Quand Nicolas Sarkozy veut liquider l’héritage de Mai 68 : Discours en version originale

dimanche 27 mai 2007.
 

Aussitôt après les propos violents et démagogiques de Nicolas Sarkozy contre Mai 68, nous avons ouvert sur ce site une sous-rubrique "Mai 1968".

Trois lecteurs nous ont demandé d’y intégrer des discours du nouveau président de la République sur ce sujet pour pouvoir ensuite, à tête reposée, en faire la critique.

Voici donc quelques envolées significatives.

1) interview de Nicolas Sarkozy pour Le Point en décembre 2005, après les émeutes de banlieue

2) Discours de Nicolas Sarkozy à Bercy

3) Interview de Nicolas Sarkozy sur RTL le jeudi 3 mai 2007

4) Interview de Jean Pierre Raffarin sur l’héritage de Mai 68

1) Dès la fin du mouvement des banlieues à l’automne 2005, Nicolas Sarkozy a construit son discours sur " la rupture avec Mai 68". Tel est le cas par exemple dans cette interview donnée au Point le 8 décembre 2005.

Sarkozy : " Je suis convaincu qu’on est en train de sortir enfin de Mai 68 et de tous ses slogans. Il n’est plus interdit d’interdire".

Le Point : Quelles leçons tirez-vous de la crise des banlieues ?

Sarkozy "Cette crise a d’abord révélé le souhait des Français de retrouver des valeurs, des valeurs d’équité, de respect de la règle, de bon sens. Les Français veulent que les institutions exercent leurs responsabilités, que les professeurs à l’école, les policiers dans la rue, comme les parents, comme les personnes âgées soient respectés. Que la société fonctionne selon des règles. L’impunité, l’excuse culturelle exaspèrent bien au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler la droite traditionnelle... Troisièmement, ils se sont rendus compte comme jamais de la nécessité d’une politique de rupture. Le modèle social français, nos dispositifs d’intégration, la politique de la ville, tout cela, ils n’y croient plus ; ils ne voient qu’un système à bout de souffle...

Vous estimez donc que cette crise a agi comme un révélateur ?

Les Français rejettent la pensée unique, le préchi-prêcha social démocrate, qui explique la délinquance par la pauvreté, qui de façon excessive privilégie les zones, les territoires plutôt que l’individu. Je suis convaincu qu’on est en train de sortir enfin de Mai 68 et de tous ses slogans. Il n’est plus interdit d’interdire...

L’événement de cet automne ce ne sont pas tant les vingt jours d’émeutes que la réaction qu’ils ont provoquée de la part de l’Etat, au nom du peuple... On est dans la situation du médecin qui dit au malade qu’il a une grippe par peur de lui avouer qu’il a un cancer. Il faut dire la vérité si l’on veut traiter les problèmes que nous rencontrons.

N’assiste-t-on pas à une « dérive droitière » de la société française ?

Une dérive ? Je conteste ce mot employé pour stigmatiser tout ce qui n’est pas conforme à la pensée unique. Je préfère parler du rééquilibrage en faveur de l’effort, du mérite, de la promotion, au détriment du nivellement, de l’assistanat, de l’égalitarisme. Quand on ne parlait pas de dérive droitière, quels étaient les scores du Front national ? Aujourd’hui, il s’effondre dans tous les scrutins.

Le Point : Certains évoquent pour s’en réjouir, une « dérive républicaine » ?

Méfions-nous des grands mots ! Mais c’est vrai la République n’est pas la pagaille, c’est l’équité au service de l’égalité. Et dans mon esprit une égalité réelle, pas celle qui n’existe que dans les mots...

Vous ne pensez pas comme Jacques Chirac que la société française est fragile...

Ce qui est sûr, c’est qu’elle est en panne ! Elle n’est pas si fragile en tout cas qu’on ne puisse rien dire, ni rien faire. Le drame c’est que le débat droite-gauche n’a pas eu lieu en 2002 à cause de la présence de Le Pen au second tour. Du coup, le mandat des Français n’a pas été clair. Voilà pourquoi je me bats pour un projet présidentiel de rupture qui transcende la gauche et la droite.

2) Nicolas Sarkozy avait commencé sa campagne sur le thème de la rupture avec Mai 68. Il va la terminer au meeting de Bercy, toujours sur le même thème.

Nous conjurerons le pire en remettant de la morale dans la politique.

Oui, de la morale.

Le mot « morale » ne me fait pas peur. La morale, après mai 68, on ne pouvait plus en parler. C’était un mot qui avait disparu du vocabulaire politique. Pour la première fois depuis des décennies, la morale a été au cœur d’une campagne présidentielle.

Mai 68 nous avait imposé le relativisme intellectuel et moral. Les héritiers de mai 68 avaient imposé l’idée que tout se valait, qu’il n’y avait aucune différence entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid. Ils avaient cherché à faire croire que l’élève valait le maître, qu’il ne fallait pas mettre de note pour ne pas traumatiser les mauvais élèves, qu’il ne fallait pas de classement.

Ils avaient cherché à faire croire que la victime comptait moins que le délinquant.

Ils avaient cherché à faire croire qu’il ne pouvait exister aucune hiérarchie de valeurs.

Ils avaient proclamé que tout était permis, que l’autorité c’était fini, que la politesse c’était fini, que le respect c’était fini, qu’il n’y avait plus rien de grand, plus rien de sacré, plus rien d’admirable, plus de règle, plus de norme, plus d’interdit.

Souvenez-vous du slogan de mai 68 sur les murs de la Sorbonne : « Vivre sans contrainte et jouir sans entrave. »

Voyez comment l’héritage de mai 68 a liquidé l’école de Jules Ferry qui était une école de l’excellence, une école du mérite, une école du respect, une école du civisme, une école qui voulait aider les enfants à devenir des adultes et non à rester de grands enfants, une école qui voulait instruire et non infantiliser, parce qu’elle avait été construite par de grands républicains qui avaient la conviction que l’ignorant n’est pas libre.

Voyez comment l’héritage de mai 68 a liquidé une école qui transmettait une culture commune et une morale partagée grâce auxquelles tous les Français pouvaient se parler, se comprendre, vivre ensemble.

Voyez comment l’héritage de mai 68 a introduit le cynisme dans la société et dans la politique.

Voyez comment le culte de l’argent roi, du profit à court terme, de la spéculation, comment les dérives du capitalisme financier ont été portés par les valeurs de mai 68.

Voyez comment la contestation de tous les repères éthiques, de toutes les valeurs morales a contribué à affaiblir la morale du capitalisme, comment elle a préparé le terrain au capitalisme sans scrupule et sans éthique des parachutes en or, des retraites chapeaux et des patrons voyous, comment elle a préparé le triomphe du prédateur sur l’entrepreneur, du spéculateur sur le travailleur.

Voyez comment les héritiers de mai 68 ont abaissé le niveau moral de la politique.

Voyez tous ces politiciens qui se réclament de l’héritage de mai 68, qui donnent aux autres des leçons qu’ils ne s’appliquent jamais à eux-mêmes, qui veulent imposer aux autres de comportements, des règles, des sacrifices qu’ils ne s’imposent jamais à eux-mêmes.

Voyez-les, écoutez-les proclamer : « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ! »

Voyez-la, écoutez-la cette gauche héritière de mai 68 qui est dans la politique, dans les médias, dans l’administration, dans l’économie,

cette gauche qui a pris goût au pouvoir, aux privilèges,

cette gauche qui n’aime pas la nation parce qu’elle ne veut plus rien partager,

cette gauche qui n’aime pas la République parce qu’elle n’aime pas l’égalité,

cette gauche qui prétend défendre les services publics mais qui ne prend jamais les transports en commun,

cette gauche qui aime tellement l’école publique qu’elle n’y met pas ses enfants,

cette gauche qui adore la banlieue mais qui se garde bien d’aller y habiter,

cette gauche qui trouve toujours des excuses aux voyous à condition qu’ils restent dans des quartiers où elle ne va jamais,

cette gauche qui fait des grands discours sur l’intérêt général mais qui s’enferme dans le clientélisme et dans le corporatisme,

cette gauche qui signe des pétitions quand on expulse des squatters mais qui n’accepterait pas que l’on s’installe chez elle,

cette gauche qui passe son temps à faire la morale aux autres sans être capable de se l’appliquer à elle-même, cette gauche qui entre Jules Ferry et mai 68 a choisi mai 68,

cette gauche condamne la France à un immobilisme dont les travailleurs, dont les plus modestes, les plus pauvres, ceux qui souffrent déjà seraient les principales victimes.

Voyez-la, écoutez-la cette gauche qui depuis mai 68 a renoncé au mérite et à l’effort.

Voyez-la, écoutez-la cette gauche qui depuis mai 68 a cessé de parler aux travailleurs, de se sentir concernée par le sort des travailleurs, d’aimer les travailleurs parce qu’elle rejette la valeur travail, parce que la valeur travail ne fait plus partie de ses valeurs, parce que son idéologie à elle ce n’est pas l’idéologie de Jaurès, ce n’est pas l’idéologie de Blum qui respectaient le travail, qui aimaient les travailleurs, son idéologie à elle c’est l’idéologie du partage du travail, des 35 heures, de l’assistanat.

La crise du travail est d’abord une crise morale dans laquelle l’héritage de mai 68 porte une lourde responsabilité. Je veux réhabiliter le travail. Je veux redonner au travailleur la première place dans la société.

Regardez comment l’héritage de mai 68 affaiblit l’autorité de l’Etat ! Regardez comment les héritiers de ceux qui en mai 68 criaient : « CRS = SS » prennent systématiquement le parti des voyous, des casseur et des fraudeurs contre la police.

Regardez comment ils ont réagi après les incidents de la gare du Nord. Au lieu de condamner les casseurs et d’apporter leur soutien aux forces de l’ordre qui font un travail difficile, ils n’ont rien trouvé de mieux à dire que cette phrase qui mérite de rester dans les annales de la République. Je cite : « Il est inquiétant de constater qu’un fossé se creuse entre la police et la jeunesse ».

Comme si les casseurs de la gare du Nord représentaient toute la jeunesse française.

Comme si c’était la police qui était en tort et pas les casseurs.

Comme si les voyous avaient tout cassé et avaient pillé les magasins pour exprimer une révolte contre une injustice.

Comme si la jeunesse excusait tout.

Comme si la société était toujours coupable et le délinquant toujours innocent.

Ecoutez-les, les héritiers de mai 68 qui cultivent la repentance, qui font l’apologie du communautarisme, qui dénigrent l’identité nationale, qui attisent la haine de la famille, de la société, de l’Etat, de la nation, de la République.

Dans cette élection il s’agit de savoir si l’héritage de mai 68 doit être perpétué ou s’il doit être liquidé une bonne fois pour toutes.

Je veux tourner la page de mai 68.

Mais il ne faut pas faire semblant.

Il ne faut pas se contenter de mettre des drapeaux aux fenêtres le 14 juillet et de chanter la Marseillaise à la place de l’Internationale dans les réunions du Parti Socialiste.

Il ne faut pas dire que l’on veut l’ordre et prendre systématiquement parti contre la police.

Il ne faut pas crier à l’Etat policier et à la provocation à chaque fois que la police chercher à faire respecter la loi.

Il ne faut pas dire que l’on est pour la valeur travail et généraliser les 35 heures, continuer à surtaxer le travail ou encourager l’assistanat.

Il ne faut pas dire que l’on veut faire obstacle aux délocalisations et refuser toute expérimentation de la TVA sociale, qui permet de faire financer la protection sociale par les importations.

Il ne faut pas se contenter d’afficher de grands principes en se gardant bien de les inscrire dans la réalité.

Je propose aux Français de rompre réellement avec l’esprit, avec les comportements, avec les idées de mai 68.

Je propose aux Français de rompre réellement avec le cynisme de mai 68.

Je propose aux Français de renouer en politique avec la morale, avec l’autorité, avec le travail, avec la nation.

Je leur propose de reconstruire un Etat qui fasse réellement son métier et qui par conséquent domine les féodalités, les corporatismes et les intérêts particuliers.

Je leur propose de refaire une République une et indivisible contre tous les communautarismes et tous les séparatismes.

Je leur propose de rebâtir une nation qui soit de nouveau fière d’elle-même.

En faisant valoir systématiquement les droits au détriment des devoirs, les héritiers de mai 68 ont affaibli l’idée de citoyenneté. En dénigrant la loi, l’Etat et la nation, les héritiers de mai 68 ont favorisé la montée de l’individualisme. Ils ont incité chacun à ne compter que sur lui-même et à ne pas se sentir concerné par les problèmes des autres.

Je crois à la liberté individuelle mais je veux compenser l’individualisme par le civisme, par une citoyenneté faite de droits mais aussi de devoirs.

Je veux des droits nouveaux, des droits réels et non des droits virtuels. Je veux le droit opposable à l’hébergement et au logement, le droit opposable à la garde d’enfants, le droit opposable à la scolarisation des enfants handicapés, le droit opposable à la prise en charge de la dépendance pour les personnes âgées.

Je veux le droit à une allocation formation pour les jeunes de plus de 18 ans. Je veux le droit à la formation tout au long de la vie. Je veux le droit à la caution publique pour ceux qui n’ont pas de parents qui peuvent se porter garants, pour ceux qui n’ont pas de relations, pour les malades auxquels on ne veut pas prêter parce qu’on considère qu’ils représentent un risque trop élevé.

Je veux le droit à un contrat de transition professionnelle pour celui qui est au chômage.

Mais je veux que ces droits soient équilibrés par des devoirs.

L’idéologie de mai 68 sera morte le jour où dans la société on osera rappeler chacun à ses devoirs.

L’idéologie de mai 68 sera morte le jour où dans la politique française on osera proclamer que dans la République les devoirs sont la contrepartie des droits.

Ce jour-là sera enfin accomplie la grande réforme intellectuelle et morale dont la France a une nouvelle fois besoin. Alors nous pourrons reconstruire sur des bases renouvelées la République fraternelle qui est le rêve toujours inachevé, toujours inaccompli de la France depuis le premier jour où elle a pris conscience de son existence en tant que nation.

Car la France n’est pas une race, car la France n’est pas une ethnie, car la France n’est pas qu’un territoire, car la France est un idéal inlassablement poursuivi par un grand peuple qui croit depuis son premier jour à la force des idées, à leur capacité à transformer le monde et à faire le bonheur de l’humanité.

3) Interview de Nicolas Sarkozy sur RTL le jeudi 3 mai 2007 ( A lire in extenso sur http://sarkozyblog.free.fr/index.ph...)

RTL : Vous avez fait un meeting à Bercy, dimanche dernier, et vous avez déclaré ceci : "L’idéologie de Mai 68 sera morte le jour où dans la société on osera rappeler chacun à ses devoirs". Dans votre esprit, ceci vaut-il pour les Français qui s’exilent fiscalement en Belgique ou en Suisse et qui au mépris de leur devoir attaché à la citoyenneté, n’acquittent plus leur impôt en France ?

Sarkozy : Je ne comprends pas la présentation de votre question parce que, pardon !

Rappeler à chacun son devoir.

Attendez, choisir un autre pays, ce n’est pas autorisé ?

RTL : Si.

Sarkozy : Est-ce que c’est un délit ? Est-ce que c’est un délit ?

RTL : Non.

Sarkozy : Ah bon très bien !... parce que présenté comme ça c’est extrêmement spécieux.

RTL : Je n’ai pas parlé de délit. C’est vous qui avez introduit le mot. Ma question, c’est : Quand on a la citoyenneté française, est-ce qu’on doit payer ses impôts en France ou pas ? C’est ça la question.

Sarkozy : Attendez, je vais vous dire. Nous, nous sommes dans un monde libre. Chacun choisit de vivre où il l’entend. Et ça, j’imagine que vous ne pensez pas le remettre en question. Cela voudrait dire, que toute personne qui vit à l’extérieur de la France, pour vous, c’est quelqu’un qui n’assume pas ses devoirs. C’est une conception curieuse.

RTL : Ses devoirs de citoyen...

Sarkozy : C’est une conception curieuse... Avec ça, avec ça...

RTL : Payer l’impôt ne fait pas partie du devoir du citoyen ?

Sarkozy : Bien sûr. Bien sûr. Mais qu’est-ce qu’il est dit ? Il est dit que l’argent qu’on gagne en France, on paie l’impôt en France. Mais quand même défendre l’idée, assez spécieuse, que partir développer ses marchés, s’installer à l’étranger, c’est en soi ne pas assumer ses devoirs... C’est une conception du monde qui est quand même particulière.

4) 4) Jean Pierre Raffarin sur le site de l’UMP

Durant cette campagne présidentielles, toute la droite a fait bloc autour de Nicolas Sarkozy sur ce thème de la rupture avec 68. L’interview ci-dessous de Jean Pierre Raffarin pour le site de l’UMP était intéressante car elle révélait l’objectif politique de la manoeuvre médiatique : faire apparaître les élus de gauche comme porteurs d’un discours sur Mai 68, différent de celui du "peuple".

Il y a un vrai débat sur mai 68, S. Royal défend l’héritage, N. Sarkozy l’attaque et quel est votre sentiment là-dessus ?

Mon sentiment, c’est que "Il est interdit d’interdire", a fait beaucoup de dégâts et je pense que N. Sarkozy a raison quand il dit que dans l’école, mieux vaut J. Ferry, c’est-à-dire : le maître est meilleur que l’élève, que mai 68, c’est-à-dire : l’élève est l’égal du maître. Je pense qu’il y a un certain nombre de principes d’autorité, qui sont nécessaires dans une République et que ces vraies valeurs ont été un peu bousculées par mai 68 et donc...

Mais S. Royal dit que ce sont aussi des avancées sociales importantes ?

Mais les avancées sociales, ne sont pas dans l’esprit mai 68. Qui a fait les avancées sociales ? C’était Pompidou et d’une certaine manière le parti communiste ou une gauche qui s’est battue pour l’augmentation du SMIC. C’était plus une gauche qui se battait à l’époque pour un certain nombre de revendications populaires, alors que mai 68 a, quelque part, la dimension d’une révolution, la première révolution bobo quoi ! C’était je pense en effet une étape de notre histoire qui a plus été une sorte d’agitation bourgeoise, plutôt qu’une véritable révolte populaire. Et donc je pense que là, il y a un vrai clivage et il est clair que N. Sarkozy est dans le camp du populaire.


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