MIGRANTS La politique du gouvernement : « inhumaine, inefficace » !

jeudi 26 avril 2018.
 

Entretien avec Eric Coquerel, député de la France insoumise, réalisé par Antoine Prat.

Le 18 mars vous avez participé à l’occupation de la basilique de Saint-Denis par des migrants et des associations. Pourquoi ?

Il s’agissait plus d’une présence symbolique, pendant une heure ou deux, que d’une véritable occupation. L’objectif était d’alerter l’opinion publique et les médias sur un problème que les sans-papiers, les demandeurs d’asile, les mineurs isolés affrontent en Seine-Saint-Denis. À cause des politiques d’austérité qui ont laissé les services de la préfecture exsangues, Il y a des délais terribles pour les demandes de dossiers, de rendez-vous. Des gens sont contraints de passer dans l’illégalité simplement parce qu’on ne leur a pas donné un rendez-vous assez tôt. Le préfet lui-même l’admet. L’idée était donc d’alerter sur cette situation, en investissant très temporairement et très pacifiquement une église, lieu d’accueil et de refuge. Nous sommes rentrés très facilement. Il n’y avait pas de messe, contrairement à ce que certains ont dit. Et le diocèse a réagi de manière plutôt compréhensive. Il y a eu une intervention policière dans la basilique, qui aurait sans doute pu être évitée. Mais l’événement en lui-même n’avait rien de tonitruant.

Il a néanmoins été très critiqué, notamment par l’extrême-droite.

Oui, la direction du FN, Marine Le Pen en tête, a immédiatement décidé de s’en saisir et de protester. En avançant des arguments très maurrassiens, et franchement xénophobes : « Ils ont profané la nécropole des rois de France », « Et pourquoi ne font-ils pas ça dans une mosquée ? » (puisque pour le FN migrants = musulmans)...etc. Le FN n’a pas été seul à monter au créneau : une partie de la droite a repris ce discours, Nicolas Dupont Aignan a surenchéri. Avec, en filigrane, toujours la même idée : les barbares déferlent sur la chrétienté. C’est un discours qui est très éloigné de ce que le pape François lui-même peut dire sur l’accueil des étrangers. Mais qui est révélateur de la manière dont l’extrême droite aborde la question des migrants : comme un choc de civilisation. C’est une approche fantasmatique de la question.

Comment faut-il, selon vous, aborder la question migratoire ?

Plutôt que de fantasmer sur l’immigration, il faut en comprendre les causes. Nous faisons face à des mouvements de réfugiés liés à des problèmes qui affectent les pays de départ. Par exemple, la ruine des économies du Sud par les accords de libre-échange. Ou le changement climatique, qui jette les populations sur les routes – une question que l’on commence seulement à connaître en Europe, alors que dans les pays du sud les effets en terme de migrations s’en font déjà sentir depuis longtemps. Et bien sûr, la multiplication des guerres sans issue, le démembrement d’Etats comme la Libye, la déstabilisation de régions entières, qui contraignent les habitants à l’exil. Sur tout cela, un pays comme la France a des responsabilités.

Que faire, alors ?

Justement, agir sur ces causes. Au niveau international, faire en sorte que la France rompe avec la politique guerrière, atlantiste, OTANiste inaugurée par Sarkozy – une politique qui a déséquilibré totalement certaines régions, sans faire émerger de solution politique viable. Sur le plan économique, il faut arrêter les accords de libre-échange avec le Sud, revenir aux accords de coopération, restaurer les politiques de co-développement. Quant au climat, il faut agir vite, sans quoi la situation sera invivable, littéralement. Aujourd’hui, ces problèmes migratoires sont gérables. Mais c’est maintenant qu’il faut s’attaquer aux causes de ces départs.

Mais agir sur les causes demande du temps. En attendant, les migrations ont bel et bien lieu. Les migrants sont là.

Oui, et il ne s’agit pas de faire comme s’ils n’existaient pas. En France, depuis des années, les politiques migratoires sont fondées sur l’illusion de l’immigration zéro. Elles s’appuient sur l’idée qu’il faut arrêter l’immigration. Or, même en temps de crise, nous restons un pays de migration. On sait en fait qu’il y a toujours à peu près 200 000 entrées et 80 000 sorties chaque année. Même avec les barbelés les plus serrés et les plus hauts possibles aux frontières, même avec les conditions d’accès les plus dures, des gens qui sont prêts à risquer leur vie en Méditerranée (la plus grande catastrophe maritime civile de tous les temps : 4000 morts par an !), prêts à franchir des cols alpins en plein hiver, continueront à venir. De même, quoiqu’en dise le gouvernement, on n’expulsera pas 40 000 migrants (les déboutés du droit d’asile) de plus par an. Cela suppose des moyens policiers et administratifs démesurés, et enfreindrait en outre certaines conventions internationales. Et puis, on ne sait pas où les renvoyer. Au lieu d’admettre la réalité des migrations pour la gérer au mieux, on l’occulte, et on contraint les migrants à vivre dans des conditions très dégradées.

Alors, comment « gérer au mieux » ces migrations ?

Il faut d’abord une concertation au niveau mondial : c’est pourquoi nous proposons la tenue d’une conférence annuelle de l’ONU qui traite de la question des migrations et fasse en sorte que tous les pays se sentent concernés. Ensuite, remettons en ordre la politique d’immigration européenne. Aujourd’hui, en Europe, il y des pays qui ne respectent pas du tout le droit d’asile, notamment à l’est ; d’autres pays, comme l’Italie et la Grèce, qui sont dans des situations inextricables ; des dispositifs, comme les accords de Dublin, qui sont gravement défaillants ; d’autres, comme les accords du Touquet, qui nous placent dans une situation absurde. Il faut réfléchir à des solutions européennes concertées qui reposent sur autre chose que Frontex. Voilà pour le cadre international.

Ensuite, les conditions de l’accueil en France doivent être améliorées, et non durcies. Il faut mettre sur pied des centres d’accueil dignes de ce nom. Il faut sortir du système du guichet unique, qui crée des embouteillages en préfecture. Et, plus largement, faire en sorte que tous les gens qui répondent aux critères de la convention de Genève puissent obtenir le droit d’asile.

Et pour ceux qui ne bénéficieront pas du droit d’asile ?

Pour les déboutés, nous proposons de créer un statut de « détresse humanitaire » prenant en compte des problèmes économiques et climatiques. Un tel statut tiendrait également compte du parcours du migrant, et pas seulement de son pays d’origine. Ce statut concernerait 40 000 personnes par an. C’est un chiffre tout à fait supportable pour un pays comme le nôtre. Cela permettrait même sans doute, si c’était planifié intelligemment, de lutter contre la désertification de certains territoires.

Tout cela revient à étendre le droit au séjour. Mais que faire pour les étrangers qui sont déjà installés en France sans titre de séjour ?

Il va falloir mener aussi une politique de régularisation des sans-papiers et de leurs enfants, sur la base du travail et de l’éducation. Quand on travaille ici, que l’on contribue à la richesse du pays, on doit être régularisé. Cela permettra au régularisé d’avoir un contrat de travail en bonne et due forme, qui respecte le

droit et ne serve pas à tirer vers le bas les conditions de travail en France. Le travail légal est un vecteur d’intégration puissant. Mais l’intégration passe aussi par d’autres mesures : favoriser l’apprentissage du français, réduire les délais administratifs, donner accès à la formation professionnelle… Il faut également régulariser les écoliers sans-papiers et les étudiants.

L’Assemblée examine le projet de loi Collomb sur l’asile et l’immigration. Qu’en attendre ?

La politique du gouvernement est l’exact inverse de ce que nous préconisons. On augmente la durée de rétention, on raccourcit les délais de recours, on criminalise les associations d’aide aux migrants. C’est une politique inhumaine, toujours inefficace, qui vise à cacher les problèmes. Dès la présentation en commission, Gérard Colomb a fait assaut de cynisme et d’inhumanité, parlant de « submersion ». Dans ce discours, l’étranger est un délinquant. Faut-il rappeler qu’il est avant tout une victime ? Tout cela tourne tellement le dos au devoir d’humanité que même l’ONU s’en émeut. Nous allons donc nous y opposer fortement, comme d’ailleurs toutes les associations œuvrant sur la question mais aussi le personnel de l’OFPRA [office français de protection des réfugiés et apatrides, qui instruit et statue sur les demandes d’asile] et de la Cour nationale du droit d’asile [juridiction administrative de recours contre les décisions de l’OFPRA]. Comme d’habitude, le groupe FI présentera un contre-projet, indiquant ce que ferons quand nous gouvernerons le pays. Si je devais résumer la logique, je dirais : il faut s’atteler d’urgence aux causes de ces migrations forcées ; mais en attendant notre pays a le devoir et les moyens d’en assumer les conséquences.

Propos recueillis par Antoine Prat.


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