Nous, cadres dirigeants SNCF, syndiqués cgt ou non, retraités ou actifs.

dimanche 20 mai 2018.
 

Nous, cadres dirigeants, syndiqués CGT ou non, retraités ou actifs, tenons à apporter un témoignage dans le débat sur quelques points qui mettent en cause l’avenir du service public à la SNCF.

Depuis les années 1970, l’État, aménageur constitutionnel du territoire, oblige la SNCF à investir dans la construction de lignes à grande vitesse sans en assurer le moindre financement (sauf TGV Atlantique, en première étape), créant ainsi de toutes pièces «  la dette  ». Ainsi, depuis des décennies, celle-ci obère de manière exclusive la politique de l’entreprise et, pour en assurer la charge, SNCF supprime 2 500 à 3 000 emplois par an en fermant des services, des gares et des lignes. C’est la seule politique d’entreprise constante qui a marqué des générations de cheminots.

En conséquence, cette situation fragilise tous les services de l’entreprise et interdit toute politique ambitieuse de développement.

Comment admettre la manipulation intellectuelle et le raisonnement d’élus acquis au ferroviaire qui voient dans l’introduction de la concurrence Voyageurs la panacée aux problèmes rencontrés pour le maintien des lignes TER en particulier. On ne le peut pas car nous avons vécu l’exemple du fret, où cela s’est traduit par un effondrement du tonnage global transporté et, bien entendu, un cortège ininterrompu de camions sur la voie de droite de nos autoroutes. Comment admettre que les gouvernements successifs et la SNCF décident (alors qu’ils n’ont pas d’obligation européenne, dixit règlement CE370/2007 et 2016/2338 Parlement européen et Conseil en vigueur du 14/12/2016) d’autoriser l’entrée et la concurrence d’opérateurs privés pour le service public de transport de voyageurs.Comment admettre que de nouveaux exploitants extérieurs – qui de surcroît ne seraient pas soumis aux mêmes exigences en matière de fixation de leurs tarifs – paient un droit d’usage de l’infrastructure, alors que la SNCF a financé la totalité de celle-ci avec le résultat connu  ? Comment admettre que ces mêmes exploitants extérieurs puissent avoir des contraintes inférieures en termes de sécurité quotidienne qui seraient exprimées dans une convention collective au rabais  ? La dette est supportée par la SNCF et non par le budget de l’État, au nom de l’exigence immuable des 3 % de déficit du PIB de la France. Toutes les réformes de l’entreprise depuis 1991 et le paquet 91/440 sont imposées par l’Europe, qui vise à court terme la disparition des entreprises publiques unifiées au nom de la sacro-sainte concurrence, outil hégémonique de domination du capital privé. Ce n’est qu’à partir de cette approche que ces réformes ininterrompues trouvent cohérence en étant une fin plus qu’un moyen. Séparation comptable, puis séparation des activités ont débouché sur une gestion hypercloisonnée avec déperdition de moyens, inflation bureaucratique  : la route de la filialisation est grand ouverte.

En plein conflit, gouvernement et direction annoncent de façon provocante la privatisation du fret. Une politique du laisser-faire a conduit à la débâcle du fret et au résultat actuel, alors que notre outil technique, s’appuyant sur de grands triages modernes près des grandes agglomérations, offre la possibilité de développer une politique conquérante dans le domaine du transport complémentaire rail/route  ; la création de grands pôles terminaux multimodaux doit servir une politique de l’environnement autrement plus efficace que les discours lénifiants des ministres successifs et de la direction. La SNCF exsangue financièrement n’a pu que laisser se développer une politique du fret anarchique au bénéfice d’intérêts privés.

Tous opérateurs confondus, entre 2001 et 2011, le fret est passé de l’indice 100 à l’indice 137 en Allemagne, 117 en Suède, 116 en Grande-Bretagne, 104 pour l’ensemble de l’UE, il a chuté à 59 en France  ! Chercher l’erreur  !

La modernisation des installations de sécurité n’est pas décidée pour seulement augmenter la sécurité, fiabiliser les plans de transport, donner aux agents une plus grande maîtrise de leur métier, mais surtout pour procurer des gains toujours plus immédiats en termes de personnel et fermer des services. La formation et la présence humaine préventive dans les installations diminuent au bénéfice d’une gestion managériale où la pression productiviste est prioritaire  : des contradictions apparaissent entre les règles de sécurité et les exigences de production.

On se veut moderne… mais on est dangereux pour les personnes et les biens avec des risques calculés. Rappelons-nous Brétigny et les incidents informatiques parisiens avec des agents soumis à des parcours de maintenance de plus en plus importants et complexes. Sous-traitance en forte progression, alertes négligées, formations jugées trop coûteuses, réorganisations incessantes, pertes d’identité sont des signaux graves et très inquiétants pour un système de sécurité ferroviaire complexe et fortement intégré. Il est incontestable et prioritaire que la sécurité mérite un meilleur traitement pour le transport des usagers TGV, TER ou franciliens.

Le statut est l’angle d’attaque favori du gouvernement et c’est dans cette situation générale fortement dégradée que la provocation de la suppression du statut refait surface. En aucune manière, celui-ci n’a la responsabilité de la situation actuelle de la SNCF. Bien au contraire, le statut est un socle de solidarité interne au service des populations et c’est sur cette base que le cheminot accepte sans coup férir les contraintes grandissantes du métier reconnues par les usagers. Le gouvernement ment honteusement en prétendant faire cohabiter personnel à statut et personnel privé  : la pression managériale insensée et sans retenue exercée à France Télécom, dans une situation équivalente, est là pour le prouver avec les conséquences humaines dramatiques qu’on connaît.

Aujourd’hui, les cheminots sont fidèles aux meilleures traditions historiques de cohésion et de mobilisation pour la pérennité du service public ferroviaire. Ils font face, luttant à bon droit contre une bureaucratie et une direction dont la méconnaissance de l’entreprise et de ses ressorts n’a d’égale que la vision politique mise en œuvre sans discernement, comme en témoigne ce découpage insensé de l’entreprise SNCF à la poursuite d’une rentabilité inatteignable parce qu’inaccessible pour les raisons liées à la dette.

Texte collectif Parmi les signataires : Raymond Chenal, Gérard Liotard, Danielle Sinoquet, Pierre Delanoue.


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