Pologne, mars 1968 et la Gauche d’Octobre 1956

samedi 19 mai 2018.
 

En 1956, c’est l’Octobre polonais : une mobilisation des masses plébiscite à la tête du parti au pouvoir son ancien secrétaire général, W. Gomulka, exclu en 1948 et emprisonné en 1951. Dès 1957, Gomulka entreprend de « normaliser » le pays, mais la gauche d’octobre poursuit la critique du régime bureaucratique. Les emprisonnements, en 1964, de ses porte-parole, J. Kuron et K. Modzelewski, ainsi que des militants trotskistes L. Hass et K. Badowski, n’ont pas mis fin à sa lutte. Bien que normalisé, le régime bureaucratique est en crise.

« Indépendance sans censure »

C’est dans ce contexte que le 16 janvier 1968 le ministère de la Culture annonce que la représentation des Aïeux du grand poète polonais Adam Mickiewicz, dénonçant l’occupation tsariste de la Pologne, ne pourra plus être jouée après le 30 janvier. Ce jour-là le public applaudit l’acteur qui dit « Je connais la liberté que donnent les Moscovites… ». À la fin du spectacle les cris « indépendance sans censure » sont scandés et plusieurs centaines de personnes partent en manifestation, à l’initiative des étudiants de la gauche oppositionnelle. La police intervient, arrête 35 personnes.

Le lendemain, les étudiants lancent une pétition contre la censure des Aïeux et « la politique qui s’écarte des traditions progressistes de la nation polonaise » : 3 000 signatures à Varsovie et plus de 1 000 à Wroclaw. Le 29 février une assemblée générale de l’Association des écrivains de Varsovie vote une résolution contre la politique culturelle du régime et les écrivains dénoncent « une dictature des ignorants ».

Mobilisation étudiante et répression

Le régime réagit brutalement. Les dirigeants de l’opposition de gauche étudiante, A. Michnik et H. Szlajfer, sont exclus de l’université par le ministre. Le 8 mars les étudiants de l’université de Varsovie adoptent une résolution : « Nous ne permettrons à personne de piétiner la Constitution, […] de nous priver du droit de défendre les traditions démocratiques et indépendantistes de la nation polonaise. Nous ne nous tairons pas face à la répression ». La police intervient brutalement contre leur meeting, mais ils partent en manifestation. Le lendemain l’École polytechnique rejoint la grève. Des assemblées générales, des grèves étudiantes se répandent à Cracovie, Wroclaw, Gdansk, Poznan, Lodz, Torun, Lublin et Katowice. Des lycéens rejoignent les manifestations. Le 28 mars, une déclaration du mouvement étudiant exige la liberté d’opinion, d’organisation, la suppression de la censure, la transparence de la vie publique, le contrôle social des biens d’État et le respect des droits constitutionnels.

Le régime répond par la répression : 2 700 arrestations, 262 procès, condamnations des militants de l’opposition de gauche. Six facultés sont dissoutes, plusieurs milliers d’étudiants suspendus de leurs droits, le parti est nettoyé (8 000 exclusions), des dizaines d’universitaires et hauts fonctionnaires licenciés. Le régime entreprend une campagne antisémite à la suite de laquelle plus de 15 000 personnes quittent le pays.

À Paris, les JCR organisent une manifestation devant l’ambassade de Pologne, le 22 mars, exigeant la libération de Kuron et Modzelewski, de nouveau arrêtés en mars 1968, et de leurs camarades. Et la Lettre ouverte au Parti ouvrier polonais, écrite par ces deux opposants, est publiée en France, en Grande-­Bretagne, en Allemagne, en Italie… et même au Japon ! Une tentative de ressusciter l’internationalisme sans tenir compte des « rideaux de fer ».

Jan Malewski


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