Matteo Salvini, créature politique des gouvernements européens "modérés"

mardi 26 juin 2018.
 

La crise de l’Aquarius montre que le clash entre l’Italie et l’Europe va se jouer sur le sujet de l’immigration. Sur ce terrain, le professeur de science politique Philippe Marlière pointe la responsabilité des gouvernements « pro-européens » et « modérés » qui, en adoptant des politiques de plus en plus répressives, ont fait le lit des Salvini ou Orbàn.

L’Aquarius, un bateau humanitaire qui a secouru 629 réfugié.e.s dans les eaux internationales, s’est vu refuser l’entrée dans un port italien par le ministre Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur et dirigeant de La Lega. En refusant de porter assistance à des êtres humains en détresse, le ministre d’extrême droite a montré combien la politique migratoire en Europe était dysfonctionnelle et, surtout, d’un cynisme criminel.

Le silence d’Emmanuel Macron

Si prompt à donner des leçons de démocratie et de « droits de l’Homme » à ses partenaires européens, Emmanuel Macron est resté coi pendant l’incident qui a été résolu quand Pedro Sanchez, le nouveau Premier ministre espagnol, a ouvert les portes de son pays à ces 629 immigré.e.s. Le peu de crédibilité que le président français conservait dans ce domaine s’en est allé.

Celles et ceux qui avaient moqué « l’opportunisme » d’Angela Merkel quand elle avait accueilli un million de réfugié.e.s au paroxysme de la crise en 2015 vont cette fois-ci se défouler sur le dos de Sanchez, le « socialiste bobo » qui a composé un gouvernement qui comprend deux fois plus de femmes que d’hommes. Pour l’extrême-droite, la droite et même la « gauche populiste », les libertés publiques, ce n’est vraiment pas une priorité.

On avait également argué à l’époque que Merkel avait accepté ces réfugié.e.s parce que l’Allemagne avait besoin de jeunes travailleur.se.s pour payer les retraites d’une population autochtone vieillissante. Quelques soient leurs motivations, le fait est que Merkel et Sanchez ont accueilli des réfugié.e.s et d’autres, dont Hollande et Macron, leur ont tourné le dos.

Le clash à venir portera sur l’immigration

Salvini est un homme politique dans l’air du temps : il est populiste, raciste et brutal. Ces trois éléments ont été mis en oeuvre dans cet épisode ignominieux. Il a salué l’annonce du gouvernement espagnol comme une « victoire » de son peuple, comme dans une guerre. Le ministre de l’Intérieur italien a vraisemblablement engagé un bras de fer au niveau européen afin de tenter de remettre en cause le Règlement de Dublin. En vertu de celui-ci, les émigré.e.s doivent demander l’asile au pays dans lequel ils/elles parviennent en premier lieu. Pour des raisons géographiques, la Grèce et l’Italie s’estiment sur-exposées.

Il est intéressant de noter que le microscosme communautaire s’attendait à une bataille avec le nouveau gouvernement italien sur les politiques monétaires de l’eurozone. En réalité, le clash entre l’Italie et la Commission européenne va se jouer sur le terrain de l’immigration. Les obervateur.ice.s attentif.ve.s de l’Italie le savaient : La Lega, parti des petites entreprises et des classes moyennes libérales du nord du pays, n’a aucunement l’intention de se mettre à dos son électorat. Il n’envisage pas, par conséquent, une sortie de l’eurozone.

En outre, Salvini et ses allié.s ont compris qu’une remise en cause de l’euro mettrait immédiatement l’Italie sous l’éteignoir, dans une situation comparable à celle de la Grèce il y a trois ans. Inversement, Salvini sait, tout comme Viktor Orbán en Hongrie, qu’en matière d’immigration il peut faire quasiment ce que bon lui semble. Et pour cause : les gouvernements « pro-européens » et les chefs d’exécutifs « visionnaires » à la Macron n’ont rien à redire de la politique migratoire de Salvini. De fait, ni Macron, ni la plupart de ses collègues n’ont soufflé mot pendant le déroulement de cette crise.

La Lega a effectivement proposé aux Italien.ne.s une plateforme électorale qui préconise la déportation massive d’immmigré.e.s. Que ces propositions soient illégales et attentatoires aux droits humains n’a pas empêché son parti de recueillir 17% des voix.

La responsabilité des gouvernements « pro-européens » et « modérés »

Les cas italien et français montrent qu’il n’a pas fallu attendre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir pour que des politiques migratoires ignominieuses soient mises en oeuvre. Depuis l’afflux migratoire de 2015, les gouvernements européens ont renforcé les contrôles maritimes, quitte à payer des milices libyennes pour faire la sale besogne, à financer le « développement » de régimes africains corrompus dans l’espoir que des populations affamées ou persécutées ne quitteront pas leur pays.

Et nous, peuples européens, qu’avons-nous fait ? Certain.e.s s’indigent bien sûr, d’autres, plus rares et plus courageux.se.s, viennent en aide aux réfugié.e.s. Ils/elles sont souvent poursuivi.e.s par la justice de leur pays. Dans quelle mesure les actes d’un Valls ou d’un Collomb sont-ils différents de ce que fait aujourd’hui Salvini (fermeture des frontières, traitement des réfugiés à Calais ou à la frontière italienne...) ?

En adoptant des politiques de plus en plus répressives, les gouvernements « pro-européens » et « modérés » ont fait le lit des Salvini ou Orbàn. En Italie, Marco Minniti, le ministre de l’Intérieur précédant, célébré hier pour son pragmatisme, a incarné cette dérive répressive et le mépris affiché pour les droits humains. Cette politique a légitimé Salvini et ses ami.e.s, et les amenés au pouvoir. Quel succès !

Il faut enfin remarquer que ce sont les maires de Palerme et de Naples, des régions pauvres traditionnellement affectées par les arrivées d’immigrants, qui ont proposé d’accueillir les 629 personnes de l’Aquarius. Les populistes – de droite ou de gauche – fantasment un peuple raciste et répressif, qu’ils ne connaissent pas en fait.

Philippe MARLIERE


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