Chemins de fer : libéralisation = dégradation

mercredi 13 juin 2018.
 

... Des cheminots allemands, britanniques, espagnols, belges, italiens, luxembourgeois, mais aussi norvégiens ou néo-zélandais sont venus dresser un bilan de la situation du chemin de fer dans leur pays. Parfois totalement privatisé, souvent libéralisé ou en voie de dérégulation, partout le service public de transport ferroviaire souffre de la politique du tout-rentabilité.

Les pourfendeurs du monopole public, gouvernement et direction de la SNCF en tête, dépeignent une concurrence idéale et positive, qui tire les prix vers le bas et garantit la qualité du service rendu aux usagers. «  Faux  », a répondu hier Oystein Aslaken, cheminot de Norvège et président d’ITF (Syndicat international des travailleurs du transport), qui chapeaute la rencontre. «  La libéralisation des chemins de fer est partout négative, c’est l’augmentation assurée des coûts et des tarifs, le tout reposant sur un choix politique délibéré de privatiser l’argent public.  »

Une libéralisation toujours synonyme de dégradation

Dans une petite salle du deuxième étage du Palais du Luxembourg, les sénateurs, aux côtés des représentants des syndicats français (CGT, Unsa, SUD, CFDT), ont écouté les cheminots étrangers. Tous vont dans le même sens. Tous dénoncent la concurrence. Tous en appellent au développement du rail et tous, surtout, sont venus témoigner leur solidarité à la lutte des cheminots français. «  Nous savons bien que, vraisemblablement, la réforme ferroviaire française, si elle va à son terme, inspirera d’autres gouvernements  », a pointé Laurent Bour, cheminot luxembourgeois. Libéralisé sur sa partie fret, le réseau ferroviaire du Grand-Duché, qui cumule 275 kilomètres de lignes, reste largement financé par les pouvoirs publics et l’opérateur historique existe toujours. Mais jusqu’à quand  ?, interroge Laurent Bour. En Italie, où le transport de marchandises et de passagers a été ouvert à concurrence – comme en Espagne –, «  la compagnie nationale Trenitalia a perdu 25 % du trafic local et 15 % du trafic grandes lignes hors grande vitesse  », explique Maria Christina Marzola. Résultat, poursuit-elle, «  une forte baisse du nombre de trains avec des conséquences indirectes mais évidentes sur les prix. Car, quand on ne peut plus faire une longue distance d’un trait, on additionne les petits trajets et le nombre de billets  ». Mais la cheminote italienne va plus loin  : «  L’externalisation des travaux de maintenance a désorganisé profondément les choses, c’est l’anarchie en termes de gestion et en dehors de la baisse de ponctualité, cela entraîne surtout des problèmes de sécurité pour les cheminots et pour les salariés des entreprises prestataires.  » Finalement, explique Pierre Lejeune, venu de Belgique, «  c’est toujours les petites lignes rurales qui subissent le plus durement ces politiques  ». Dans son pays, la séparation comptable du gestionnaire d’infrastructures et de l’opérateur ferroviaire est effective depuis 2005. Et «  en échange, poursuit le cheminot d’outre-Quiévrain, l’État a repris les 7 milliards d’euros de dette de la SNCB (la compagnie belge – NDLR). Mais malgré les suppressions de postes (4 000 depuis 2015 – NDLR), l’endettement atteint de nouveau 4 milliards d’euros cumulés  ».

Restent l’Allemagne et le Royaume-Uni. Cités par le gouvernement, l’une comme exemple, l’autre comme contre-exemple. Collé au «  modèle allemand  », le pacte ferroviaire d’Édouard Philippe entend libéraliser le secteur sans le privatiser totalement, comme ce fut le cas en Grande-Bretagne. Mais à entendre les cheminots allemands et anglais, les deux options aboutissent au même résultat  : dégradation du service, augmentation des coûts et des tarifs. En Allemagne, 19 % du réseau n’est plus exploité depuis 2005, la dette sur l’infrastructure a été reconstituée à hauteur de 18,8 milliards d’euros, les subventions publiques ne cessent d’augmenter, les prix des billets ont augmenté de 50 % – bien plus que l’inflation – et la Deutsche Bahn, la compagnie germanique historique, a perdu sur la période la moitié de ses effectifs, a détaillé Winfried Wolf.

Quant au Royaume-Uni, «  où, vingt-deux ans après la dérégulation, 70 % de l’opinion publique est favorable à une renationalisation du rail  », précise un cheminot britannique, «  les tarifs atteignent des sommes faramineuses  ». Pour exemple, poursuit-il, «  un abonnement annuel à la ligne Manchester-Newcastle – 142 km – coûte 11 500 euros et Manchester-Liverpool – seulement 42 km – 5 000 euros par an  ».

Autant d’arguments qui «  renforcent la détermination de notre groupe parlementaire  », a résumé sa présidente, Éliane ­Assassi, sénatrice communiste de Seine-Saint-Denis. Une détermination exprimée dans une motion du groupe CRCE qui dénonce non seulement le choix du gouvernement de «  passer en force par la voie des ordonnances  », mais également un travail parlementaire réduit à «  un toilettage à la marge, puisque sur le dur du texte, rien n’est négociable  ». «  Le combat sera difficile  », a pour sa part noté Pierre Laurent. «  Mais nous voulons rendre ce débat utile, et nous sommes capables de faire bouger les lignes  » d’une réforme qui «  ne résout aucun des problèmes concernant l’avenir du ferroviaire  », a ajouté le secrétaire national du PCF et sénateur de Paris.

Hier, en début d’après-midi, quelques heures avant que ne s’ouvrent les travaux dans l’Hémicycle, des milliers de cheminots sont venus crier leur colère sous les fenêtres du Palais du Luxembourg. Parmi la foule et la fumée, Francis tente de se frayer un passage. Il porte à la veste un badge sur lequel on peut lire «  usager solidaire  ». Parce que «  le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas  », il encourage les cheminots à poursuivre la lutte. Et à ceux qui considéreraient les usagers comme les premières victimes de ce combat, Francis répond qu’«  on ne mesure pas la légitimité et l’importance d’un mouvement aux embarras qu’il peut causer  ».

Marion d’Allard, L’Humanité


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