Ordonnances travail. Double peine pour les femmes

lundi 30 octobre 2017.
 

Entretien avec Cécile Gondard-Lalanne, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires.

En quoi les ordonnances vont-elles accentuer la précarité des femmes ?

Les ordonnances visent à déréglementer. Le socle commun que constitue aujourd’hui le Code du travail et qui doit assurer l’égalité quel que soit le sexe sera supprimé et « adapté » au plus près des entreprises. Ainsi, tout sera négociable, y compris le salaire des femmes - encore aujourd’hui bien inférieur à celui des hommes à travail égal -, les conditions d’emploi, ou encore la reconnaissance des qualifications et des compétences pour établir les grilles de salaire. On sait aujourd’hui qu’il existe des différences de salaires importantes entre les métiers féminisés et les métiers majoritairement masculins. Celles-ci sont liées au manque de reconnaissance des compétences requises dans les métiers occupés par des femmes. Demain, les patrons pourront davantage profiter de main d’œuvre pour moins cher et imposer des temps partiels, des journées fractionnées ou des durées de repos hebdomadaires limitées bien plus facilement. Les craintes sont donc majeures d’une dégradation de la situation des femmes en entreprises.

Les négociations en entreprises et les référendums risquent-ils de fragiliser davantage la protection des femmes ?

Dans les entreprises où les hommes sont majoritaires les syndicats sont plus présents que dans le cas inverse. Les femmes ont plus de mal à s’investir du fait notamment des charges domestiques qu’elles doivent assumer. Le chef d’entreprise aura donc plus de latitude pour négocier via des référendums. Les salariées se verront obligées d’accepter du moins disant social ou l’augmentation du temps de travail sous le chantage de la suppression d’emplois.

Les nouvelles modalités de licenciement et d’indemnités de licenciement ont-elles une incidence spécifique pour les femmes ?

Les femmes seront doublement pénalisées dans deux cas. D’abord la question du périmètre apprécié en cas de difficultés économiques. Aujourd’hui c’est le territoire national de l’entreprise. Avec les ordonnances ce périmètre sera apprécié sur tout le groupe auquel l’entreprise appartient. L’entreprise pourra ne plus proposer des reclassements personnalisés, ce qui pour les femmes était essentiel, mais donnera seulement une information sur les offres d’emploi. Or, on le sait, pour les raisons évoquées ci-dessus de charge domestique, les femmes sont moins mobiles que les hommes, elles seront donc davantage confrontées au licenciement car dans l’impossibilité d’accepter les reclassements. Deuxième effet en cascade des ordonnances : le plafonnement des indemnités en fonction de l’ancienneté et du salaire. Les femmes étant moins bien payées que les hommes elles auront donc mécaniquement des indemnités de licenciement inférieures à leurs collègues masculins.

La suppression des CHSCT (comité hygiène, sécurité et conditions de travail) aura-t-elle une incidence sur la protection des femmes en entreprise ?

La fusion des CHSCT avec les autres instances représentatives du personnel au sein des CSE (comité social et économique) prévue par les ordonnances ne sera obligatoire qu’à partir de 300 salarié-es, alors que les CHSCT sont obligatoires aujourd’hui à partir de 50 salarié-es. Une grande partie des entreprises ne sera donc plus concernée. Pourtant le CHSCT a un rôle central sur les conditions de travail et notamment leur aménagement pour les femmes. En effet, les changements d’horaires, la réorganisation d’un service sont toujours plus problématiques pour les femmes que pour les hommes : là encore du fait des charges domestiques. C’est donc une catastrophe.

Sur la question du harcèlement sexuel et la remise en question du licenciement par prise d’acte du fait du plafonnement des indemnités de licenciement (NDRL : suite à envoi d’un simple courrier les femmes victimes de harcèlement ne sont pas aujourd’hui tenues de retourner sur leur lieu de travail et peuvent bénéficier d’indemnités de licenciement ainsi que d’un versement de salaire équivalent au délai restant jusqu’à la fin de leur contrat), je ne suis pas une spécialiste et le sujet fait débat mais j’ai tendance à faire confiance aux associations féministes sur leur analyse. S’agissant du harcèlement sexuel le souci vient du fait que c’est toujours la femme qui s’en va. Les violences sexistes ne sont jamais prises en charge à leur juste hauteur par les entreprises quelles qu’elles soient. Et la suppression des CHSCT, qui avaient dans leur mission la prévention contre les violences sexistes, ne va pas arranger la situation.

Les entreprises auront-elles toute liberté pour négocier les modalités du congé maternité ?

Le congé maternité et l’ensemble des droits familiaux pourront être négociés au niveau des entreprises. C’est-à-dire le congé maternité, le congé paternité, les droits à journées d’absence pour enfants malades rémunérées à 100% comme c’est aujourd’hui le cas dans beaucoup de branches. Les aménagements du poste et du temps de travail pour les femmes enceintes pourront également être remis en cause. Déjà aujourd’hui beaucoup de petits patrons ne savent pas que la femme enceinte est protégée par des droits, il est clair que les ordonnances vont aggraver cette situation.

Ce gouvernement – on le savait déjà – n’est vraiment pas féministe et ces lois ne prennent pas en compte la situation des femmes dans le salariat, pire elles vont augmenter les inégalités.

En quoi les dispositions en faveur de l’égalité professionnelle hommes/femmes sont-elles mises en danger dans les ordonnances ?

Le problème existe déjà : il n’y a pas d’égalité salariale entre femmes et hommes. Et ce sera pire demain. Les luttes féministes et syndicales ont fait en sorte de renforcer les obligations des patrons à propos des droits des femmes pour atteindre l’égalité sans toutefois garantir qu’elle existe. L’un des points centraux de ces luttes est l’obligation de négociation sur l’égalité professionnelle dans les entreprises, tous les trois ans, ou tous les ans quand il n’y a pas d’accord. Avec les ordonnances, les modalités de cette négociation sur l’égalité professionnelle pourront être décidées entreprise par entreprise : tous les 4 ans…

Par ailleurs, les entreprises pourront décider de ne plus communiquer les données sexuées au sein des rapports de situation comparée (obligatoire aujourd’hui) avec ses indicateurs plus ou moins précis mais qui au moins permettaient de faire savoir la situation concernant les emplois, promotions, embauches, licenciement, temps de travail, salaires etc…. Ces chiffres étaient un point d’appui pour les syndicats afin de mettre à jour des inégalités réelles par branche ou entreprises et de se confronter avec les employeurs sur des bases objectives.

Cette possibilité laissée aux entreprises de ne pas être transparentes sur la situation des femmes relativise la portée de tous les acquis qui existaient et qui restaient à améliorer.

Propos recueillis par Claire Mazin


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