Gouvernement italien : mariage de la carpe et du lapin

lundi 11 juin 2018.
 

Le Mouvement 5 étoiles et la Lega sont finalement parvenus à former un gouvernement en Italie ; déjouant ainsi le scénario d’un “gouvernement technique” ou d’un éventuel retour aux urnes.

La formation de ce gouvernement a été marquée par de multiples rebondissements. En effet, le président italien, Sergio Matarella s’était refusé à nommer Paolo Savona, au ministère des Finances, bloquant ainsi temporairement la formation du gouvernement M5S / Lega. En cause, l’hostilité de Savona à l’euro. Ce veto n’a fait qu’accentuer la crise politique et doper les intentions de vote en faveur de la Lega. Un compromis a finalement été trouvé : Paolo Savona sera nommé aux Affaires Européennes tandis que le portefeuille de l’Economie et des Finances échoit à un autre ministre proche de la Lega, mais non hostile à l’euro, Giovanni Tria.

Un attelage baroque

Le gouvernement “giallo - verde” * sera dirigé par Giuseppe Conte, un juriste de droit privé. Les leaders des 5 étoiles (Luigi Di Maio) et de la Lega (Matteo Salvini) se voient respectivement attribuer les portefeuilles du développement économique et de l’Intérieur. Il s’agit là d’un attelage baroque et chargé d’ambiguïtés. En effet, si le mouvement 5 étoiles incarne un populisme transversal, puisant tantôt dans le vocabulaire de la gauche (défense des biens communs…) et tantôt dans celui de la droite (immigration) ; la Lega constitue, au contraire, un parti d’extrême droite, allié au FN.

Une majorité introuvable ?

Les élections générales du 4 mars 2018 n’avaient pas dégagées de majorité évidente. La coalition de “centre droit”, formée par Forza Italia et la Lega avait certes obtenu 37% des voix, mais les rapports de forces entre ces deux partis s’étaient inversés au profit de la Lega. Le mouvement 5 étoiles avait, quant à lui, obtenu un score historique de 32,4%, avec des pointes à 40 voire 50% dans le sud de l’Italie. En revanche, la coalition au pouvoir, dominée par le Parti Démocrate (centre - gauche), s’était effondrée, n’obtenant que 22,9% des voix. Et les forces alternatives à gauche (Liberi e Uguali, Potere al popolo) n’avaient obtenu que des scores marginaux.

L’alliance de la carpe et du lapin

Si les deux grands vainqueurs de ces élections ont fait le choix tactique de conclure un contrat de gouvernement ; il n’allait pas de soi à l’origine. Il est le résultat de la fin de non-recevoir opposée par le Parti Démocrate à un accord de gouvernement avec les 5 étoiles, et de l’effacement d’un Berlusconi affaibli par le score de son mouvement. Ce choix a nécessité de faire la synthèse entre deux programmes, proches sur quelques points (lutte contre la corruption par exemple), et éloignés sur d’autres (sécurité, refus de la ligne Lyon-Turin). Les 5 étoiles et la Lega ont rendu public, le 18 mai, un document de 57 pages actant leur accord programmatique. Il comporte des mesures progressistes (soutien à la gestion publique de l’eau par exemple...) mais également des mesures régressives, sinon inquiétantes : flat tax, expulsion de migrants, présomption de légitime défense, … Toujours est - il qu’il a été soumis au vote et approuvé par les bases respectives des deux partis.

Vers une nouvelle crise au sein de l’UE ?

La séquence politique qui s’ouvre en Italie risque d’être marquée par de violents rapports de force. En effet, les marchés financiers et l’Union Européenne accueillent avec beaucoup d’hostilité la formation de ce gouvernement « anti – système ». En témoignent, les déclarations du commissaire européen au budget, Gunther Oettinger, selon lesquelles « les marchés vont apprendre aux italiens à bien voter ». Il faisait sans doute allusion aux manœuvres spéculatives qui frappent la dette souveraine italienne depuis l’ouverture des négociations entre les 5 étoiles et la Lega : « Le spread, le très scruté écart entre les taux d’intérêt allemand et italien à dix ans, a atteint son plus haut niveau depuis novembre 2013, à 235 points ».

Ces rapports de force risquent de s’accentuer dès que le gouvernement “giallo - verde” sera confronté à la mise en œuvre de ses promesses de campagne, dont le financement est estimé à au moins 65 milliards d’€. Sur le plan intérieur aussi, les choses ne seront pas simples. En effet, certaines promesses de campagne sont antagoniques. Comment concilier, par exemple, la promesse d’une baisse des impôts (la flat tax chère à la Lega) et le financement d’un revenu de citoyenneté (défendu par les 5 étoiles) ? Or, la majorité politique “giallo - verde” dépend de la Lega, dont les intentions de vote approchent à présent les 30%. L’agenda raciste de la Lega risque donc de peser lourdement sur les priorités affichées par le gouvernement Conte. Au final, l’Italie pourrait bien provoquer une nouvelle crise au sein d’une Union Européenne en panne de légitimité démocratique.

Mathieu Sitori


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