Une histoire antiproductiviste du stalinisme est-elle possible ? (par Paul Ariès)

samedi 16 décembre 2017.
 

Mon objectif, en prenant part aux commémorations de la révolution d’Octobre 1917, est d’expliquer aux jeunes générations comment on a pu être (et comment on peut être) communiste et d’interroger certains concepts marxistes à la lumière des faits. Le titre de mon ouvrage est en soi tout un programme « Les rêves de la jeune Russie des soviets » ce qui témoigne de la richesse des attentes nées de 1917. J’ai voulu montrer que l’échec du modèle soviétique ne s’explique pas par le caractère arriéré de la Russie ni par l’encerclement capitaliste mais par des décisions ayant fait dérailler le train de la révolution. Je renvoie dos à dos les analyses de droite et de gauche, « antitotalitariennes » ou « nostalgiques » d’une tragédie qui n’a pas seulement tué des millions d’humains mais jusqu’à l’idée de communisme.

Nous ne pouvons pas nous en tirer en soutenant aujourd’hui que l’URSS n’avait rien de communiste après avoir affirmé l’inverse durant des décennies. J’ai voulu montrer que la cause ultime de cette tragédie ne fut ni la folie des hommes ni l’idée d’égalité mais la foi béate dans le productivisme. J’ai voulu prouver aussi que les oppositions de gauche au stalinisme furent impuissantes dans la mesure où elles partageaient la même folie industrialiste. Le centenaire de la révolution d’Octobre est pour moi un prétexte pour rouvrir le caveau de toutes les tentatives avortées et ceci sur tous les fronts, économique, politique, social, psychologique, culturel, urbanistique, architectural, sexuel, religieux, artistique, pédagogique, militaire, syndical, etc.

Savez-vous que la jeune Russie des Soviets fut entre 1917 et 1927 le pays du monde le plus avancé en matière d’écologie ! Que des dizaines de lois viseront à protéger la nature, que l’URSS créera les premiers parcs naturels au monde ! Savez-vous que le gouvernement éditera jusqu’en 1928 une revue écologiste sous le titre « Conservation » qui s’ouvrait à des analyses hétérodoxes comme le rôle du chamanisme en matière de définition des taux d’exploitation supportables du gibier en Sibérie, qui fera connaître de nouveaux concepts scientifiques, comme celui de biocénose signifiant que les communautés vivantes évoluent vers un équilibre, où la compétition est réduite au maximum ? Cette même jeune Russie des soviets envisagera de supprimer la séparation villes/campagnes en créant les premières villes écolos, en envisageant de répartir la population sur tout le territoire, etc.

Les archives désormais ouvertes montrent que c’est d’abord sur le terrain économique et industriel que le basculement vers la dictature se fera à la demande expresse des dirigeants des combinats industriels. Les bolcheviks imposeront dans les usines ce qu’ils nommeront une « direction à la poigne de fer » afin de briser les résistances ouvrières au productivisme. L’histoire russe donne raison au Boukharine qui expliquait, dès 1916, que le choix économique de la future révolution déterminerait le type d’Etat. A une économie productiviste imposant des sacrifices inhumains devait répondre obligatoirement un Etat répressif car il fallait bien imposer ces sacrifices.

A une économie vivrière, largement décentralisée, et répondant aux besoins du peuple aurait pu correspondre ce qu’on nommait un Etat-non Etat. Le productivisme va provoquer ses méfaits dans tous les domaines, le Parti choisira de soutenir les fractions réactionnaires de l’église orthodoxe alors qu’il avait soutenu d’abord les groupes religieux minoritaires car il avait besoin d’une église centralisée et autoritaire à sa propre image, le Parti abandonnera les projets de créer une école nouvelle au profit d’une école au service du productivisme, le Parti prendra appui sur les spécy (spécialistes), souvent d’anciens cadres du tsarisme, contre la classe ouvrière,

Trotsky ne créera pas l’armée rouge mais la militarisera en rétablissant la discipline contre l’avis de la majorité des soldats communistes, le parti fera taire les expériences en matière d’éducation sexuelle car il ne convenait pas de gaspiller de l’énergie utilisable pour l’économie, le parti liquidera toutes les avant-garde culturels qu’il avait choyé au profit de la normalisation mise au service des grands chantiers, etc. La victoire de Staline sera celle d’une nouvelle classe dirigeante tandis que Maïakovski appelait à étranger le canari en cage, devenu le symbole de la bourgeoisie rouge. Octobre enseigne qu’il ne faut jamais croire aux lendemains qui chantent mais chanter au présent.

Paul Ariès, Les rêves de la jeune Russie des Soviets, Une lecture antiproductiviste de l’histoire du Stalinisme (Préface de Pierre Zarka, ancien directeur de L’humanité), Le Bord de l’eau, Paris, 2017, 330 pages


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