face, l’équipe adverse défendait en espérant profiter d’une situation en contre en laissant deux voire trois joueurs devant. Il y avait donc une faiblesse défensive. Aujourd’hui, ce « toque-toque » ne sert plus à rien. C’est fini parce que les équipes adverses se sont mis délibérément en position de défense, avec quasiment deux lignes de cinq joueurs pour défendre. Mais, c’est fait de façon intelligente et pensée : les équipes se positionnent bas et disent « venez-nous attaquer », tout en comptant sur des joueurs phénoménaux qui jouent à la Mbappé, tout en explosivité et en vitesse de percussion.

-La meilleure clé pour débloquer ce football défensif, c’est donc la vitesse ?

Ladislas Lozano. Oui, parce qu’avec un sous-nombre de joueurs au niveau de l’attaque, si on n’est ni puissant, ni véloce, on n’y arrive pas ! On l’a vu avec l’Espagne –éliminée par la Russie en 8e de finale- qui n’avait pas d’élément capable de percuter, c’est une obligation d’avoir ce type de joueur puissant et véloce. Pareil pour le Portugal, champion d’Europe, qui a Ronaldo, c’est vrai, mais qui n’est plus tout à fait dans ce registre. La force de Ronaldo, c’était sa valeur face au but adverse et les opportunités de frappe qu’il trouvait à 20-28 mètres des buts. Aujourd’hui, il y a très peu de buts à cette distance, à l’exception presque de la fantastique reprise de Benjamin Pavard contre l’Argentine. Il y a toujours un pied, une tête qui stoppe la frappe à venir, avec parfois trois-quatre joueurs en situation d’opposition entre le frappeur et le but adverse. Les Belges se sont d’ailleurs heurtés à cette situation contre la France en demi-finale.

-En résumé, le jeu a subi un complet renversement en l’espace d’une Coupe du Monde ?

Ladislas Lozano. Exactement, parce qu’en 2014 lorsque l’Allemagne est championne du monde, ils battent le Brésil en demi-finales (7-1) avec du jeu collectif : à toi, à moi, ping-pong, pam, tiens vas-y mets-là ! Et ça, on ne l’a plus vu lors de cette Coupe du Monde. Quand une attaque était bien menée en puissance et en vitesse, les joueurs adverses la stoppaient loin du but adverse, quitte à faire une faute, tout de suite après la perte de balle. Côté Croate, le défenseur Dejan Lovren est la « meilleure » illustration de ce principe : il n’a pas arrêté de faire des fautes tout au long de cette Coupe du Monde et c’est incroyable qu’il ait même pu jouer la finale.

-Pour vous, cette Coupe du Monde n’est donc pas une réussite sur le plan du jeu ?

Ladislas Lozano. Non, parce que philosophiquement parlant, se mettre en situation de défense, ça va à l’encontre de l’esprit du foot. Mais, finalement et heureusement, ce sont toujours les meilleurs qui s’en sortent au bout du compte…

-Et les meilleurs, ce sont les Européens au complet dans le dernier carré…

Ladislas Lozano. Oui, l’Europe en terme de formation est aujourd’hui au premier plan de l’évolution du football. Ensuite, la puissance économique des clubs européens leur permet le recrutement des meilleurs joueurs du monde. Tout au long de leurs championnats et au moment des Coupes d’Europe, ils répètent des situations avec des difficultés énormes pour faire la différence et c’est dans la difficulté qu’on progresse le plus.

-Côté individuel cette fois, est-ce qu’il y a un joueur que vous ressortez de ce Mondial ?

Ladislas Lozano. En termes de football et de jeu, le Croate Luka Modric est haut la main le meilleur joueur du tournoi : il attaque, il organise, il défend, il joue complètement pour son équipe. C’est un meneur de jeu, un numéro 10 à l’ancienne, qui n’est plus dans les plans du football actuel. Modric, c’est le Platini d’antan, qui fait tomber les ballons là où il faut quand il faut.

-Et, si je vous demande le nom du « coach » du tournoi ?

Ladislas Lozano. Didier Deschamps. La réussite des Bleus, elle tient beaucoup à la valeur de cet homme qui, comme Aimé Jacquet en 1998, a été très critiqué. Peu importe ce qu’il faisait, essayait, les médias faisaient toujours peser en arrière-plan le recours à Zidane… Mais, il a su imposer ses joueurs, les choisir, en écarter d’autres et dans cette équipe de France, il n’y a aucune vedette. Et, s’il devait y en avoir une, la seule c’est Didier Deschamps. Personne dans cette équipe n’a pris le dessus sur un autre, c’est toujours l’équipe et le groupe qui ont primé.

-Que retenir finalement de l’assistance vidéo pour les arbitres ?

Ladislas Lozano. L’idée, c’était de minimiser les erreurs de jugement et les injustices sauf que c’est finalement toujours l’arbitre qui reste le maître du jeu et peut persister dans son erreur. La position sacrée de l’arbitre demeure. C’est donc un système pour moi qui ne fonctionne pas complètement, même s’il est effectivement utile pour trancher si un ballon a franchi la ligne de but. Ensuite, ce qui me gêne, c’est que le vice doit exister et continuer d’exister dans le football : désolé de le dire, mais un attaquant doit être « vicelard » et c’est aux défenseurs de s’adapter à ça. Or, avec l’excès d’images, on est en train de dénaturer le football qui doit continuer d’exister avec ses incertitudes.

-Enfin, s’il y a un geste technique qui vous a marqué pendant ce mois de compétition, ce serait lequel ?

Ladislas Lozano. Tout le problème des entraîneurs, c’est d’arriver à trouver des solutions aux problèmes qui leur sont posés. Et dans un football défensif, la frappe à mi-distance est une de ces solutions : donc je pense à la frappe du Belge Kevin De Bruyne contre le Brésil en quart de finale avec un ballon parti à une vitesse folle. La cage aurait été positionnée 25 mètres plus loin, le ballon continuait encore et y allait. C’est la même chose avec le but de Benjamin Pavard : un geste parfait avec prise de la balle sur l’extérieur pour la faire tourner et la faire revenir vers le but. Ces deux gestes-là, c’est le bonheur suprême de l’entraîneur.


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