« L’usine de rien », un film qui invite à la réflexion sur le travail et l’autogestion

samedi 16 décembre 2017.
 

Sortie 13 décembre 2018 : Le film « A Fábrica de nada » (L’usine de rien) est avant tout une expérience collective à l’image de l’histoire qu’il raconte, une lutte ouvrière qui débouche sur une occupation et une récupération d’entreprise par ses travailleur-se-s.

En effet, c’est un collectif portugais, organisé en coopérative de production « Terratreme Filmes », indépendant des grosses maisons de production, qui a écrit, réalisé et produit le film. Ce n’est donc pas le fruit du hasard si l’écriture du scenario est si riche et aborde autant de registres : elle correspond à une pratique et se révèle juste par son adéquation entre le fond et la forme.

En effet, cette fiction ne se contente pas de raconter l’histoire d’une usine de pièces d’ascenseurs qui ferme ; elle met en débat nombre de questions autour du travail en utilisant la trame d’une reprise en main des moyens de production. Ce film au long cours chemine pendant près de trois heures entre le récit d’une occupation, l’ébauche romanesque, l’analyse marxiste, le débat théorique sur l’autogestion et la comédie musicale. Il se distingue d’un documentaire même si, à certains moments, il se situe au plus proche du réel, en abordant différentes problématiques humaines, organisationnelles et techniques, spécifiques aux processus de récupération d’entreprises par les travailleur-se-s, telles qu’il est possible de les observer en Argentine, en France ou ailleurs. Pedro Pinho et son équipe ont réalisé un important travail de documentation pour créer cette œuvre comme le démontre la diversité et la justesse des aspects traités.

Le film soulève diverses questions : reprise d’entreprise par ses travailleur-se-s, réflexion collective, autogestion, précarité, crise économique. Dans un contexte économique où l’emploi se raréfie, il interroge notre rapport au travail et les alternatives possibles. Il évoque différents registres, entre la désaffection, l’aliénation, l’émancipation et la redéfinition d’un autre monde. Il développe multiples facettes d’une thèse sur la fin du travail et l’absence d’alternatives à la société capitaliste.

« L’usine de rien » nous plonge d’emblée dans l’ambiance de la crise économique du Portugal de 2010, avec toutes ses conséquences sociales et humaines, qui a touché tant de travailleur-se-s à la recherche de solutions pour survivre. Le film conjugue et chemine sur plusieurs niveaux entre parcours individuels et collectifs, entre considérations de la vie quotidienne et controverses théoriques :

Il débute par l’enlèvement de machines pendant la nuit auquel s’opposent les ouvriers alertés. Ceux-ci évoluent de la perplexité à la révolte. Ils n’entendent pas abandonner leurs postes de travail, tout comme ils ne s’en laissent pas compter par la tactique managériale de division consistant à les diviser avec des primes de départ. Les dissensions qui en résultent sont dépassées quand ils décident d’occuper l’usine pour s’opposer à la délocalisation. Progressivement, l’idée de reprendre la production germe avec tout ce que cela implique comme apprentissage et difficultés mais l’aventure collective de l’autogestion esquisse un autre horizon.

Il relate la vie personnelle de Zé, un jeune ouvrier de l’usine, dans sa relation sentimentale ou avec son père rêvant à une nouvelle révolution.

Il tourne également autour d’un personnage, Daniel, sorte d’intello de gauche, qui se situe en retrait, observe l’occupation en cours et distille quelques références marxistes. Le même participe ensuite à une discussion théorique entre intellectuels sur l’autogestion, le travail et la nature du système capitaliste.

Tourné en partie avec des ouvriers qui jouent leur propre rôle et dans un cadre naturel, le film oscille entre réalisme et idéalisme tout en empruntant la voie artistique. Malgré le tragique de la crise, il révèle la force du collectif pour sortir du néant, l’optimisme et la joie qui s’expriment avec la comédie musicale.

Avec une approche radicale, Pedro Pinho adopte une structure narrative qui permet d’agglutiner différents aspects, de poser des questions tout en laissant la place à diverses hypothèses. « L’Usine de rien » est une œuvre à la fois politique, philosophique et cinématographique. Le film est une invitation à la réflexion. Il convient de prendre le temps de le voir pour la justesse du scenario, la qualité de la réalisation et l’interprétation. Malgré sa durée, il est assurément un bon outil pour engager le débat sur l’avenir du travail et les perspectives autogestionnaires.

Le film a été primé à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes 2017.


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