Les fachos chauffés à blanc – En France, une ascension cependant limitée

mardi 8 mai 2018.
 

« Libération » a pu consulter des notes de la DGSI sur la résurgence de groupuscules d’extrême droite radicalisés depuis l’émergence d’attentats jihadistes en France. En ordre dispersé, leur ascension reste cependant limitée.

C’est une autre menace que les services de renseignement prennent très au sérieux. Depuis le déclenchement de la vague d’attaques jihadistes sur le territoire français, la hiérarchie policière étudie le risque d’une confrontation avec les franges les plus radicales de l’ultradroite. En d’autres termes, le harcèlement par l’Etat islamique (EI) de la société française engendrera-t-il des affrontements intercommunautaires ? Lors de plusieurs auditions devant des parlementaires, en 2016 et 2017, l’ex-patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Patrick Calvar, avait théorisé cette hypothèse. Ses propos avaient néanmoins été déformés par certains médias, n’hésitant pas à lui attribuer la prédiction d’une « guerre civile ». Plus subtil et surtout moins catastrophiste, Calvar avait simplement observé : « Nous ne sommes pas à l’abri d’une action violente aujourd’hui sur notre territoire qui ferait monter - il faut rester très prudent dans les termes - un degré de tension entre des communautés. »

« Concurrents »

Si aucune action violente d’envergure de l’ultradroite ne s’est produite en France jusqu’ici, l’histoire semble donner raison à Patrick Calvar. Le 17 octobre, un groupuscule fédéré autour d’un chef de 22 ans, Logan N., a été démantelé par la sous-direction antiterroriste de la PJ (Sdat) et la DGSI [1]. Ses membres, évoluant au sein d’une entité baptisée l’OAS - en référence à l’Organisation de l’armée secrète contre l’indépendance de l’Algérie -, envisageaient d’abattre le maire de Forcalquier, Christophe Castaner (aujourd’hui ministre et délégué général de LREM) ou d’attaquer des lieux de culte musulmans. Dans la procédure, consultée par Libération, figurent deux notes de la DGSI répertoriant les différentes mouvances de l’ultradroite. Elles permettent de dresser un état de la menace précis et circonstancié, sans angélisme ni fantasmes.

Ainsi, le service de renseignement intérieur note que « l’extrême droite radicale suscite l’engouement d’individus souvent jeunes, voire très jeunes, soudés par une idéologie principalement empreinte de racisme antimaghrébins et l’adhésion à certains codes (vestimentaires, tatouages). » « La multiplication des attentats islamistes en France depuis janvier 2015 a été évidemment interprétée par l’extrême droite radicale comme une légitimation de ses thèses sur la menace immigrée, l’insécurité, la faillite d’une société multiculturelle honnie. L’impuissance de l’armée et du gouvernement est également fustigée. Sur les blogs et les réseaux sociaux se développent une parole plus libérée et des appels à représailles ou des menaces du type : « Terroristes à mort - immigrés dehors » », poursuit la DGSI. Toutefois, si le discours xénophobe prospère, les analystes maison voient une limite objective à l’ascension de l’ultradroite : « La mouvance est structurellement marquée par la présence de groupuscules concurrents qui agissent en ordre dispersé et dont les capacités opérationnelles apparaissent par conséquent limitées. Nombre de ces groupuscules, basés sur une aire géographique restreinte, naissent, croissent et périclitent en fonction du charisme et de l’investissement de leur leader local […]. Si le discours radical s’émaille de violentes diatribes, le niveau de violences physiques demeure modeste. Depuis les attaques jihadistes de janvier 2015 en France, la mouvance ultra a globalement adopté et promu une posture défensive. »

Cocktail Molotov

Aux yeux du service, la « principale menace reste l’action d’un individu solitaire, à l’image du terroriste norvégien Anders Behring Breivik ». Le 22 juillet 2011, ce suprémaciste a tué 77 personnes à Oslo et sur l’île d’Utoya. En France, rien d’aussi macabre ne s’est encore produit. Toutefois, les forces de l’ordre ont parfois interpellé sur le fil des personnes aux intentions bien arrêtées. Le plus célèbre demeure Maxime Brunerie, d’Unité radicale, qui avait tenté de tirer le 14 juillet 2002 en direction du président Chirac. Le 17 janvier 2014, à Clermont-Ferrand, un skinhead néonazi, Kévin Pioche, tire, lui, à huit reprises avec un fusil de chasse devant un squat où se tient un concert en soutien à deux étudiantes en situation irrégulière. Encore plus inquiétant, l’arrestation par la DGSI en 2013 de Christophe Lavigne, 23 ans, un ex-sergent de l’armée de l’air ayant servi en Afghanistan. Son intention ? Ouvrir le feu le dernier jour du ramadan sur la mosquée de Vénissieux (Rhône). Sa mère l’a signalé avant qu’il ne passe à l’acte, inquiète d’une récidive puisque, un an plus tôt, Lavigne avait déjà jeté un cocktail Molotov sur la mosquée de Libourne (Gironde). L’été dernier, enfin, un homme originaire du Val-d’Oise a été interpellé. Comme Brunerie, il imaginait abattre Emmanuel Macron. Repéré en train d’essayer de se procurer une arme à feu sur un forum de jeux vidéo, il s’est retranché à son domicile avec des couteaux lors de l’arrivée des policiers.

« Etincelle »

Pour la DGSI, ce type d’individus est d’autant plus dangereux qu’il existe une forte porosité avec les milieux sécuritaires. « On trouve un grand nombre d’anciens militaires, policiers, gendarmes dans les sphères d’ultradroite. Leurs enfants peuvent aussi poser problème. Certains pratiquent la chasse ou se forment dans les stands de tir. Les diasporas d’ex-Yougoslavie, actives dans les filières de trafic d’armes issues des stocks de la guerre de Bosnie, font l’objet d’une surveillance soutenue. La moindre attaque d’ampleur contre des musulmans pourrait générer l’étincelle », craint un ex-ponte des services.

La DGSI scrute aussi la résurgence de groupes « historiques », dont la formation néofasciste Groupe Union Défense (GUD), qui « jouit d’une visibilité renouvelée grâce à l’activisme de son antenne lyonnaise dirigée par Steven Bissuel ». Autre restructuration notable, celle initiée en 2014 par les royalistes de l’Action française (AF). « Depuis plusieurs mois, observe la DGSI, la section Provence de l’AF s’oppose régulièrement à la mouvance d’ultragauche. » En marge d’une manifanti-loi El Khomri à Marseille, le 17 mars 2016, un certain Logan N., chef de l’OAS, est interpellé.

Pour la DGSI en revanche, la frange « skin » est en très nette perte de vitesse. Serge Ayoub, alias « Batskin », « peine à fédérer plus d’une vingtaine d’affidés dans les activités du Black S even France, ex-Praetorians Motorcycle Club, un gang de motards ». La dissolution administrative de Troisième Voie, en 2013, après la mort du jeune antifa Clément Méric, a fait exploser toute « structure militante digne de ce nom ».

Willy Le Devin


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