La laïcité dans l’entre-deux-guerres et le statut d’Alsace-Lorraine

lundi 28 mai 2007.
Source : UFAL Flash
 

La période de l’entre-deux-guerres, rarement considérée comme une période charnière en termes de laïcité, est pourtant riche d’enseignements. La laïcité y apparaît rapidement comme une idée aux applications contrastées.

L’entre-deux-guerres n’est pas le temps de l’élaboration de la laïcité scolaire mais celui de son application. De ce fait, les hommes politiques ont tendance à ne pas penser que des enjeux majeurs se jouent. Pourtant, des choix sont faits, non pas de manière explicite lors de débats portant sur la question laïque, mais dans la pratique et au détour de débats plus généraux.

La laïcité, un symbole d’unité et d’universalité ?

L’exemple le plus frappant demeure celui du retour de l’Alsace et de la Moselle dans le giron français après la Première Guerre Mondiale [1]. Ces départements ne connaissent ni les lois qui ont laïcisé l’école (1881-1882-1886) ni celle qui a laïcisé l’Etat (1905). En 1919, se pose alors pour les hommes politiques la question de l’introduction ou non de la législation laïque dans ces trois départements recouvrés. Faut-il imposer le régime de la séparation et les lois laïques ? Le choix est fait de ne pas introduire la législation laïque. Or, le fait de remettre à plus tard tout changement l’a finalement rendu impossible.

Lorsque le gouvernement du Cartel des gauches tente de le faire en 1924, il est très vite désarçonné par une mobilisation de l’épiscopat français, d’une partie de la population d’Alsace et de Moselle et des associations catholiques qui demandent le respect des consciences. En 1929, cette question vient enfin en discussion mais la situation est complètement nouée. Le débat oppose clairement les partisans d’une conception centralisatrice de la République une et indivisible aux partisans d’une conception décentralisatrice de type fédéralisme régional, respectant les particularismes.

Pour les laïques, il s’agissait d’affirmer un principe universel. Il était alors inconcevable que la laïcité ne soit pas en vigueur sur l’ensemble du territoire français. Il en allait de l’unité du pays. Cet exemple traduit finalement le choix de ne pas considérer la laïcité comme un principe immuable et intangible, mais plutôt comme une idée qui peut être appliquée de façon contrastée lorsque les circonstances le demandent. Les désaccords portent bien souvent précisément sur ce « quand les circonstances le demandent ». L’affaire de l’Alsace et de la Moselle et bien d’autres après, ne coupe-t-elle pas l’idée laïque de sa vocation d’universalité ?

La limite géographique de la laïcité ne s’arrête pas au cas de l’Alsace et de la Moselle, il en fut de même pour les pays colonisés et sous protectorat français. Ces choix ont inévitablement contribué à la multiplicité de la laïcité et annoncent ce que nous appelons aujourd’hui la laïcité ouverte, la laïcité-tolérance qui veut se démarquer de la laïcité stricte.

Se pose alors, aujourd’hui comme entre 1919 et 1939, la question de la juste application lorsqu’elle peut être différente selon les lieux ou autre déterminant. Il est souvent question de redéfinir la laïcité ou encore de l’adapter au vue de l’émergence de nouvelles religions dans la société française ; faut-il privilégier une unité d’application pour éviter le risque d’injustices ou bien favoriser la multiplicité pour adapter ce principe aux évolutions de la société française ?

[1] L’Alsace et la Moselle (trois départements) sont, à cette époque, sous le régime du Concordat, des Articles organiques et autres textes antérieurs à 1871, puisque ces textes avaient été maintenus par l’Allemagne lorsqu’elle avait annexé les trois départements.

Audrey Baudeau est l’auteur d’une thèse intitulée « La question laïque en France dans le domaine scolaire pendant l’entre-deux-guerres 1919-1939 » Doctorat en Sciences de l’Education de l’Université de Paris 5 - Sorbonne soutenu le 16 juin 2006, sous la direction de Claude Lelièvre.


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