Apprentissage au bonheur du Medef

samedi 31 mars 2018.
 

C’est maintenant à l’apprentissage de passer à la moulinette des politiques du gouvernement. Après la sélection à l’université et la destruction du bac comme diplôme national, Edouard Philippe et Muriel Pénicaud ont présenté en février dernier les grandes orientations de leur contre-réforme.

Leurs annonces marquent une victoire totale du MEDEF qui s’active depuis des décennies en faveur du développement de l’apprentissage. Le gouvernement reprend d’abord son objectif de 500 000 apprentis. Une aide de 500 euros destinée à aider les apprenti.e.s majeur.e.s à passer leur permis de conduire est prévue pour attirer davantage de jeunes dans cette voie. L’apprentissage sera ouvert jusqu’à 30 ans contre 26 actuellement. Enfin, l’embauche d’apprentis sera désormais possible tout au long de l’année et non, comme aujourd’hui, à certains moments de l’année scolaire. Mais au-delà, c’est à une libéralisation profonde du secteur de l’apprentissage que le patronat est parvenu. L’introduction du principe de libre création des centres de formation des apprentis (CFA) marque en effet un tournant. Alors que jusqu’ici la compétence de l’apprentissage revenait aux régions, un CFA pourra désormais s’ouvrir sans leur autorisation.

Une manne publique

A cette fin, ces derniers percevront directement les produits de la « contribution alternance ». Cette nouvelle taxe, équivalant à 0,85% de la masse salariale des entreprises, remplace la taxe d’apprentissage, autrefois reversée à 51% aux régions. Le gouvernement estime qu’elle rapportera aux alentours de 4 milliards d’euros, versés aux CFA en fonction du nombre de contrats qu’ils auront signés.

Si la logique adéquationniste, consistant à faire coïncider l’offre de formation aux besoins économiques locaux était déjà marquée du temps du pilotage régional de l’apprentissage, elle se renforcera dans le nouveau système. Par son mécanisme de financement, celui-ci avantage les CFA les plus attractifs, c’est à dire délivrant les formations les plus en adéquation avec les besoins économiques du moment. Dans le même temps, les CFA plus petits et moins dynamiques verront leur existence mise en cause par la diminution des moyens qui leurs seront alloués.

Le gouvernement a prévu de laisser 250 millions d’euros, à peine 5% des recettes de la « contribution alternance », aux régions afin de leur permettre de soutenir les CFA implantés en zone rurale ou dans les quartiers de la politique de la ville. Mais, alors que l’austérité frappe durement les budgets des collectivités territoriales, en s’inscrivant dans une logique de mise en concurrence territoriale, la contre-réforme de l’apprentissage ne peut que concourir à la désertification des territoires déjà les plus fragiles.

Formation par l’entreprise pour ses propres besoins

La prise en main par les branches professionnelles de la formation des près de 400 000 apprentis que compte notre pays marque également un basculement. Celui du remplacement de la qualification par la certification.

Attachée au poste de travail, cette dernière est partielle et périssable. A l’inverse, la qualification, attachée à l’individu, est durable et garantit une complète maîtrise professionnelle. La certification empêche ainsi le travailleur et la travailleuse d’exercer sa liberté et sa mobilité. Voilà pourquoi, aggravant la dépendance des salarié.e.s et les plaçant en situation de précarité, elle est le grand projet du patronat.

La politique du Président Macron s’inscrit dans la droite ligne de celle du précédent gouvernement socialiste. Alors que l’apprentissage permettait la préparation de diplômes nationaux, la loi El Khomri l’a ouvert à celle de certification de branches. Celles-là même qui intéressent directement les branches professionnelles désormais toutes puissantes, d’autant que la « loi Travail » a engagé un processus de fusion qui devrait faire passer leur nombre d’environ 700 à 200.

Dans un tel cadre, et après les ordonnances contre le Code du Travail, les droits sociaux des apprentis sont également mis à mal. Alors qu’en plus de leur travail à temps plein ils doivent suivre 400 heures de formation annuelle, ils pourront être amené à travailler jusqu’à 40 heures par semaine dans le BTP tandis que les horaires seront « assouplis » dans la boulangerie. Dans le même temps, la rémunération des apprentis demeurera, malgré l’augmentation de 30 euros mensuels promise par le gouvernement, le plus souvent bien en deçà du SMIC.

Si l’apprentissage correspond à certains parcours de formation, notamment dans les métiers de l’artisanat, il conduit également nombre de jeunes à l’échec. 25% des apprentis ne vont pas au bout de leur contrat. 50% dans certains secteurs comme la boulangerie. En outre, la recherche de stage est un parcours du combattant pour tous celles et ceux qui sont victimes de discriminations racistes ou de genre.

Favoriser le public plutôt que le privé

Voilà pourquoi, c’est au développement de la voie professionnelle publique qu’il faudrait donner la priorité. Celle-ci accueille 660 000 lycéen.ne.s et permet l’acquisition des qualifications de haut niveau indispensables à la transition écologique de notre économie. Pourtant, 172 lycées professionnels ont fermé dans notre pays sous les quinquennats de Sarkozy et Hollande. Plus de 3 300 postes d’enseignant.e.s dans cette voie ont été supprimés depuis 2012.

Ce démantèlement risque de se poursuivre. Alors que certains présidents de régions comme Hervé Morin demandaient un droit de veto leur permettant de s’opposer à l’ouverture de CFA dès lors qu’elle mettrait en péril l’existence de lycées professionnels en proposant des cursus similaires à proximité, cette possibilité leur a été refusée. Plus inquiétant encore, mise de côté dans le cadre de la contre-réforme du lycée et du baccalauréat, la voie professionnelle semble plus que jamais reléguée et ses élèves condamnés à voir leurs possibilités de poursuite d’étude considérablement entravées.

A l’heure du défi climatique, l’intérêt général humain commande pourtant l’élévation du niveau général de qualification. Celle-ci passe par le développement de la voie professionnelle publique et d’un apprentissage émancipé du MEDEF et de ses intérêts de court terme.

Paul Vannier


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