Afrin : Turcs go home (retournez chez vous) !

mercredi 21 mars 2018.
 

1) Abandon des Kurdes à Afrin : la faute d’Emmanuel Macron

Loin du nouveau monde promis durant sa campagne, le président de la République cautionne le régime turc et ses exactions contre les Kurdes du YPG. Une compromission infamante pour la France, au nom d’intérêts indéfendables.

Source : http://www.regards.fr/l-humeur-du-j...

On nous promettait donc un nouveau monde. Macron, président du monde, héraut des droits de l’homme et d’un monde ouvert, libre. Mais, depuis plus de sept semaines maintenant, les forces turques de la dictature d’Erdogan et leurs supplétifs syriens, parfois directement issus des rangs de l’État Islamique, assiègent la ville-refuge, la ville autrefois libre et ouverte d’Afrin.

Pire, depuis ce mercredi, les forces turques opèrent une percée décisive à ses portes malgré la présence et la résistance des combattants kurdes du YPG, la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Si l’on en croit l’agence Reuters et le New York Times, l’eau est désormais coupée, en amont, par les forces turques.

Dans une ville qui accueille également des réfugiés de toutes confessions, la situation sanitaire devient intenable. Sur la centaine de milliers d’habitants et de réfugiés que compte la ville, une dizaine de milliers est d’ores et déjà déplacée, fuyant le manque d’eau et les bombardements des hélicoptères d’attaque légers de l’armée turque, qui prennent également pour cible les zones habitées par les civils.

Égards et contrats pour Erdogan

Selon le témoignage des Forces antifascistes à Afrin (des volontaires occidentaux qui ont rejoint les rangs des forces kurdes pour combattre l’État Islamique), « à ce jour, près de 300 civils ont été sauvagement tués, y compris les femmes et les enfants, tandis que les blessés s’élèvent à plus de 700 personnes ».

Qu’a fait, que fait la France, pendant ce temps ? Elle n’a rien trouvé de mieux, en la personne d’Emmanuel Macron, que de recevoir Erdogan comme elle avait déjà reçu Poutine et Trump ; de signer un contrat portant sur un système de défense anti-missiles avec la Turquie ; enfin, dans la foulée, de reconnaître le PKK comme une organisation "terroriste". On croit rêver.

Car enfin, à qui doit-on les premières victoires contre l’État Islamique et ses menées terroristes (véritables, celles-là, comme nous avons pu l’éprouver en France), sinon aux combattants et aux combattantes kurdes du PKK ? Aurait-on déjà oublié la bataille de Kobané ? Et avec cette première victoire contre l’État Islamique, un peuple libre qui – une fois de plus – s’était hissé aux avant-postes pour défendre le droit à l’autodétermination et l’auto-organisation ; pour défendre et reconquérir la liberté des femmes, des minorités religieuses aussi ; et armé, avec cela, d’une impeccable vision égalitaire ?

Il faut le dire sans détour : c’est une honte, une infamie sans nom, qu’Emmanuel Macron ait osé qualifier de terroristes les représentants du PKK et du peuple kurde et, avec les autres dirigeants européens, les abandonne aujourd’hui au silence et à la mort.

Le monde selon Macron

Mais il faut aller plus loin, et s’interroger sur les raisons de cette compromission. Pourquoi ce geste de capitulation, qui renforce une dictature aux frontières de l’Europe ? Sinon parce que cette dictature est, en fait, devenue le fondé de pouvoir de l’Union européenne dans la crise des migrants ? Pourquoi tout concéder à Erdogan, si ce n’est pour faire de la Turquie un rempart chargé de contenir les migrants ?

On le sait : Erdogan menace, depuis le printemps 2017, de lever l’accord qui veut que tout migrant arrivé sur les côtes européennes après avoir transité par la Turquie puisse y être renvoyé (un accord dans le cadre duquel, de plus, l’UE verse trois milliards d’euros à la Turquie). Ce que l’eurodéputé belge Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts au Parlement européen affirmait déjà en mars 2017 pèse sans doute non moins, aujourd’hui, sur le destin des Kurdes : « C’est parce que l’Union européenne refuse de faire ce dont elle est capable en termes de réfugiés que nous nous mettons à la merci de ce gars [Erdogan] ».

Il faut donc se demander quel est ce monde, la nature de cette ouverture au monde que prônait Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle. La réponse est désormais évidente : c’est une ouverture au monde, mais au monde des puissants et des puissances (qu’on reçoit avec allégresse sous les ors de Versailles).

Mais ce monde de puissants demeure lui-même fermé à ceux qui, ici ou ailleurs, souffrent et luttent pour un peu de pain ou de liberté. Ici, en France : ceux qui ne sont rien, ou sont regardés comme des hommes de second rang (les migrants). Ailleurs : les peuples qui à Afrin, ou dans la Goutha, sont autant de vies qui ne comptent pour rien.

Emmanuel Macron s’était fait le champion de l’ouverture au monde et à l’Europe. Il n’est, en vérité, que le gardien, le chien de garde d’une Europe des banques et des barbelés.

2) Erdogan s’empare d’Afrin et pérore

Source : http://www.liberation.fr/planete/20...

La ville kurde du nord de la Syrie est tombée aux mains des forces turques et de leurs alliés de l’opposition syrienne dimanche. Les défenseurs de la ville et nombre d’habitants étaient déjà partis. Ankara ne compte pas en rester là.

Dimanche, au 58e jour de l’opération « Rameau d’olivier », le président turc, Recep Tayyip Erdogan, l’annonçait non sans fierté : « Les unités de l’Armée syrienne libre, soutenues par les forces armées turques, ont pris le contrôle total du centre-ville d’Afrin à 8h30 du matin. » Lancée le 20 janvier, l’opération militaire turco-syrienne a donc marqué ce week-end une avancée décisive dans la conquête de ce canton du nord-ouest de la Syrie, contrôlé depuis 2012 par les milices kurdes des YPG. Des milices considérées par la Turquie comme l’émanation syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la guérilla kurde qui opère sur le sol turc depuis plus de trente ans.

La date de l’opération semblait toute choisie pour le président Erdogan qui s’exprimait aujourd’hui depuis la ville de Canakkale, où l’on commémore ce dimanche le 103e anniversaire de la victoire des troupes ottomanes sur les forces alliées lors de la bataille de Gallipoli en 1915. Comme à son habitude, le leader turc n’a pu se priver d’un parallèle historique cousu de fil blanc : « Ils pensaient que la Turquie n’est pas aussi forte qu’elle l’était à Çanakkale », a-t-il lancé à la foule. Et de rappeler qu’aujourd’hui, à Afrin, « le drapeau turc flotte ».

La capitale de la province syrienne, encerclée depuis mardi par les forces de l’opération « Rameau d’olivier » s’attendait à un assaut imminent. Depuis mercredi, près de 250 000 habitants avaient pu fuir par un corridor laissé ouvert par l’armée turque dans le sud de la ville. C’est donc dimanche matin, à l’aube, que les forces spéciales turques et les rebelles syriens sont entrés à Afrin, ne rencontrant sur leur chemin aucune résistance. « La plupart des terroristes avaient déjà fui la queue entre les jambes », a souligné Erdogan dans son discours. Il n’aura donc fallu que quelques heures pour prendre le contrôle de la cité kurde.

Dans l’après-midi de dimanche, des officiels kurdes ont confirmé le retrait des combattants YPG. « Ils ont commencé à se retirer depuis une semaine déjà, comprenant qu’ils ne pourraient pas résister à l’avancée turque. Ils n’ont pu aller qu’en direction des territoires contrôlés par le régime plus au sud. Ils devraient ensuite passer dans les zones contrôlées par les YPG, plus à l’Est », estime pour sa part Nihat Ali Özcan, spécialiste des questions de sécurité. Si la région d’Afrin est tombée, le combat ne semble pas terminé, prévient Salih Muslim, l’ancien président du PYD (principal parti dans les zones kurdes de Syrie) : « Se retirer d’une bataille ne signifie pas perdre la guerre et abandonner la lutte. La lutte va continuer et le peuple kurde continuera de se défendre. »

Dans le centre de la ville fraîchement conquise, sous l’objectif des caméras, un soldat turc hisse le drapeau de la République au balcon du Conseil législatif de la région, au côté de la bannière de la révolution syrienne. « Une victoire dédiée aux martyrs tombés le 18 Mars », lance-t-il en hommage aux soldats ottomans de Gallipoli. Dans le même temps, un bulldozer met à terre la statue de Kaveh le forgeron, personnage du panthéon kurde.

Les rebelles syriens, eux, retirent les drapeaux des YPG et déchirent les portraits d’Öcalan, leader du PKK. Des opérations militaires se poursuivent dans le nord et l’ouest de la région où subsistent quelques poches de résistance. Mais « le terrorisme est terminé à Afrin », conclut sur Twitter le porte-parole du gouvernement turc, Bekir Bozdag. En deux mois d’opération, 1 500 combattants kurdes ont été tués, estime l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). L’ONG compte également plus de 400 morts du côté des rebelles syriens et des troupes turques, même si Ankara annonce, pour l’heure, que seuls 46 de ses soldats tombés en « martyrs ».

« Hey Parlement européen, qu’est ce que vous faites ?

Une fois de plus, les civils n’ont pas été épargnés rappelle l’OSDH : 286 ont été tués depuis le 20 janvier. Un chiffre vivement contesté par Ankara, qui estime avoir pris toutes les précautions, quitte à ralentir son opération, pour prévenir les pertes civiles. Malgré les appels à la retenue de ses partenaires occidentaux, soucieux d’éventuelles pertes civiles – et de voir le combat mené par les Kurdes contre l’Etat islamique ralenti –, la Turquie a poursuivi son opération, faisant fi des critiques. Ainsi la motion du Parlement européen, ce jeudi appelant au retrait des troupes turques de Syrie, a été sèchement reçue par l’exécutif turc. « Hey Parlement européen, qu’est ce que vous faites ? […] Depuis quand donnez-vous des conseils à cette nation ? Gardez-les pour vous. Nous poursuivrons l’opération à Afrin », a rétorqué ainsi Recep Tayyip Erdogan.

« L’opération n’est pas terminée à Afrin », prévient cependant Nihat Ali Özcan. Une nouvelle phase laborieuse commence pour Ankara : « Maintenant il faut sécuriser la région, reconstruire les infrastructures, le système d’eau, l’électricité, les hôpitaux et surtout gérer la population locale », rappelle l’expert. Et d’annoncer : « Ensuite, il faudra observer ce que fait Ankara. Sortie renforcée de cette opération, la Turquie pourrait envisager ensuite d’autres mouvements militaires, plus à l’Est, comme vers la ville de Manbij [une ville contrôlée par les YPG avec le soutien des Etats-Unis, ndlr], voire en Irak, où le PKK possède des bases. »

Quentin Raverdy Correspondance à Istanbul

3) Syrie. Afrin meurt dans le silence du monde ; ça suffit !

Les habitants du canton d’Afrin et les forces de défense résistent depuis maintenant cinquante-cinq jours à l’invasion de l’armée turque épaulée de ses supplétifs djihadistes. Cinquante-cinq jours de bombardements massifs, de destructions, de morts et d’exactions perpétrées par les anciens membres de Daech, du Front al-Nosra (al-Qaida) ou de brigades islamistes qui sévissaient à Alep-est, reconvertis au sein de l’Armée syrienne libre (ASL). Hier, en milieu d’après-midi, le pilonnage a été intense. Les zones autour de l’hôpital ont été touchées. Des dizaines d’obus et de roquettes se sont abattues, faisant plusieurs morts et de nombreux blessés. «  Depuis une semaine, la situation est particulièrement critique, explique Nergiz Afrin (un pseudonyme pour éviter toutes représailles turques) du centre d’information Résistance Afrin. L’État turc a complètement bloqué l’alimentation en eau de la ville. Le barrage de Meydanki, principal réservoir d’eau d’Afrin, a été bombardé, tout comme le réservoir de Metina. De plus, les antennes de téléphonie mobile sont systématiquement détruites, isolant totalement de nombreuses familles. »

Une situation sanitaire qui s’aggrave

200 000 personnes ont fui cette avancée, laissant tout derrière elles, n’emportant que les simples vêtements qu’elles portaient. Beaucoup ont trouvé refuge dans la ville d’Afrin et sont maintenant prises au piège, comme le montrent les témoignages que nous publions (lire ci-contre). Elles seraient actuellement près d’un million.

Le conseil social de la ville tente de faire face malgré les bombardements incessants. Les écoles servent maintenant de dortoirs. L’eau, rationnée, est distribuée, de même que de la nourriture. Seules quelques épiceries sont ouvertes, plus rien ne fonctionne. La situation sanitaire s’aggrave. Il n’y a pas assez de personnels pour soigner les blessés et plus assez de médicaments. La solidarité s’organise néanmoins et des familles en accueillent d’autres. Elles sont trois, cinq, voire dix à tenter de survivre dans la même maison. Malgré cela, ils sont très nombreux à dormir, avec leurs enfants, dans les ruines, dans le froid et les dangers de la nuit. 250 civils ont été tués depuis le début de l’offensive turque, le 20 janvier. Mardi, un enfant de 14 ans a péri lors d’un bombardement sur le district d’Eshrefiye. « Les bombardements et la proximité des islamistes inquiètent particulièrement la population, note Nergiz Afrin. Les gens connaissent très bien les pratiques de ces djihadistes. Les habitants sont sûrs que s’ils entrent dans la ville ils seront massacrés, violés et égorgés. Cette peur qui ne cesse de monter parmi les civils est terrible. »

Depuis hier, le danger est encore plus pressant. Il est aux portes. Mercredi matin, le président turc, Recep Erdogan, lançait, matamore  : «  J’espère, si Dieu le veut, qu’Afrin sera complètement tombée d’ici ce soir.  » La résistance populaire l’a forcé à revenir sur ses propos, parlant, par la suite d’Afrin «  totalement encerclée  ». Redur Khalil, un porte-parole des YPG (unités combattantes kurdes), avait immédiatement réagi après la première déclaration du chef de l’État turc : « Il semble que le président (…) Erdogan rêve éveillé en parlant d’une chute d’Afrin ce (mercredi) soir.  » La seule route encore ouverte est néanmoins sous le feu turc et tout convoi, civil ou militaire, qui tente de l’emprunter devient une cible.

Des convois de solidarité sont parvenus jusqu’à Afrin ces derniers jours, emmenant des centaines de personnes de Cizre (Turquie) ou de Kobané, plus à l’est. Une délégation de représentants politiques et religieux est arrivée du Kurdistan d’Irak. Pourtant, les habitants se sentent trahis, lâchés par une communauté internationale qui avait pourtant applaudi devant leur courage et leur victoire face à Daech, en janvier 2015, à Kobané. La France parle un peu mais n’agit toujours pas. Alors que les massacres se poursuivent à Afrin, l’Union européenne annonce une deuxième enveloppe financière de 3 milliards d’euros pour aider la Turquie à accueillir les réfugiés syriens sur son sol ! Quant au ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, il plastronne une fois avec les représentants de la Russie, une fois avec ceux des États-Unis, certain de son impunité. Pis, mardi, il a annoncé que les chefs de la diplomatie turque et américaine allaient se rencontrer le 19 mars, à Washington, pour étudier l’évacuation des combattants kurdes de Manbij – où stationnent les troupes américaines. Pour les Kurdes, la trahison est totale, dans le silence fracassant du monde, trop occupé par la Ghouta orientale.

Pierre Barbancey, L’Humanité


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