Edgar Morin et le peuple de gauche

samedi 10 février 2018.
 

Recension du livre d’Edgar Morin "Où est passé le peuple de gauche ?"

Le 2 mai 2017, Edgar Morin signait une tribune accréditant l’idée qu’Emmanuel Macron était susceptible de donner des « gages d’un renouveau politique ». Avait-il perdu de vue le « peuple de gauche » ? Voilà que, non sans malice, il nous retourne la question. Résumant l’histoire de ce « peuple de gauche », le philosophe le déclare disparu, avec ses partis, communiste et socialiste, et cela dès le premier septennat Mitterrand, qui avait « vidé le socialisme de toute substance ». « Il est vital » de « changer de voie », estime Morin : pour parer « le cours et la course qui entraînent notre humanité et notre planète vers des désastres », dégradation de la biosphère et dégradation de nos vies. Seule la « création d’une force historique » nouvelle pourrait être capable de « refouler progressivement l’hégémonie du profit, de l’intérêt, du calcul, de l’anonymat, en transformant l’agriculture, la consommation, le mode de vie, le vivre lui-même ».

Le peuple de gauche, s’il existe, s’inquiète lorsqu’il lit sous la plume du philosophe que la « rentabilité peut être obtenue, non par la robotisation des comportements, mais par le plein-emploi de la personnalité et de la responsabilité des salariés ». Ou lorsque semble faire écho à la tribune du 2 mai le saisissant contraste entre les jugements lapidaires portés sur Jean-Luc Mélenchon et le portrait du président en « jeune Bonaparte », « habile, entreprenant, stratège, intelligent », etc. La politique dépend-elle d’« un personnage charismatique comme l’a été Macron au début » (sic) ?

On est soulagé en revanche de lire qu’Edgar Morin est « désolé de voir que, jusqu’ici, sur les ordonnances liées au Code du travail, l’action (du gouvernement) met en œuvre la vulgate économiste classique », et qu’il désapprouve les « dures mesures du ministre de l’Intérieur » : « la sensibilité de gauche ne peut que comprendre le problème des réfugiés, des migrants ». Être de gauche implique « la prise de conscience d’une communauté de destin terrestre ».

Il s’agit donc moins de dire adieu à « la gauche » que d’analyser son échec. La cause essentielle, ancienne, serait la disjonction de ses trois sources originaires, libertaire, socialiste et communiste. Songeant sûrement au très inspirant film de Raoul Peck, le philosophe cinéphile pense que la gauche se régénérera si elle refait « le même chemin qu’a fait Marx avec son ami Engels » : le diagnostic de Marx sur son époque, « la domination du capital », « reste valable : il a dit et prédit la mondialisation », même si on ne peut pas « tout réduire à l’économisme du capital », comme l’a fait la vulgate marxiste. Le jeune Marx voulait au contraire « croiser les savoirs », « sciences de la nature et sciences de l’homme ». « C’est ce travail que j’ai voulu accomplir », conclut Morin dans une phrase testamentaire, et c’est ce travail qu’il nous appelle à continuer. Qu’on se rassure, le philosophe fréquente toujours le bar glacé de la rue des Martyrs Au peuple de gauche. Dans cet espace de « coworking », personne ne se parle. Mais on est au moins d’accord sur un point : ne pas refaire la même erreur que François Mitterrand, qui n’avait « commencé à lire le Manifeste du parti communiste (1848) qu’en montant dans l’avion qui le menait à Moscou pour être reçu au Kremlin ».

Pascale Fautrier


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