A Turin, l’eau redevient un bien commun.

jeudi 9 novembre 2017.
 

7 novembre 2017 Sebastien Polveche International, Société

Le conseil municipal de la commune de Turin, dirigée par le Mouvement 5 étoiles, a décidé le 9 octobre 2017 de remunicipaliser totalement la gestion de son service d’eau, en modifiant le statut de l’exploitant, la SMAT s.p.a en établissement public. Cette décision est le résultat des mobilisations citoyennes menées depuis plusieurs années par les comités regroupés au sein du Forum Italien des Mouvements pour l’Eau. “L’eau ne peut pas et ne doit pas être un objet de profit et de spéculation » observe Mariangela Rosolen porte-parole du comité Acqua Pubblica Torino, « c’est un bien commun qui doit être géré de manière efficace et transparente pour chacun puisse y accéder selon ses propres besoins » dit-elle sur le site Altreconomia.it le 12 octobre.

Le changement de statut devrait être effectif en avril 2018. Toutefois, le processus de remunicipalisation risque d’être semé d’embûches. En effet, outre la ville de Turin, il implique les communes de l’aire métropolitaine. Or, ces communes sont gérées par des majorités proches du Parti Démocrate, hostiles au changement de statut de la SMAT, affirme le comité Acqua Pubblica Torino.

La décision de la commune de Turin est presque une exception en Italie. En effet il s’agit de la seule grande ville, avec Naples en 2013, à avoir engagé un retour en gestion publique de son service d’eau.

Et pourtant, les italiens s’étaient massivement mobilisés en 2010 et 2011 pour bloquer le processus de privatisation de l’eau. En effet en 2009, un décret, le décret Ronchi, confiant les services d’eau au privé avait été pris par le gouvernement Berlusconi. La loi avait été également modifiée pour permettre de répercuter sur les factures d’eau la rémunération du capital investi par le privé. Les opposants à cette privatisation ont alors rédigé une pétition pour demander un référendum et ont en moins de trois mois, réuni plus de 1,4 million de signatures. Les 12 et 13 juin 2011, 27 millions d’italien-ne-s ont participé à ce référendum sur la gestion publique d’eau, soit un taux de participation de 54%, d’autant plus significatif que le gouvernement Berlusconi appelait à l’abstention.

Le score a été sans appel : plus de 95% des voix en faveur de la gestion publique de l’eau.

Six ans après le référendum, un constat s’impose : la décision populaire n’a pas été respectée, tant au niveau local qu’au niveau national. Le gouvernement a, par exemple, réintroduit sous une autre forme les dispositions permettant la rémunération du capital investi par les opérateurs privés. Et les grandes villes italiennes ont largement maintenu la gestion privée, dans le cadre de multiutility (sociétés à capitaux mixtes, gérées de fait par le privé).

L’exemple de la ville de Rome est éclairant pour mieux comprendre les effets pervers de la “privatisation rampante” de l’eau en Italie. En effet, la capitale italienne a connu durant l’été 2017, une grave crise d’approvisionnement en eau, liée à une sécheresse exceptionnelle sur l’ensemble du territoire italien. Une crise aggravée par la vétusté du réseau d’eau, dont les pertes ont quasiment doublé en 10 ans et atteignent près de 44%.

En cause, le sous-investissement dans le réseau mais également sa financiarisation. Entre 2011 et 2015, ACEA Ato 2 (la société exploitant le service d’eau à Rome et sa province) a dégagé environ 65 millions d’€ de bénéfices par an. Or, 94% de ces bénéfices ont été distribués sous forme de dividendes aux actionnaires, plutôt que réinvestis. Et les investissements sur le réseau ont été financés par des prêts consentis par la holding aux taux d’intérêt du marché.

Selon le Forum Italien des Mouvements pour l’Eau, la crise hydrique “met à nu les dégâts de la mauvaise gestion et de la privatisation”. L’entrée du secteur privé dans la gestion de l’eau était censée apporter des capitaux pour mettre à niveau les équipements. Dans les faits, c’est tout le contraire qui a été observé : « les tarifs et les pertes sur les réseaux ont augmenté, les investissements ont diminué ». À Rome comme dans le reste de l’Italie, la lutte en faveur de la gestion publique de l’eau reste d’actualité.

Sébastien Polvèche


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