Nous sommes tous des bleus ?

dimanche 22 juillet 2018.
 

La qualification de l’équipe de France de football pour la coupe du monde 2018 a suscité beaucoup d’émotion au sein d’un large public pouvant souvent s’exprimer par différentes manifestations festives et autres concerts de klaxon.

Certains événements sportifs de grande ampleur, comme les faits divers marquants peuvent provoquer un fort sentiment d’appartenance à une même collectivité partageant une communauté de valeurs par-delà les différences d’opinions politiques, de convictions religieuses., De statuts sociaux,… À cela s’ajoute évidemment dans le cas de certains sports populaires et de certaines musiques une communauté de goût ou de passion.

Mais nous faire croire que l’ampleur de la couverture de la coupe du monde de foot par les médias ne s’explique que par ses raisons relève du « footage de gueule » : c’est nous prendre tous–tess pour des bleus ou des oies blanches.

Il est bien évident que derrière le jeu et son spectacle sur son terrain verdoyant, se profile en arrière-plan une montagne d’argent alimentant divers acteurs dont les médias.

Le « spectacle–foot » devient alors un produit de consommation. En même temps, il est propulsé et est valorisé par une idée chère à l’idéologie libérale : la compétition.

Pour prolonger notre propos, nous publions ici un article du Monde en collaboration avec l’association « Sport et citoyenneté ».

Le Mondial, un spectacle pour les consommateurs ou pour les citoyens ?

En France, la loi garantit l’accès libre des téléspectateurs "à la retransmission d’événements jugés d’une importance majeure pour la société". Un principe qui ne va pas de soi.

Source : Le Monde | 05.07.2010

https://www.lemonde.fr/sport/articl...

La télévision par câble ou par satellite, les chaînes cryptées ou encore le pay-per-view ont érodé le modèle d’accès gratuit aux grands évènements sportifs par des chaînes hertziennes. Face à cette menace, un décret du 22 décembre 2004 impose que 21 événements sportifs "majeurs" soient accessibles à tous en France. Ce décret est lié au marché unique européen et à une directive communautaire "Télévision sans frontières" (1989) visant à permettre "au public d’accéder librement à la retransmission d’événements jugés d’une importance majeure pour la société".

Certains spectacles sportifs semblent ainsi être devenus des biens publics auxquels le citoyen doit pouvoir accéder sans payer. Evidemment, cette définition du spectacle sportif ne va pas de soi. On peut tout d’abord s’interroger sur le périmètre des événements retenus qui correspond largement aux meilleures audiences et renforce ainsi les clivages entre les sports médiatisés et les autres.

De plus l’application de la loi pose problème puisque, par exemple, la finale du championnat d’Europe de handball remportée par la France en 2006 n’a pas été diffusée sur une chaine hertzienne alors qu’elle fait partie des 21 événements majeurs. Il convient également de se demander ce qui légitime la défense de l’accès au spectacle sportif. Est-ce pour aller dans le sens d’un modèle de consommateur-citoyen, à l’image de ce que les conservateurs espagnols exprimaient à propos de la médiatisation du football : "cette conquête sociale qu’est le football pour le consommateur espagnol" (Le Monde, 31 mai 1997) ? Est-ce parce que l’émotion collective des grandes victoires entretient le sentiment d’appartenance à une communauté et permet l’affirmation de liens qui dépassent les clivages sociaux ? Faut-il garantir l’accès aux grands événements sportifs parce qu’ils symbolisent une culture partagée ?

LE PARADOXE D’UN SPORT À USAGES CONTRADICTOIRES

Le désir d’une citoyenneté soucieuse d’un renforcement des liens sociaux est louable mais les effets de la célébration des héros nationaux demeurent souvent modestes : la France "black-blanc-beurs" de 1998 n’a laissé que bien peu de traces. Les détracteurs du spectacle sportif suggèrent que la massification du spectacle sportif détourne l’attention des citoyens des questions politiques plus fondamentales. En effet, la mobilisation politique semble varier en raison inverse de la diffusion de la consommation (Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, 1983, Paris, Fayard) et on peut s’interroger sur la contribution à la citoyenneté d’un spectacle sportif essentiellement masculin, médiatisé par des journalistes hommes pour une audience masculine.

Est-ce pour tempérer une vision libérale du marché et la rendre plus acceptable que l’accès de tous aux grands événements sportifs est devenu un droit ? Alors que la figure du consommateur a effacé celle du travailleur avec la montée du libéralisme (Ohl F., La construction sociale des figures du consommateur et du client, 2002, Sciences de la société), la mobilisation de la figure du citoyen est une façon d’y résister (Gabriel Y., Lang T., The Unmanageable Consumer. Contemporary Consumption and its Fragmentations, 1995, London, Sage).

Il peut donc sembler paradoxal de sélectionner des produits de grande consommation et de les métamorphoser en évènements "d’importance majeure" au nom de la culture et de la citoyenneté. Le paradoxe est bien celui du sport qui connait des usages multiples et contradictoires : il peut renforcer un sentiment communautaire ou, à l’opposé, accentuer des clivages.

Fabien Ohl et Lucie Schoch (Université de Lausanne)

Note complémentaire à l’article Sport et Citoyenneté est un cercle de réflexion avec lequel Le Monde.fr Sport collabore régulièrement. Ainsi pouvez-vous trouver sur nos pages des articles publiés dans la revue trimestrielle de l’association.

Site de l’association : https://www.sportetcitoyennete.com/ On y trouve dans le dernier numéro de 2018 un article sur la conférence internationale « Sport et diversité ».

Hervé Debonrivage


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