Venezuela :«  Une révolution inachevée face à une contre-révolution totale  »

mardi 20 février 2018.
 

Venezuela. Alors que le gouvernement vénézuélien et l’opposition de droite pourraient parvenir aujourd’hui à un accord politique, Washington redouble d’efforts contre Caracas. Le sociologue argentin Marco Teruggi décrypte les raisons du conflit.

Dans la perspective de la future présidentielle qui doit avoir lieu d’ici à la fin avril, le sociologue argentin et spécialiste du Venezuela, Marco Teruggi, estime que le chavisme, uni autour du candidat et président sortant, Nicolas Maduro, doit redonner toute sa place aux organisations populaires locales afin de résoudre le conflit politico-économique, et ce à l’heure où la droite ne parvient pas à dépasser ses profondes divisions internes.

Le dialogue entre le gouvernement du président Nicolas Maduro et l’opposition de droite pourrait aboutir, ce lundi, à un accord politique. Peut-il mettre un terme au conflit que connaît le Venezuela  ?

Marco Teruggi Ce dialogue permet de clarifier les règles du jeu démocratique, après des mois durant lesquels l’opposition a tenté de prendre le pouvoir par la force. Parmi les points débattus, il y a la reconnaissance par l’opposition de la légalité et la légitimité de l’Assemblée nationale constituante (ANC), la résolution des problèmes économiques aggravés par les sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne (UE), et dont les conséquences nuisent, en premier lieu, à la population. Enfin, la Table d’unité démocratique (MUD, coalition de partis de droite – NDLR) réclame un changement total du Conseil national électoral.

Pour quelles raisons certaines composantes de la droite contestent-elles ce dialogue  ?

Marco Teruggi L’opposition connaît une crise interne. Sa base sociale pense que ses dirigeants sont des traîtres parce qu’ils négocient avec le gouvernement. Une partie de la direction de la MUD fait preuve de rigidité face au chavisme pour ne pas froisser cette base sociale. Et puis, alors que le dialogue est en passe d’aboutir, le secrétaire d’État des États-Unis, Rex Tillerson, fait une tournée en Amérique latine, pour créer un front anti-Maduro. C’est le signe que l’opposition est plus subordonnée aux États-Unis qu’il n’y paraît. Le conflit vénézuélien est, certes, national, mais les États-Unis et leurs entreprises donnent le « la ». Le secrétaire d’État, Rex Tillerson, dirigeait, jusqu’à récemment, ExxonMobil (société pétrolière et gazière américaine). Au cœur du conflit vénézuélien, il y a toujours la question pétrolière. Washington cherche à briser le processus bolivarien parce qu’il revendique le socialisme du XXIe siècle, mais aussi parce qu’il prône une politique souveraine grâce aux ressources naturelles. L’alliance du Venezuela avec la Russie et la Chine constitue une menace pour les États-Unis en Amérique latine.

Et concernant les récentes sanctions dictées par l’Union européenne  ?

Marco Teruggi La politique européenne ressemble étrangement à celle des États-Unis avec les déclarations de la Grande-Bretagne qui souhaite interdire les échanges commerciaux avec Caracas, l’interventionnisme du Parti populaire en Espagne ou encore la France, qui dénonce une dérive autoritaire. L’objectif est d’isoler le Venezuela, mais également de travailler l’opinion publique, en construisant un imaginaire selon lequel il existe une dictature qui réprime son peuple. En diabolisant ainsi le Venezuela, on cherche à créer un consensus pour justifier une action d’envergure contre Caracas.

L’Assemblée constituante a annoncé la tenue d’une élection présidentielle avant le 30 avril. Ce changement de calendrier figurait également à l’agenda des pourparlers. Est-ce une issue au conflit  ?

Marco Teruggi Oui. Le gouvernement chaviste est face à une stratégie de revanche politique et économique de la part de la classe dominante. L’opposition cherche à fatiguer la population en la privant de nourriture, en augmentant les prix, bref, en transformant son quotidien en une bataille permanente. Cela interroge sur le sens de la démocratie et la nature du conflit  : le peuple vote mais on lui ôte le pain de la bouche pour qu’il change d’avis. Ce qui se joue au Venezuela, ce n’est pas une alternance politique telle qu’on la connaît en Europe. Nous sommes face à une révolution inachevée qui affronte une contre-révolution totale, avec l’appui de l’étranger.

En matière de choix économiques, le gouvernement ne porte-t-il pas une lourde responsabilité  ?

Marco Teruggi L’encerclement économique vise à empêcher le Venezuela de renégocier sa dette et à créer, ainsi, les conditions pour qu’il soit en défaut de paiement. Sur le plan géopolitique, Caracas cherche à construire un bloc alternatif articulé autour de la Russie et de la Chine afin de garantir des importations. L’idée d’une cryptomonnaie vise à s’émanciper du poids écrasant du dollar. Sur le plan interne, les problèmes comme la corruption au sein de PDVSA (la compagnie nationale pétrolière) sont très importants. Les frontières terrestres et maritimes sont également source d’inquiétudes. À la corruption s’ajoute la chute des cours du pétrole. Les entreprises productrices d’aliments sont aux mains du privé. Car, contrairement à ce qui s’affirme, le chavisme ne contrôle pas l’économie. Les oligopoles alimentaires sont bien réels. L’État génère 95 % des dollars de l’économie grâce à l’industrie pétrolière, mais ces dollars sont destinés au secteur privé importateur, qui est à l’origine du sabotage économique. Comment, dans ce contexte, poursuivre le projet politique de sortie du capitalisme avec une intervention accrue des salariés dans les moyens de production  ? Cette question a été reléguée au second plan.

Comment voyez-vous les prochaines échéances électorales  ?

Marco Teruggi Le chavisme se présente uni autour d’un seul candidat, Nicolas Maduro, là où la droite est très divisée. Mais espère capitaliser le mécontentement populaire provoqué par la guerre économique qu’elle a elle-même engendrée. Car, il ne faut pas oublier que la revanche de l’opposition est d’abord une revanche de classe. La force du chavisme réside, elle, dans le mouvement populaire et organisé comme les communes ou encore les comités locaux d’approvisionnement et de production (Clap). Le conflit politique ne peut se gagner que si les organisations populaires sont à la manœuvre, car elles sont source de résistances et de construction de la démocratie, et du processus de transformation. Si le gouvernement oublie les objectifs politiques pour des raisons tactiques, alors l’adversaire gagnera du terrain. L’opposition rêve d’un peuple qui s’étripe sur le prix de l’huile plutôt que sur le sens du socialisme, parce que cette survie implique une dépolitisation qui lui permettrait de réorienter l’histoire du Venezuela.

Cathy Dos Santos Journaliste à la rubrique Monde, L’Humanité


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