Le ministère du travail suspend une inspectrice de ses fonctions !!!

lundi 25 décembre 2017.
 

Pour avoir poussé la chansonnette satirique et donné une interview à l’occasion d’une manifestation syndicale, une inspectrice du travail a été suspendue de ses fonctions durant un mois, dans l’attente de passer devant une commission disciplinaire.

Après cette réunion, la ministre a préféré calmer le jeu et ne pas aggraver la sanction.

A) Sus pendue pour délit d’opinion

Dans le monde habituellement feutré de l’administration du travail, c’est la première fois qu’une suspension conservatoire pour faute grave est prononcée. La faute reprochée n’est pourtant qu’une petite vidéo souriante que chacun peut visionner sur internet, tournée dans le contexte d’une manifestation syndicale. Elle contient des propos fermement critiques certes, mais qui ne dépassent ce qui est habituel, banal, en manifestation. Qualifier cela de faute grave, passible des pires sanctions, revient à porter une atteinte évidente à la liberté syndicale. Et cette atteinte est faite par le ministère du travail, lequel a pourtant pour fonction essentielle de protéger la liberté syndicale. Pour ces raisons, le sentiment qui d’abord l’emporte est l’étonnement, la surprise. Comment une telle réaction ministérielle a-t-elle été possible ?

Certes, il y avait eu quelques signes avant-coureurs. Deux inspecteurs du travail ont fait l’objet d’un blâme à la suite d’une action syndicale de soutien à des sans-papiers. Et, depuis quelques années, on observe un renforcement de la discipline imposée aux inspecteurs du travail (notamment par le décret du 20 mars 2014 ou par le nouveau code de déontologie du 12 avril 2017). Mais tout ceci ne semble pas suffire à expliquer la brutalité de l’escalade. Tout de même ! Ce n’est ni la première fois, ni la dernière fois qu’une action syndicale est menée au sein de l’inspection du travail. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que des agents de l’inspection du travail participent à une manifestation. Alors pourquoi une telle réaction ?

Il se pourrait qu’une raison soit dans la nature des propos tenus par la syndicaliste inspectrice. Même si ceux-ci ne sont ni injurieux, ni outranciers, ils prennent à parti directement Mme la ministre du travail. D’après la chansonnette, « elle court derrière le patronat ; elle court pour détruire nos droits ». Peut-être aussi le contexte de la manifestation a-t-il joué un rôle ? Celle-ci s’opposait à certaine idéologie managériale et à la venue à un congrès de DRH de Mme la ministre, où elle était annoncée comme la « DRH de l’entreprise France ». La ministre elle-même était donc visée. Or personne n’aime être caricaturé, surtout dans une chanson. Et personne n’aime être contesté, surtout par une manifestation. D’ailleurs, plus généralement, aucun pouvoir n’aime être critiqué. Et lorsque la critique est acerbe et qu’elle vient d’un subordonné, le pouvoir a toujours l’envie de réagir. Cette envie est bien compréhensible, bien naturelle. Elle explique la réaction ministérielle.

Mais cette pulsion du pouvoir est aussi la raison pour laquelle, en démocratie, les opposants doivent être protégés. C’est le sens de la liberté d’expression et de la liberté syndicale. La démocratie exige du pouvoir qu’il protège ceux qui le limitent, ceux qui le contredisent et ceux qui le critiquent. Mais que c’est dur ! Surtout lorsqu’on perd la culture de la démocratie au profit d’une certaine culture managériale.

Dans l’univers des idées démocratiques et sociales, les agents des services de l’inspection du travail sont des fonctionnaires indépendants, qui ont notamment pour fonction de lutter contre la discrimination syndicale afin de permettre l’expression de contre-pouvoirs dans les entreprises. C’est ce qui découle d’une convention internationale, de rang mondial, conclue en 1947 au sein de l’OIT, ratifiée par la France. Mme Pénicaud, en sa qualité de ministre du travail, a pour fonction d’assurer le respect de cette convention. Pourtant, tel un pompier pyromane, son ministère réagit en sens inverse de ses fonctions.

Pour que cette dérive autoritaire cesse, nous appelons le ministère du travail à ne pas sanctionner l’inspectrice suspendue pour une soi-disant « faute grave » qui n’est que l’exercice de son droit syndical, à annuler les blâmes dont certains syndicalistes ont fait l’objet suite à leur action de soutien à des sans-papiers, à redevenir le défenseur de la liberté syndicale dont notre démocratie, politique et sociale, a le plus grand besoin. En un mot, nous appelons le ministère du travail à se rappeler de ce qu’il est et ne doit pas cesser d’être.

Premiers signataires :

Philippe Martinez, secrétaire général CGT ; Eric Beynel, co-délégué Union syndicale Solidaires ; Bernadette Groison, secrétaire générale FSU ; Laurence Blisson, Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature ; Laurence Roques Présidente du SAF ; Jean-Luc Mélenchon, Député France Insoumise ; Benoît Hamon, Génération (s) ; Alain Coulombel, secrétaire national adjoint, EELV ; Pierre Dhareville, député PCF ; Pierre Cours-Salies, Ensemble ! ; Philippe Poutou, NPA ; Nathalie Arthaud, Lutte Ouvrière ; Adèle Dorada, Alternative libertaire ; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; Bruno Lamour, président du Collectif Roosevelt ; Jean-Baptiste Eyraud, DAL ; Jacqueline Baalsan, MNCP ; Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic ; Anne Eydoux, économistes atterrés ; Dominique Plihon, porte-parole d’ATTAC ; Arno Bertina, écrivain ; Emma, Dessinatrice ; Véronique Champeil-Desplats, juriste ; Philippe Corcuff, sciences politiques ; Benjamin Coriat, économiste ; Alexis Cukier, philosophe ; Emmanuel Dockès, juriste ; Stéphanie Hennette-Vauchez, juriste ; Frédéric Lordon, économiste ; Marie Laure Morin, juriste ; Olivier Neveux, historien du théâtre ; Michèle Riot-Sarcey, historienne.

Clémentine Autain, Députée France Insoumise ; Guillaume Balas, Génération (s) ; Louis-Marie Barnier, Observatoire de la discrimination et de la répression syndicale ; Ludivine Bantigny, historienne ; Arno Bertina, écrivain ; Mathieu Béraud, économiste ; Eric Berr, économiste ; Pierre-Emmanuel Berthier, juriste du travail ; Olivier Besancenot, NPA ; Frédéric Boccara, économiste ; Vincent Bonnin, juriste du travail ; Mireille Bruyère, économiste ; Pascal Cherki, Génération (s) ; Pierre Cohen, Génération (s) ; Yves Contassot, Génération (s) ; Maxime Combes, économiste ; Annick Coupé, Solidaires ; Nathalie Coutinet, économiste ; Florence Debord, juriste du travail ; Véronique Dubarry, conseillère municipale – L’Île-Saint-Denis ; Josepha Dirringer, juriste du travail ; Adèle Dorada, Alternative libertaire ; Florence Fouvet, juriste du travail ; Alain Frappier, auteur de bande dessinée ; Désirée Frappier, autrice de bande dessinée ; Carole Giraudet, juriste ; Didier Gelot Observatoire de la discrimination et de la répression syndicale ; Cécile Gondart-Lalanne, co-déléguée Union syndicale Solidaires ; Laurène Gratton, juriste ; Philippe Guillaume, économiste ; Jean-Marie Harribey, économiste ; Sabina Issehnane, économiste ; Esther Jeffers, économiste ; Anja Johansson, juriste ; Aurore Lalucq, Génération (s) ; Dany Lang, économiste ; Mathilde Larrère, historienne ; Nathalie Lebrun, SNESUP-FSU ; Jean-Yves Lesage, Livre-CGT ; Jonathan Marie, économiste ; Matthieu Montalban, économiste ; Claire Monod, Génération (s) ; Jean-Pierre Mercier, CGT PSA ; Thomas Porcher, économiste atterrés ; Mathilde Panot, Députée France Insoumise ; Michel Pigenet, histoire contemporaine ; Michel Pigenet, historien ; Christine Poupin, NPA ; Raphaël Pradeau, porte-parole d’ATTAC ; Michel Pouzol, Génération (s) ; Bastien Recher, Génération (s) ; Sandra Regol, porte-parole EELV ; Barbara Romagnan, Génération (s) ; Théo Roumier, Cahiers de réflexions Les Utopiques ; Stéphane Sirot, historien ; Henri Sterdyniak, économiste ; Morgan Sweeney, juriste ; Marie Toussaint, déléguée Europe et Jeunesse, EELV ; Aurélie Trouvé, porte-parole d’ATTAC ; Marie-Pierre Vieu, députée européenne PCF ; Xavier Vigna, histoire contemporaine ; Marc Vericel, juriste du travail, Pierre Laurent, Secrétaire national PCF…

B) Une inspectrice du travail réduite au silence

Répression antisyndicale. La fonctionnaire et syndicaliste SUD passe aujourd’hui en conseil de discipline pour s’être confiée à l’Humanité.fr. Une entorse au nouveau code de déontologie, d’après sa hiérarchie.

Une syndicaliste qui, face à la caméra d’un journaliste, demande des comptes à sa hiérarchie. Rien de choquant a priori. Mais quand on est fonctionnaire au ministère du Travail, une telle audace ne passe visiblement plus. Pour s’être exprimée dans un reportage vidéo de l’Humanité.fr le 12 octobre dernier, en marge d’un rassemblement syndical baptisé «  Chasse aux DRH  » à l’occasion d’un congrès de directeurs de ressources humaines auquel assistait la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, une inspectrice du travail et syndicaliste SUD est aujourd’hui traduite en conseil de discipline après avoir été suspendue depuis le 15 novembre. «  Nous sommes surtout venus à la chasse à la ministre, puisque nous avons déjà été en grève le 18 mai à l’occasion de sa prise de fonction et le 20 juin, et nous sommes toujours sans nouvelle de notre ministre. Nous commençons à nous demander si ce n’est pas un hologramme qu’on voit à la télé, donc on est venu voir si elle existait vraiment  », expliquait la syndicaliste dans l’interview. «  Nous n’arrivons plus à communiquer en fait avec notre hiérarchie puisque nous ne parlons pas le même langage, en plus de ne pas avoir les mêmes intérêts  », ajoutait-elle notamment un peu plus tard.

La liberté d’expression semble sérieusement menacée...

Parce que sa qualité d’inspectrice du travail est mentionnée dans un bandeau incrusté à la vidéo, à côté de son appartenance syndicale, il s’agirait d’une atteinte à son «  devoir de neutralité et de réserve  », estime le directeur des ressources humaines du ministère du Travail dans son rapport disciplinaire. Si, comme tout fonctionnaire, les inspecteurs du travail sont soumis à un devoir de réserve, ceux-ci sont néanmoins censés bénéficier comme les autres agents publics d’une liberté d’expression, notamment pour ceux occupant des mandats syndicaux. Mais, depuis l’entrée en vigueur du code de déontologie du service public de l’inspection du travail, glissé dans un amendement à la loi El Khomri et mis en place par un décret du 12 avril 2017, la liberté de ton des inspecteurs semble sérieusement menacée. L’article R.8124-19 dudit code précise qu’«  en dehors du service, (les agents) s’expriment librement dans les limites posées par le devoir de réserve. Ils ne peuvent notamment tenir des propos de nature à nuire à la considération du système d’inspection du travail  ». «  Ils ne peuvent se prévaloir de la qualité d’agent du système d’inspection du travail dans l’expression publique de leurs opinions personnelles  », ajoute le texte. C’est entre autres cet article du code de déontologie que la hiérarchie de la fonctionnaire lui reproche d’avoir enfreint.

« Ce que dit cette inspectrice est simplement la vérité  »

« On assiste ici à l’une des premières applications de ce code de déontologie  », confirme Yves Sinigaglia, membre du conseil national de SUD travail, qui syndique notamment les inspecteurs. «  Nous sommes la seule administration ou les agents ruent autant dans les brancards. Pour notre hiérarchie, c’est insupportable  », ajoute-t-il. «  C’est un avertissement qui est ainsi donné à tous les collègues. La ministre a souhaité faire un exemple alors que ce que dit cette inspectrice est simplement la vérité  », souligne Julien Boeldieu, secrétaire national de la CGT-TEFP, qui précise que «  l’ensemble des inspecteurs du travail – même les non-syndiqués et même ceux qui ne la connaissent pas – sont choqués  » par la procédure de sanction à l’encontre de l’inspectrice.

Aux côtés d’autres syndicats, la CGT et SUD avaient dès le début alerté sur les risques que présentait ce règlement pour la liberté d’expression et les droits syndicaux des inspecteurs. Pour tenter de faire échec à ce serrage de vis, SUD travail a d’ailleurs déposé en juin un recours devant le Conseil d’État, demandant l’annulation de certains articles du décret. Le syndicat attend encore la décision des sages. Dans un contexte de suppression de postes massive – « 16 % des effectifs  » sont menacés, rien qu’en Île-de-France, d’après Julien Boeldieu –, l’inquiétude et la colère des agents montent depuis quelques mois. Le fait que le ministère réponde à l’expression de ce ras-le-bol par une mesure disciplinaire à l’encontre de l’une des leurs risque de ne faire qu’aviver les tensions.

Loan Nguyen

L’Humanité


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