Togo. Gnassingbé, dictateurs de père en fils

samedi 25 novembre 2017.
 

Les manifestations, réprimées dans le sang, se succèdent à Lomé, capitale du Togo, pour exiger une transition démocratique. Depuis un demi-siècle, le même clan prédateur règne sur le pays.

« J’ai beaucoup d’admiration pour Blaise Compaoré. Il s’est toujours montré disponible et ses conseils me sont très précieux.  » Il y a dix ans, dans les colonnes d’un hebdomadaire français, Faure Gnassingbé ne tarissait pas d’éloges sur son homologue burkinabé. Depuis son exil ivoirien, le satrape chassé de Ouagadougou il y a trois ans par une insurrection populaire pourrait dispenser encore bien des conseils à son ami togolais, menacé à son tour. Comme Blaise Compaoré avant lui, Faure Gnassingbé s’accroche, coûte que coûte, à ce pouvoir qu’il tient, lui, de son père.

La succession dynastique fut rondement menée, sous les auspices de l’armée. Lorsque le général Gnassingbé Eyadema s’éteint le 5 février 2005, après trente-huit ans de règne sans partage, deux heures suffisent aux militaires pour remettre le pouvoir au fils. Il faut dire que «  le grand baobab de Pya  », comme il se faisait appeler, a tout prévu, du costume dans lequel il doit être inhumé jusqu’au schéma de succession, avec partage des prébendes entre les fils. Dès 2002, le dictateur a fait abaisser l’âge minimal d’accès à la présidence de 45 à 35 ans. Du sur-mesure pour son dauphin désigné. Mais pour la «  communauté internationale  », le coup d’État est trop voyant. Pour la forme, il faut en passer par les urnes. Deux mois plus tard, la farce électorale est bouclée, Faure Gnassingbé est «  élu  » président.

Un clan familial prédateur, corrompu et violent

Le fils marche dans les pas du père, perpétuant les pratiques d’un clan familial prédateur, corrompu et violent. Dès le coup d’État militaire de 1963 qu’il supervise avec le parrainage de Paris, Gnassingbé Eyadema marque son règne futur du sceau du crime. Le premier président du Togo, Sylvanus Olympio, n’inspire confiance ni au général de Gaulle, ni à son sulfureux conseiller, Jacques Foccart. Son assassinat est revendiqué sans ambages par le putschiste en chef. «  Je l’ai descendu parce qu’il ne voulait pas avancer  », plastronne-il devant les reporters étrangers, au lendemain de cette exécution sommaire. Il se rétractera… trente ans plus tard.

Ancien sergent-chef de l’armée française passé par l’Indochine et l’Algérie, Gnassingbé Eyadema offre le profil parfait du bon élève du pré carré françafricain. En 1967, le chef d’état-major prend la tête du pays. Les deux piliers de son pouvoir  ? L’armée et le parti unique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT). Déjà, il tisse sa toile affairiste, soigne ses réseaux mafieux, commence à accumuler, sur le dos du peuple togolais, une insolente fortune. Avec les alliés, le général-président est généreux. Souvent, ses audiences sont ponctuées de gratifications. Ses mallettes de billets alimentent les caisses noires de partis politiques français et les correspondants étrangers complaisants sont récompensés par les généreuses «  enveloppes  » qui les attendent à la présidence. À ses adversaires, Gnassingbé Eyadema livre au contraire une guerre sans merci. Il règne par la terreur, les assassinats, les disparitions et la torture, au point que 300 000 Togolais choisissent l’exil. Sur la scène africaine, à la demande de Paris, le dictateur joue les bons offices dans des crises mineures, drapé dans la sagesse que sa longévité politique est censée lui conférer. En coulisses, il est de toutes les sales manœuvres. Lorsque s’annonce la chute de Mobutu, au Zaïre, le Togo devient, avec le Burkina Faso de Blaise Compaoré, l’une des plaques tournantes du trafic d’armes européennes destinées à l’Unita, en Angola. Au passage, le général Eyadema prélève sa dîme et c’est Jonas ­Savimbi lui-même qui lui fait parvenir des diamants du sang, comme en atteste un rapport onusien. Au tournant des années 1990, le peinturlurage «  démocratique  » du régime, encouragé par la Mitterrandie, ne dure pas. En 1991, les chars lâchés dans les rues de Lomé mettent brutalement fin à l’expérience du «  multipartisme discipliné et contrôlé  ». Grèves et manifestations sont réprimées dans le sang et Gnassingbé ­Eyadema fait tirer sur les bureaux du premier ministre que lui a imposé la «  conférence nationale  ». Le dictateur reprend la main.

Très tôt promis aux plus hautes fonctions, Faure Gnassingbé a travaillé son «  image  », adoptant le jargon de la globalisation libérale, affectant un profil technocratique plus policé que celui de son géniteur.

Pourtant la fraude, le pillage, la répression, le recours aux milices restent les marques de fabrique de ce régime. La différence  ? Le général Eyadema avait le sens du clan.

Son fils fait tomber les têtes jusque dans le premier cercle. Accusé d’avoir fomenté un coup d’État en 2009, Kpatcha Gnassingbé, ministre de la Défense et demi-frère du président, a été condamné, en 2011, à vingt ans de prison. «  Il est pire que son père  », assure Jean-Pierre Fabre, candidat de l’opposition aux élections présidentielles de 2010 et 2015. Ces mascarades électorales n’ont jamais apporté à Faure Gnassingbé ni l’assise ni la légitimité espérées. Alors le président togolais corrompt, manipule, entretient les tisons d’une crise politique qui menace aujourd’hui de le brûler. Depuis deux mois, ni les promesses de «  transition démocratique  » ni la répression féroce de forces de sécurité épaulées par des coopérants militaires et policiers français ne semblent en mesure d’endiguer la colère des Togolais. Au début de l’année, sur les rives de la lagune Ébrié, une rumeur prêtait à Blaise Compaoré l’intention de quitter son exil doré d’Abidjan pour rejoindre Lomé. Destination déconseillée pour cause de fortes turbulences politiques.

Rosa Moussaoui, L’Humanité


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