Convergence des luttes ou Mai rampant – Pour une unité populaire

vendredi 1er juin 2018.
 

1. Le mouvement social actuel fait partie d’une séquence débutée en 2016 sous François Hollande avec la loi El Khomry. De Nuit Debout aux cortèges de tête et aux blocages, les nouvelles formes d’expression et de lutes ont commencé à se généraliser au moment précis où la sociale démocratie se décomposait. Il n’y a pas de mai 2018 mais un mouvement de longue durée qui peut se définir comme une période de lutte de masse prolongée sans grève générale, au sens d’un mouvement de toute la classe salariée au même moment avec les mêmes objectifs et pour une durée plutôt limitée. Et pourtant le niveau de conflictualité y est très développé tant au niveau développement de formes de lutte auto-organisées et de contre-pouvoirs que des objectifs mis en avant. C’est pourquoi il est essentiel de combattre les illusions qui altèrent l’analyse de ce mouvement et risquent dans une période de reflux de démobiliser les équipes militantes qui en sont au cœur.

2. Ce mouvement a plusieurs caractéristiques : minoritaire, radical, autonome, anticapitaliste.

Il est structurellement minoritaire même si dans certaines parties du salariat, il représente la majorité des salariés comme à la SNCF ou Air France. Il est minoritaire parce que dominé par l’hégémonie de deux idées réactionnaires développées par les gouvernements de gauche et de droite depuis le début de la mondialisation.

La première consiste dans le TINA « il n’y a pas d’alternative ». La seconde c’est l’idéologie de la réussite individuelle et le recul du collectif, la lutte de tous contre tous pour s’en tirer, la loi de la jungle présentée comme le nouvel idéal. Construire une majorité dans ces conditions quand il n’y a ni programme commun, ni revendications unifiantes pour des classes populaires qui peuvent parfois avoir des intérêts contradictoires implique que le mouvement reste minoritaire. D’autant plus qu’il reflète la division profonde des classes populaires entre fonctionnaires et salariés du privés, CDI et précaires, habitants des zones rurales ou périurbaines et quartiers populaires. Il est minoritaire car il diverge profondément sur les buts de guerre. Que faut-il gagner dans la période actuelle : un retour au programme du CNR ?, une auto organisation des précaires débouchant sur un revenu universel ou la défense du statut-quo ?, des revendications transitoires écologistes ou une nouvelle croissance industrielle ? Ce mouvement est autonome. Dans les secteurs en lutte, celles et ceux qui luttent se regroupent et s’organisent sans hiérarchies, expérimentent de nouvelles formes d’association qui parlent en leur propre nom. Ces mouvements refusent les dirigeants, les partis et les programmes. Ils réunissent simplement des individus révoltés et luttent contre toute récupération politicienne. Cette nouvelle forme d’autoémancipation rappelle l’associationisme des débuts du mouvement ouvrier au XIXe siècle. Ce mouvement est radical car il utilise un répertoire d’actions qui vont du blocage des universités à l’occupation sauvage comme celle du lycée Arago ou de zones industrielles, de carrefours routiers ou de zone de plateformes de transport et de logistique, de plateformes portuaires...Les luttes actuelles des travailleurs précaires permettent d’expérimenter de nouvelles stratégies de combat qui s’affranchissent de l’arbitrage de l’État.

Ce mouvement est anticapitaliste. Il ne se contente pas de lutter pour la défense des acquis sociaux mais combat aussi la capacité de destruction du modèle social par le gouvernement. Le niveau de conscience qu’il génère même minoritaire est élevé. Sans rupture avec la domination, l’aliénation et l’exploitation capitaliste et productiviste, rien ne changera. L’agonie de la sociale démocratie en Europe et particulièrement en France montre que le seul choix réel à moyen terme est entre la gestion ultra libérale et une politique de transformation écologiste et sociale.

3. La grève générale est le premier mythe à déconstruire. Les mouvements sociaux actuels reproduisent indéfiniment des archaïsmes qui sont des obstacles plutôt que des moteurs. La fragmentation des classes populaires, la fin des grandes concentrations ouvrières, les différenciations ethnico-sociales, l’affaiblissement des liens sociaux et des organisations syndicales et associatives, explique cette absence de projet commun et mêmes d’intérêts communs. L’idée de grève générale n’est pas fausse en soi : elle part du constat qu’il vaut mieux frapper ensemble que lutter séparément. A condition qu’elle se présente comme une exigence de généralisation et d’extension à partir d’expériences concrètes dans des situations concrètes, et pas comme une directive qui s’applique d’en haut, comme un « modèle » à appliquer de manière rigide, sans tenir compte des caractéristiques de la situation. Mais elle est devenue un leitmotiv, un nouveau fétichisme. Ce fétichisme pourrait entraver le prolongement de l’actuel mouvement social en ce sens que tout arrêt du mouvement devant l’obstination du gouvernement TINA apparaitrait comme une défaite sans appel. L’invocation à « la grève générale », se réfère à un passé qui ne reviendra plus, celui d’une classe ouvrière de l’ère industrielle qui par sa seule force d’inertie pouvait en s’arrêtant en finir avec le pouvoir du capital. Quand cela s’est produit en 1936, comme en 1968, les victoires ont été substantielles mais éphémères et n’ont pas débouché sur la conquête du pouvoir. Mais dans les conditions présentes, le concept de grève générale est un mot d’ordre passe-partout, qui indépendamment des circonstances, interdit de penser la stratégie du mouvement en cours en le réduisant à une seule option. Cette vision mécanique et étriquée de « la grève générale » empêche d’envisager d’autres possibilités, plus adaptés à la situation présente. Elle nous enferme dans un « tout ou rien » mortifère et à terme démobilisateur. Elle nous enferme dans un passé incertain, et ne permet pas de penser un avenir fait de possibles.

4. Pas de convergence des luttes sans convergence des buts. « Convergence : action de tendre vers un même but ». Des droites parallèles convergent à l’infini. « Converger ne signifie pas avoir le même but, ce n’est pas avoir quelque chose en commun, ni partager quoique ce soit… Non, c’est tendre vers cela sans jamais y parvenir. On ne peut converger que sur un projet, pas sur des refus différenciés. La convergence pour la convergence des luttes est un mot d’ordre vide de sens ; autant la convergence des buts est un objectif à atteindre : défendre les services publics, construire les communs, refuser la criminalisation des mouvements sociaux, développer l’objection de croissance. C’est pourquoi dans cette étape nous appelons à des convergences solidaires autour des enjeux sociaux et environnementaux : la planification écologique, la relocalisation de l’économie, le refus des projets climaticides, le revenu d’existence… La vraie convergence des luttes est celle des luttes sociales et environnementales. La question écologique est occultée par l’intensité de la stratégie du choc social entreprise par Emmanuel Macron. Mais une même logique de privatisation des biens communs est à l’œuvre en matière d’environnement. Le capitalisme vert que défend Nicolas Hulot au nom de l’écologie de marché montre ses limites et quand le Ministre de la transition écologiste et solidaire défend la réforme de la SNCF, cède devant le lobby du glyphosate, autorisé Total à exploiter l’huile de palme, cautionne les violences policières contre les zadistes de Bure ou de Notre- Dame -des -Landes, il est logique avec lui même. Mais la gravité de la crise écologique impose de refonder les logiques économiques ; la notion de « biens communs », sociaux et naturels, pourrait être le pivot de cette refondation ; mais les écologistes doivent formuler et mettre en œuvre des alternatives positives, capables de convaincre la masse des citoyens du caractère bénéfique de la sortie du capitalisme. L’écologie sociale a un rôle particulier, celle de s’appuyer sur les luttes les plus avancées, celle des ZAD, des facs et des travailleurs précaires pour mettre en avant le contenu et les formes écologique et sociale du mouvement actuel. Si nous ne croyons pas à l’abstraction de la convergence des luttes, des moments de convergences vécus comme des moments de dépassement et de rassemblement peuvent être crées pour construire cette convergence des buts. C’est pourquoi nous avons besoin d’un nouveau récit. Si nous voulons organiser la contre-attaque, on ne peut plus se contenter de se défendre contre telle ou telle loi en demandant leur retrait. C’est juste mais c’est insuffisant de se battre contre la Loi ORE, la loi sur la SNCF, la loi sur les migrants. S’il n’y a pas de débouchés aux luttes actuelles c’est d’une part qu’il manque un mouvement politique puissant pour leur donner une traduction en terme de représentation y compris institutionelle. Cette absence présente à terme un risque majeur, celui du dévoiement de la lutte des classes vers des mouvements contre l’émancipation comme on le voit en Italie ou en Europe centrale. Mais d’autre part nos luttes doivent avoir un caractère offensif et global pour changer la société. Ce qui se joue dans nos luttes, c’est la volonté de changer le mode de consommation, de production et d’échanges. SI nous devons converger, c’est autour d’un même imaginaire collectif. Ce n’est pas encore le cas.

5. L’idée de recommencer Mai 68 qui traverse en partie le mouvement actuel est une impasse. Elle ne permet pas de comprendre pourquoi le mouvement ne s‘élargit pas. En mai 68, les étudiants étaient pour beaucoup les enfants de la bourgeoisie. Aujourd’hui 50 % travaillent dans des petits boulots pour simplement survivre durant leurs études. Ce qu’on retient le moins quand on parle de mai 68, ce sont les comités d’action, les comités de grève ou de quartier qui sont les formes d’organisation qui émergent spontanément dans le mouvement comme création sociale, sorties de l’imagination collective. Ces organisations prennent l’initiative d’exister et de décider pour elles-mêmes, allant jusqu’à inventer des formes langagières propres et réellement radicales parce que s’enracinant dans un mouvement qui débouche sur la grève générale. Mais ces organisations nées de la rupture avec l’ordre établi ne réussiront pas à s’imposer comme nouveau pouvoir démocratiquement et collectivement institué. Mai 68 a pu coaguler diverses forces et déboucher sur l’une des deux grèves générales avec Juin 36 parce qu’il existait encore une classe ouvrière industrielle concentrée dans de grandes entreprises et structurée par des organisations puissantes (CGT, PCF). Le chômage était résiduel et les aspirations à une rupture avec l’ordre ancien progressait dans toute la jeunesse. Rien de tel aujourd’hui. C’est pourquoi la comparaison avec Mai 68 si elle est une source d’inspiration ne peut être en aucun cas un modèle.

6. La crise du syndicalisme et du mouvement ouvrier s’amplifie parce qu’il se replie sur une partie du salariat et sur des stratégies corporatistes. La stratégie des grèves perlées de 2 jours définie par l’intersyndicale cheminote est une impasse. Les directions syndicales sont à la fois divisées sur la stratégie, les formes d’action et ne veulent pas être débordés par un mouvement d’auto émancipation. Les grèves parlées à la SNCF présentées comme une tactique efficace redonnent la main à ces directions en des reprenant l’initiative aux AG de bases. De fait les AG dans ce secteur ont été dévitalisées. Pourquoi se réunir puisque les décisions sont prises à l’échelon national par les fédérations ? Si l’intersyndicale continue à être soutenue du bout des lèvres par la CFDT et l’UNSA, c’est que ces deux confédérations attendent pour sauter dans le wagon gouvernemental que la grève s’essouffle par elle-même. Si le mouvement à la SNCF continue malgré ses insuffisances, c’est parce qu’il exprime au delà de la mobilisation des salariés pour la défense du statut, la volonté de défendre un modèle de civilisation, celui du service public. Les habitants de ce pays voient bien que dans la santé, l’éducation, la culture, le processus de privatisation s’accélère pour déboucher sur une société de marché. La question du rail est une question écologique. Elle pose le problème du transport, de l‘aménagement du territoire, de la justice climatique. Pourtant il n’y a pas aujourd’hui de mouvement massif d’usagers en soutien à la grève du rail sur des bases écologiques. La pétition lancée par Paul Ariès (pour un Plan B écologique et social, [1]) sur cette base n’a pas eu de traduction en termes d’actions concrètes en raison de la faiblesse du mouvement social environnemental. La tâche des écologistes sociaux est de contribuer à cette convergence en initiant aussi à l’intérieur du mouvement syndical la construction d’un courant écosyndicaliste pour développer de véritables convergences anti productivistes, alternatives et autogestionnaires. La commission Ecologie de Solidaires, le courant Emancipation, certains syndicats CGT peuvent en être les vecteurs. Mais au delà de la question écologique, le syndicalisme français est confrontée à son histoire et notamment aux limites de la Charte d’Amiens votée en 19O6 par le Congrès de la CGT. Sans même parler de l’étanchéité entre syndicalisme et politique, l’indépendance syndicale revendiquée ne permet pas aux syndicats de rassembler en leur sein ou de créer des dynamiques de l’ensemble du mouvement social. Or avec un salariat fragmentée, avec le développement des nouveaux mouvements sociaux, la lutte syndicale ne peut être réduite à la seule défense des salariés. Elle doit s’élargir à celle des locataires, des femmes, de la jeunesse en formation, des migrants, des discriminé-e-s, des LGBT. Un syndicat brésilien comme la “Csb con lutas” regroupe les sans toits, le mouvements noirs et LGBTI et les mouvements sociaux en son sein, il montre qu’un syndicalisme intersectionnel, décolonial et écologiste est possible.

7. La question de la violence revient au devant de la scène à travers les cortèges de tête et les modes d’action des blacks blocks. Elle est pour le pouvoir un moyen de criminaliser et de diviser la sécession sociale. Les écologistes sociaux, partisans de la désobéissance civile n’ont pas une position morale face au recours à la violence. Nous nous interrogeons simplement sur l’efficacité tactique de pratiques qui devraient allier une guérilla symbolique à un élargissement continu du mouvement. A toutes les époques il y a eu des confrontations dans les manifestations. Entre les deux guerres, elles étaient même ponctuées par des morts d’hommes et de femmes. Ce que nous vivons est aujourd’hui un ersatz de ces manifestations dans les cortèges de tête qui expriment plutôt une radicalisation des manifestants qui de fait cautionnent les affrontements. Ces cortèges de tête sont devenus massifs et même comme durant la manifestation du 1 Mai, ils vont jusqu’à constituer les deux tiers du cortège dit syndical parce que la capacité d’encadrement des organisations traditionnelles s’est effondrée, que les manifestants n’en peuvent plus des manifestations traîne-savate derrière des ballons et surtout que la colère qui s’exprime à travers les cortèges de tête reflète la révolte sociale généralisée par rapport à la marchandisation de la vie sous toutes ces formes. Ce sont des “jacqueries urbaines” qui faute de pouvoir utiliser la grève comme moyen d’action exprime la révolte des précaires comme les “jacqueries paysannes” qui reviennent régulièrement au cœur des villes sont une des formes de luttes de la paysannerie ( destruction de préfectures, de stocks de nourriture dans les supermarchés …). C’est pourquoi le débat interne au mouvement ne doit pas porter sur la question de la légitimité de la violence mais sur le développement efficace d’une guérilla pacifique multiforme fondée sur la désobéissance civile : blocages des facs, des lycées et de l’économie, occupations sauvages, débaptisation de rues, hacking informatique des entreprises concernées ou des services de l’état, organisation de circuits courts… Nous devons construire indépendamment de l’Etat notre contre-société, nos bases de résistance pour imposer un rapport de force favorable.

8. La stratégie du “Mai rampant” à la française est celle d’une guérilla sociale et citoyenne durable. Le mouvement actuel s’apparente au Mai rampant italien qui court sur la décennie 1968-78. L’enjeu du mouvement actuel, c’est l’émergence d’une ère de libération humaines et écologiques dans une société fracturée par la violence de la mondialisation libérale. D’un côté le précariat, de l’autre une classe salariée encore intégrée qui cherche à défendre légitimement ses acquis. Le Mai rampant, formule expliquant la période post 68 du mai Italien une expression faisant référence au caractère progressif, voire sinueux de la mobilisation. Ce mouvement social protéiforme, associant des mobilisations localisées et professionnelles fortes avec des journées nationales de manifestations, des grèves et des manifestations, des grèves ponctuelles et des grèves reconductibles, des va-et-vient entre les deux, des paralysies partielles (SNCF, métro et transports collectifs urbains, raffineries et dépôts pétroliers, routiers, etc.), des grèves tournantes ou la répétition de grèves sporadiques limitant le coût de la grève sur les salariés, la constitution de caisses de solidarité en direction des secteurs engagés de manière la plus durable dans la grève reconductible, des liaisons inédites avec les milieux intellectuels et artistiques critiques pour amplifier la délégitimation du pouvoir macroniste, la promotion de passages entre combats revendicatifs et expériences alternatives (pourquoi des AMAP n’approvisionneraient-elles pas gratuitement des grévistes ? pourquoi des universités populaires ne se déplaceraient-elles pas sur les lieux de grève en mettant à disposition des savoirs critiques ? pourquoi des artistes alternatifs ne seraient-ils pas davantage présents dans les manifestations ? etc.), des actions moins massives mais plus spectaculaires sur d’autres fronts où la légitimité macroniste résiste davantage au sein de la population (racialisation, logique sécuritaire, etc.), etc. Les caisses de grève sont un des moments forts de cette entraide. Reconstruire une cohésion et un réseau d’action d’abord au plan local. Les luttes des cheminots peuvent servir de point de départ unificateur L’objectif doit être de reconstruire une cohésion et un réseau d’action d’abord au plan local, de trouver des modes d’action complémentaires de l’indispensable arrêt de travail, qui bloque la production… Ici encore, nous avons besoin de temps pour renforcer un pôle social et écologique de combat. Ce temps paradoxalement, la volonté du macronisme de tout détruire nous en donne. Macron estime qu’il peut en finir avec « le vieux monde » en un quinquennat. Il est en train de coaliser contre lui un mouvement social de type nouveau, à la fois résistant et créatif.

9. Dans cette stratégie de mai rampant, l’insubordination sociale se concentre autour des ZAD, du mouvement dans les universités et des luttes des précaires comme dans les MacDo ou les Deliveroo. Ces groupes sont engagés dans une guérilla sociale contre l’ubérisation du travail, de la formation et les “Grands Projets Inutiles et Imposés”. Ils défendent leurs intérêts de précaires et en même temps l’intérêt général quand ils contestent la modernisation capitaliste de l’aménagement du territoire. Ce mouvement ne doit pas se lire comme l’affrontement idéologique entre des groupes minoritaires et l’Etat mais comme l’émergence d’une nouvelle conscience de classe, celle des travailleurs précaires intellectuels et manuels. Ce précariat est formé notamment par des étudiants salariés ( au moins 50% des étudiants travaillent pour financer leurs études), qui, à partir de leur condition, forment une sorte de direction stratégique autonome du précariat. Ils inventent dans les ZAD comme dans les occupations de fac des pratiques liées à leur vie quotidienne : cantine et refus de la male bouffe, entraide, jardins, squats, lutte contre la publicité et la marchandisation, partage des savoirs… Cette émergence d‘une nouvelle conscience de classe s’affronte à un problème essentiel : les discriminations ethnico-raciales. Si les lycées professionnels ou classiques de banlieues n’entrent pas dans le combat massivement, si dans de nombreuses facs le mouvement ne prend pas, c’est que ce mouvement apparaît comme un mouvement déconnecté des préoccupations sociales de la jeunesse des quartiers populaires : racisme, violence policières, discriminations sont des angles morts de la mobilisation actuelle. C’est aussi parce que dans les quartiers périphériques, la faillite de l’état est une réalité, et que la culture de l’individualisme y a désormais de solides racines.

De même pour le moment, même des formes de convergence avancées comme celle de la « fête à Macron » laissent dans l’invisibilité ces questions essentielles. Les luttes des quartiers populaires ou celles des migrants ne sont pas prises en charge par le mouvement et ouvrent la voie à une montée du nationalisme et de l’extrême droite comme en Allemagne ou en Italie. Or le débat autour du plan Borloo a encore démontré que c’est dans les quartiers populaires où les services publics sont en déshérence, que les taux de chômage sont les plus élevés, que des millions de gens se sentent abandonnés. A quoi sert un mouvement social s’il oublie celles et ceux pour qui il est censé se battre ?

10. « Stop Macron » ne peut être le seul mot d’ordre politique. Puisque la séquence de lutte ouverte en 2016 n’est pas prête de se refermer, ce qui est en jeu n’est pas la simple contestation du macronisme mais bien celui de la lutte contre le monde qu’il représente. Si la question du pouvoir ne se pose pas, c’est que le macronisme n’est que l’expression du capitalisme mondialisé et de la haute technocratie d’un Etat nation devenu impuissant à réguler les ravages de la finance mondiale, transformé aujourd’hui en agent facilitateur de la finance. La question n’est pas de faire démissionner Macron mais de construire un levier politique pour impulser une transition, c’est-à-dire un processus de « transformation au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre à un autre » (dictionnaire de la pensée écologique). La transition entraîne une profonde mutation des modes d’action des acteurs et des infrastructures qui organisent leurs relations. La transition écologique et sociale repose sur la double prise de conscience de la finitude des ressources sur lesquelles repose la croissance économique mondiale et de l’empreinte environnementale issue de notre consommation énergétique. C’est pourquoi l’unité populaire en formation doit en finir avec l’idée du grand soir. L’absence d’alternative politique à court terme ne doit pas empêcher de développer un mouvement populaire par en bas, qui remet en cause le droit de propriété par l’entraide et la coopération par la construction d’un mouvement mature de contre-pouvoir et de contre-société s’appuyant sur des institutions alternatives, des zones d’autonomie démocratiques, des espaces de liberté, des coordinations de coopératives et d’entreprises autogérées, des communs partagés à tous les niveaux. Des dizaines de milliers de militants commencent à comprendre que c’est dans les territoires et non au niveau des appareils et de leurs logos dévalués qu’émerge la force dont ils ont besoin pour ouvrir le chemin d’une nouvelle espérance. Le 5 mai comme le 26 mai permettent l’agrégation de forces politiques, syndicales, associatives dépassant les logiques d’étanchéité à l’intérieur du mouvement social, de construire une convergence de forces sociales, politiques, syndicales, associatives permettant de construire un cadre susceptible de se développer dans chaque quartier, villes, villages, entreprises, lieux de formations pour déboucher sur un mouvement d’unité populaire, fait de mobilisations et de luttes, pouvant dépasser la fragmentation actuelle et permettre tant dans les prochaines luttes sociales qu’au moment des municipales de 2020 de construire une nouvelle étape de l’insoumission.

Déclaration de la Coopérative Politique Ecologie Sociale Le 25 mai 2018


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