Quelques éléments d’histoire de la Catalogne et du sentiment national catalan

samedi 13 janvier 2018.
 

On oublie souvent que la République fut proclamée à trois reprises en Espagne et à cinq en Catalogne.

La « Première République » le fut, en 1873, sur tout le territoire espagnol. Le sentiment national a des racines profondes. Il vient de loin. En 1640, les Catalans se soulèvent contre « l’Etat central » lors de la « Guerre dels segadors (faucheurs ») soutenus par la France. Ils proclament alors la « République » indépendante, sous protectorat français. Au XVIIIe, Felipe V abolit les « privilèges » (droits spécifiques ancestraux, reconnus par la loi) catalans. La Catalogne commence à connaître un essor économique et industriel. Toutes les tentatives républicaines ont prôné et commencé à réaliser (ou réalisé) la séparation de l’Eglise et de l’Etat, sa laïcisation... Autant de thèmes insupportables pour la richissime Eglise espagnole, propriétaire de banques et de grandes propriétés entre autres, pour l’oligarchie des « terratenientes », pour la finance, pour de nombreux officiers...

Les listes républicaines l’emportent contre toute attente partout en Espagne, aux élections municipales d’avril 1931 ; le roi Alfonso XIII, qui embaucha le dictateur Primo de Rivera, fait ses valises et la République est proclamée le 14 avril, quasi simultanément, à Barcelone et à Madrid.

A Barcelone, elle est décrétée même une heure avant Madrid par les maires, et du haut du balcon de l’actuelle Generalitat, par Francesc Maciá, (leader de centre-gauche de l’ERC, la Gauche républicaine de Catalogne). Il devient le premier président de la Generalitat. La proclamation espère « que les autres peuples d’Espagne se constituent en République ». En août 1931, les forces progressistes et révolutionnaires, puissantes et combattives en Catalogne, instaurent un gouvernement catalan, un parlement, une langue officielle , etc. L’aspiration républicaine porte en elle une forte exigence sociétale et sociale. Ici, majoritairement, on est Espagnol et Catalan, ou Catalan et Espagnol... La revendication d’autonomie englobe surtout la reconnaissance des droits, de la spécificité catalane, de la culture et de la langue...

L’ERC, qui a gagné les municipales, porte un projet de « République fédérale » ; il sera négocié à la baisse, et deviendra le « Statut spécifique » de 1932, plus modéré. En Catalogne comme ailleurs, des milliers de journaliers ne possèdent aucun arpent de terre. Dans les usines, les patrons n’hésitent pas à recruter des tueurs pour liquider les « meneurs » des grèves et des luttes sans quartier. Les anarchistes, le groupe « Los Solidarios », pratiquent l’auto-défense.

En décembre 1933, le président de la Generalitat, Luis Maciá, décède, et un autre « républicain modéré », une grande figure, Lluís Companys, lui succède. Il est déjà à cette étape, difficile d’étiqueter le mouvement autonomiste, l’exigence identitaire. Pour beaucoup, ils sont « globalement de gauche ». Il existe deux puissantes forces populaires : les anarchistes de la CNT-FAI et la socialiste UGT. Les communistes du PSUC, pour qui va primer la défense de cette République contre le fascisme, se renforceront plus tard.... Le trotskisant POUM et les anarchistes considèrent la Deuxième République comme « bourgeoise ». Les deux logiques en présence sont irréconciliables et vont s’affronter durement. En août 1937, le gouvernement envoie la Onzième division de l’Armée populaire républicaine pour mettre au pas, par les armes, le libertaire « Conseil d’Aragon », après avoir en mai réprimé l’insurrection populaire anarcho-syndicale à Barcelone (Telefónica), au moment où siègent au gouvernement trois ministres anarchistes. Les unités qui firent le « sale boulot » étaient pour la plupart commandées par des communistes. Ce sang versé, entre antifascistes, reste encore aujourd’hui objet de ressentiments fratricides, ineffaçables, du moins difficiles à dépasser...

En octobre 1934, les conservateurs avaient gagné les élections générales, conséquence des promesses sociales non tenues par la République. Face à « l’incumplimiento », les engagements non respectés, l’UGT et le PSOE appellent à la grève générale. Les mineurs de Asturies se soulèvent. La « révolution des Asturies » s’organise en « République socialiste des Asturies ». En réponse, l’armée massacre les mineurs. Pour protester contre la « fascisation, la restauration en marche », le 6 octobre 1934, Lluís Companys, président de la Generalitat, proclame l’Etat catalan, au sein de la République fédérale espagnole. Un éphémère Etat qui sera, lui aussi, noyé dans le sang. Le président Companys est arrêté, emprisonné, et le gouvernement autonome catalan suspendu. Lluís Companys est condamné à 30 ans de prison. A Madrid, le gouvernement est aux mains des forces les plus conservatrices : la CEDA, les « Radicaux », Rénovation nationale... A Barcelone, le général Domingo Batet a étouffé l’initiative du président de la Generalitat, Lluís Companys.

Force majoritaire , enracinée depuis des décennies en Catalogne, l’anarchiste CNT-FAI mène, depuis la fin du XIXe, une lutte des classes frontale. Elle engage, surtout après février 1936, (victoire électorale du Front populaire) un processus révolutionnaire de « collectivisations », particulièrement à la campagne, d’appropriation collective et sociale des moyens de production, y compris du petit commerce et de l’artisanat. Mais elle refuse de prendre le pouvoir politique, à la tête de la Generalitat. Le « golpe » civico-militaire de juillet 1936 accélère le mouvement.

Les « collectivités », (« début de révolution » selon les libertaires), leur opportunité, se trouvent contestées par les communistes, par de larges secteurs du PSOE, des « azagnistes », des nationalistes catalans, et par les autres petits partis républicains modérés. Ils les considèrent comme une dispersion de forces face à la prioritaire et urgente résistance antifasciste, afin de « gagner d’abord la guerre » par la consolidation d’une Armée populaire républicaine. Pour que, notamment, la Catalogne retrouve un statut d’autonomie. Pour des milliers de pauvres, d’ouvriers, de sans terre, la révolution esquisse une société nouvelle, solidaire : le communisme libertaire. L’identité ne va pas sans la « question sociale ». Les miliciens luttent à la fois contre le fascisme et pour la révolution.

C’est seulement en février 1936, lorsque le Front populaire gagne les élections, que des milliers de prisonniers politiques, dont Lluís Companys, sont libérés. Ce dernier redevient Président de la Generalitat, le parlement et les autorités catalanes. Le « statut catalan », démocratique, adopté en octobre par les « cortés », garantit l’autonomie. Lors de la défaite militaire des Républicains, en janvier-février 1939 (Barcelone tombe le 26 janvier), la Generalitat est abolie par les franquistes victorieux, et le président Companys se réfugie en France. Là, avec la complicité de Vichy, la Gestapo l’arrête le 13 octobre 1940, et le livre à Franco. Ce dernier le fusille le 15 octobre 1940 au Château de Montjuic.

La revendication d’autonomie des catalanistes est, dans ces années 1930, globalement « de gauche », comme elle le sera, beaucoup plus, sous le franquisme. Elle implique le mouvement ouvrier. Aujourd’hui, les principaux leaders du mouvement indépendantiste, qui est devenu majoritaire pour la première fois en 2015, appartiennent pour la plupart à la cossue bourgeoisie catalane, très libérale et « européiste ». L’indépendantisme est teinté d’aspects « patriotards ». Mais l’essentiel est ailleurs. La République, celle que voudrait la bourgeoisie catalane, n’est pas la nôtre, mais elle ouvre une brèche au peuple et la monarchie se retrouve frappée d’illégitimité, elle qui reste la pièce maîtresse du continuisme franquiste.

Parler catalan conduisait, sous le franquisme, à la torture et à la prison. Communistes du PSUC, anarchistes, groupes de lutte armée, catalanistes, chanteurs, menèrent alors une résistance irréductible et quotidienne. Les « 33 tours » de Luis Llach , María del Mar Bonnet (des Canaries), Raimón, Pi de la Serra... circulent clandestinement.

En 1979, la Catalogne retrouve son statut d’autonomie, repris dans la constitution de 1978. Cette dernière garantit, par son article 137, le paiement de la dette bancaire privée avec des moyens publics, dans son article 38, la liberté d’entreprise dans le cadre de l’économie de marché, et dans l’article 8, stipule que l’armée est garante de l’unité nationale. Toujours selon la constitution de 1978, l’Espagne s’organise en 17 « communautés autonomes », dont trois « historiques ». Les forces de droite ont dû céder sur la vision centraliste, uniforme, uninationale, de l’Etat espagnol, dont le centre est, selon elles, Madrid. La démocratisation de l’Etat espagnol, même si elle reste à réaliser, pour une Espagne plurinationale, a toutefois marqué des points.

En mars 2006, les parlements catalan et espagnol votent un texte comportant la notion de « nation » à propos de la Catalogne, au sein d’un ensemble fédéral, ainsi qu’un « statut catalan élargi » (ouvrant plus de compétences).

Rajoy et le PP mettent le feu aux poudres. Ils affichent mépris et intransigeance. En 2010, le néo-franquiste Rajoy fait annuler par le Tribunal Constitutionnel, la notion de « nation » ainsi que le nouveau statut. Le 11 septembre 2012, jour de la « Diada », fête nationale catalane, un flot humain réclame le droit de décider, le retour au statut élargi. Pour la première fois, lors du référendum de 2015, le mouvement, jusqu’ici « autonomiste », devient majoritairement « indépendantiste ».

On connaît la suite. Madrid persiste dans son refus de négocier, de prendre en compte l’aspiration sociale et démocratique des Catalans. Quelles qu’en soient les conséquences.

- par Jean Ortiz


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