Le commun : une approche politique prometteuse ?

mercredi 6 juin 2018.
 

Depuis plusieurs années, le thème des communs est monté en puissance dans le débat d’idées et dans le champ politique. Dans la dernière période, les articles, les conférences et les colloques se multiplient sur le sujet, illustrant ainsi son impact grandissant.

N’oublions pas que la notion de « communs » remonte très loin dans l’histoire des sociétés humaines (cf. les « Commons » dans les campagnes de l’Angleterre féodale, ou encore le droit de « vaine pâture » pour les paysans non propriétaires dans la société médiévale en France…). Rappelons qu’elle a quasiment disparu pendant une longue durée, victime de la dynamique de développement capitaliste (cf. Mouvement des « enclosures » dans l’Angleterre de la fin du XVI e siècle et du début du XVII e siècle). Dans la période contemporaine, elle a été replacée dans l’actualité par l’attribution, en 2009, du prix Nobel d’économie à l’économiste et politologue américaine Elinor Ostrom pour ses travaux sur les modes de gestion de ressources communes par des communautés réelles à travers le monde. Puis, d’autres ouvrages importants ont été publiés. On peut citer notamment ceux de Toni Negri et Michael Hardt 1 , de Pierre Dardot et Christian Laval 2 ou encore l’ouvrage collectif dirigé par Benjamin Coriat 3 . Il est bien clair que la réémergence de ce sujet dans les conditions d’aujourd’hui ne peut s’assimiler à la revendication d’un retour à des situations historiques antérieures bien éloignées des enjeux de la période que nous vivons.

En effet, l’ancrage de cette thématique provient surtout des multiples mobilisations et pratiques alternatives qui s’en revendiquent dans de nombreux domaines et partout dans le monde. Elle ne se limite donc pas à une simple création conceptuelle. Elle correspond à une aspiration et à une vision du vivre ensemble qui travaille en profondeur la société. C’est en cela qu’elle constitue une approche politique. Ces aspirations, ces mobilisations, cette vision renouvelée du vivre ensemble correspondent au caractère de plus en plus prégnant d’enjeux majeurs pour notre avenir. Elles témoignent d’abord d’une lourde contradiction. Le capitalisme se révèle de plus en plus incapable d’apporter des réponses pertinentes en termes de progrès humain durable aux défis essentiels posés aujourd’hui à l’humanité. Aucun d’entre eux ne peut trouver de solution dans la concurrence pour la captation du profit érigée en principe cardinal. Et pourtant, faute d’alternative considérée comme crédible, ce même capitalisme semble aujourd’hui plus fort qu’il ne l’a jamais été. Qui plus est, il conduit des offensives visant à ancrer encore plus profondément sa domination. On peut mentionner par exemple les attaques systématisées contre les droits démocratiques (au nom de l’idéologie « post-démocratique ») l’utilisation des peurs et des idéologies nationalistes racistes et xénophobes nourries par la crise elle-même et renforcées par les menées terroristes du djihadisme, ou encore le développement des impasses populistes. La recherche d’alternatives et même la recherche de sens sont donc cruciales. Face au verrouillage de la situation, elles s’appuient sur des réalités nouvelles particulièrement sensibles auxquelles le système en crise profonde ne peut apporter de réponses satisfaisantes.

Des réalités nouvelles particulièrement prégnantes

Avec le niveau contemporain de productivité du travail dont la progression est constitutive de l’histoire humaine jamais n’ont existé autant de moyens d’agir sur le milieu de vie des êtres humains et sur les êtres humains eux-mêmes. Mais cette action peut engendrer le meilleur comme le pire. Pour affronter cette situation sans précédent, l’humanité a besoin de se libérer de la séparation des rôles entre la minorité qui décide à son profit et la majorité astreinte à obéir à ses directives ; séparation aussi ancienne que l’exploitation de l’homme par l’homme et que l’émergence des rapports de classe faisant corps avec cette exploitation. Sans prétendre à l’exhaustivité, notons les liens de cette réalité fondamentale avec les transformations profondes que connait le travail dont la composante intellectuelle devient prédominante et qui ne peut désormais être que collaboratif si nous voulons qu’il exprime toutes ses potentialités. Notons également que les technologies numériques démultiplient les besoins et les possibilités de partages. Les communs numériques constituent une réalité structurante de notre époque. Ils appellent de nouveaux modes de gestion coopératifs et participatifs. Plus largement encore, même si l’idéologie du capitalisme libéral persiste à magnifier le paradigme de la concurrence comme à cultiver l’individualisme et le chacun pour soi, la vie réelle démontre chaque jour l’inanité de cette approche. Les défis écologiques impliquent des réponses communes. La transformation en profondeur des modèles de consommation et de production oblige à réfuter les logiques de moins disant social et environnemental ou encore l’illusion qu’on peut tirer son épingle du jeu seul contre tous. Malgré la ségrégation urbaine, les villes sont de plus en plus productrices de communs. Dans ces différents domaines, des pratiques nouvelles voient le jour. Dans la sphère de l’écologie ou dans celle de l’économie sociale et solidaire, notamment, elles permettent d’apporter des réponses concrètes, effectives, « à portée d’action ». Plus largement, de multiples luttes ou mobilisations relèvent de la même volonté et de la même logique.

Droit d’usage partagé et droit de propriété

Car dans le monde en devenir, de plus en plus de biens, de services ou plus globalement d’activités humaines voient leur utilité et leurs bienfaits entravés voire saccagés s’ils subissent les règles de l’appropriation. Leurs potentialités de développement émancipateur ne peuvent s’exprimer que si le droit à leur usage partagé est pleinement reconnu. Cette remarque porte loin. Elle signifie que des biens, des services ou des activités sont déclarés comme n’appartenant à personne, comme étant « inappropriables ». Cela ne signifie pas qu’ils sont en déshérence. Cela signifie en revanche qu’ils sont gérés (ou « gouvernés ») de telle manière que leur usage (l’« Usus » du droit romain) est partagé selon des règles définies en commun mais que personne ne détient l’« Abusus », c’est-à-dire le droit de vendre ou de donner, de démanteler ou de détruire. Ces derniers éléments sont des caractéristiques essentielles du droit de propriété qui est ainsi remis radicalement en cause. La gestion des communs obéit ainsi à une logique alternative : celle du partage du droit d’usage et du maintien en bon état (voire du développement ou de l’amélioration) pour les générations futures.

Alain Obadia, collectif national Idées du PCF

NOTES

1. Michael Hardt, Antonio Negri, Commonwealth , Gallimard, 2014 , 624 p.

2. Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXI e siècle , Paris, La Découverte, 2014. 593 p.

3. Benjamin Coriat (dir.), 2015, Le retour des communs : la crise de l’idéologie propriétaire , Paris, Les Liens qui libèrent, 297 p.


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