Enseignement Supérieur et Recherche, la gabegie de Saclay.

lundi 24 juillet 2017.
 

Emmanuel Macron s’est déplacé mercredi 25 octobre sur le Plateau de Saclay pour y faire l’éloge d’un futur « MIT à la française » autour de deux universités, l’Université Paris-Saclay et NewUni, une « université » confédérale ne regroupant que des grandes écoles. Derrière les discours volontaristes et l’injonction à progresser au classement de Shanghaï, se cachait mal le désastre sur lequel a débouché ce projet emblématique des restructurations de l’enseignement supérieur et de la recherche en France depuis quinze ans. Car ce discours, y compris dans ce qu’il est censé avoir de plus neuf, a déjà été entendu plus d’une fois sur ce plateau de l’Essonne.

Saclay devait regrouper dans un seul établissement l’université d’Orsay, fleuron des mathématiques françaises, Polytechnique, CentraleSupélec, le Commissariat à l’Energie Atomique, HEC et une flopée de grandes écoles et de laboratoires CNRS parmi les plus prestigieux du pays, en lien étroit avec un réseau de grandes entreprises privées, notamment dans le domaine du numérique et de la biochimie.

Onze ans et 5 milliards d’euros après le début des travaux, le plateau encore en chantier a des allures de ville-fantôme taillée pour l’automobile et mal intégrée dans le tissu urbain de l’Essonne et de la région parisienne. Sur le plan institutionnel, la guerre entre Polytechnique et l’université d’Orsay a paralysé le projet. Dans les classements, Orsay continue à progresser discrètement et Polytechnique à dévisser, faute d’un enseignement aux prises avec la recherche. L’« X » forme aujourd’hui essentiellement des futurs grands patrons… Quant au label « Université Paris-Saclay », lancé en 2014, il n’est reconnu par aucune instance internationale.

Mais pour le président, le projet Saclay ne peut pas mourir. Saclay est la pointe avancée d’un projet global de refonte de l’enseignement supérieur dans le sens de la « stratégie de Lisbonne » promue par l’Union Européenne depuis 2000. La variante hexagonale de cette « stratégie » repose sur une opposition entre « universités de recherche » et des « universités de bassin ». Les premières seraient dotées de statuts ad hoc, de frais d’inscription et de modalités de sélections dérégulés, pourraient embaucher des enseignants-chercheurs hors statut de la fonction publique, et seraient les points névralgiques d’une « économie de la connaissance » où chaque région française serait spécialisée dans un domaine d’industrie (forcément) innovante. Au cœur de ce projet, on retrouve l’injonction à la trouvaille et la tyrannie du temps court, dénoncées à plusieurs reprises par Jean-Luc Mélenchon durant la campagne présidentielle.

Quant aux universités de bassin, ce seraient des « collèges d’enseignement supérieur » sous-financés et destinés à absorber les bacheliers d’un bassin de population, essentiellement pour les sortir des statistiques du chômage et fournir un vivier de jeunes travailleurs précaires aux entreprises locales. Bref, pour le dire en langage macronien, l’université de « ceux qui ne sont rien » par opposition à l’université de « ceux qui réussissent ». Ainsi, « l’université Paris-Saclay » a récemment fait savoir qu’elle envisageait de se scinder et de laisser l’essentiel des cursus de licence d’Orsay dans un « collège universitaire » hors-Saclay : il ne s’agirait tout de même pas que les jeunes de l’Essonne aillent se mélanger à l’élite de la recherche ! Sur ce projet, Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas dit un mot mercredi dernier. Car la qualification de la jeunesse n’intéresse pas nos dirigeants, pour qui la solidarité entre production, transmission et critique des savoirs n’est qu’un vain mot.

Saclay est donc le brouillon d’un projet global. À cet égard, on aurait tort de croire que l’austérité et la précarisation des personnels du supérieur relèvent d’économies de courte vue : ce sont les leviers utilisés depuis quinze ans pour permettre cette reconfiguration de long terme, dont la phase finale interviendra dans les mois à venir avec la Loi Vidal sur l’ESR. Cette loi, révélée par la presse spécialisée cet été, permettra d’officialiser la partition définitive du service public de l’université, vraisemblablement via des ordonnances dont les établissements de Saclay entendent bien profiter. La prudence du gouvernement autour de la sélection en licence s’explique aussi par ce projet : la « concertation sur le premier cycle » relève du pur exercice de style dès lors que la vraie sélection sera l’apanage d’une poignée d’universités volontaires et ne sera instituée que dans plusieurs mois.

La liquidation de l’idée même d’université, voilà ce dont Saclay est le nom – et le visage le plus grotesque, avec sa gabegie financière, sa structure kafkaïenne, ses querelles picrocholines, son absence de considération pour les étudiants, sa rhétorique pompeuse et sa consommation immodérée de petits fours. La méthode Coué n’y changera rien : le projet Saclay est déjà mort, et son désastre est annonciateur du destin qui attend l’université française si nous ne faisons pas obstacle au projet qui s’annonce.

Faire obstacle, c’est d’abord rappeler que la recherche et l’enseignement supérieur travaillent ensemble à l’émancipation du genre humain ; que la science ne doit pas se soumettre à d’autres intérêts que l’intérêt général ; et que c’est par un service public fort, démocratique et ouvert à tous que ces missions fondamentales peuvent être assurées. Les bases de ce projet émancipateur ont été posées dans l’Avenir en Commun et dans le livret thématique qui l’accompagnait. La France Insoumise continuera à le faire vivre, dans le débat et la transparence, en commençant dès le samedi 2 décembre, à Bordeaux, où se tiendra une journée de travail ouverte pour un enseignement supérieur et une recherche émancipées et émancipatrices.

Jean-Louis Bothurel


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message