EHPAD, « la ministre ne pourra pas dire qu’elle ne savait pas »

lundi 16 octobre 2017.
 

Entretien avec Caroline Fiat, députée France insoumise, aide-soignante.

Vous avez été élue députée en juin dernier. Dès le mois de juillet, vous interveniez sur la question des EHPAD (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Comment se fait-il que vous vous soyez saisie aussi vite de ce dossier ?

Je suis moi-même aide-soignante de nuit dans des EHPAD du groupe Korian (EHPAD « privés à but lucratif »). Aussi quand la ministre de la Santé Mme Buzyn a présenté son projet de loi de « modernisation de la santé », je m’y suis intéressée. J’ai constaté que son contenu n’avait rien à voir avec les demandes urgentes des soignants. Quand un projet de loi est présenté, chaque groupe a le droit de prendre la parole à la tribune. J’ai donc eu 10 minutes pour montrer les limites du projet et exposer le point de vue de la France Insoumise. J’ai voulu en profiter pour refaire le point sur la situation, et dénoncer l’état calamiteux du soin dans les EPHAD aujourd’hui. La vidéo de mon intervention a, comme on dit, fait le buzz, sans doute parce que j’y exposais simplement des faits qui nous concernent tous… La vidéo a été vue plus d’un million de fois. C’est donc devenu un sujet d’actualité et des médias m’ont sollicitée.

C’était au moment de la grève des employées de l’EHPAD des Opalines…

Absolument, et cela aussi a compté. Je suis intervenue à la tribune le jour même où Florence Aubenas a publié dans Le Monde son article sur les filles des Opalines, ces aides-soignantes qui, à Foucherans, dans le Jura, étaient en grève depuis plus de 100 jours, sans que personne ne s’y intéresse. Si Florence Aubenas n’avait pas attiré l’attention sur cette grève, cela aurait sans doute pu durer encore longtemps sans qu’on s’en aperçoive. J’en ai parlé à la tribune. Puis François Ruffin a pris le relais dans l’hémicycle. Nous avons décidé de nous rendre à Foucherans, pour rencontrer les grévistes sur leur lieu de grève. Des députés En Marche se sont engagés à nous accompagner. Mais le jour où nous y sommes allés, avec François Ruffin, nous n’étions que deux – les députés En Marche s’étant désistés au dernier moment…

Dans votre discours, vous évoquiez les 14 « besoins fondamentaux » définis par l’infirmière et chercheuse américaine Virginia Henderson, et vous affirmiez que, dans les EHPAD, ces besoins n’étaient plus satisfaits…

Oui, il s’agit de 14 « besoins » que l’on apprend à tous les soignants de France, et qu’un soin digne de ce nom doit satisfaire : être nourri et vêtu correctement, être propre, communiquer avec ses semblables…etc. Aujourd’hui les EHPAD sont, dans une large mesure, devenus des usines à maltraitance. Si des animaux étaient traités comme sont traités les patients, on serait outré. Quand vous êtes soignant en EPHAD, vous n’avez pas le temps d’appliquer les 14 besoins fondamentaux. L’alimentation ? Vous gavez la personne parce que vous n’avez pas le temps de lui donner à manger. L’habillement ? Vous coupez les vêtements des gens pour les habiller plus rapidement. La propreté ? On met systématiquement une protection aux patients, mais comme cela coûte cher, les gens n’ont droit qu’à un nombre limité de protections (deux par jour). En ce qui concerne la toilette, on dispose de six minutes pour amener la personne à la douche, la déshabiller, la doucher, la sécher, la rhabiller. Ce qui veut dire que les soins dentaires ne peuvent pas être faits, qu’on ne prend pas le temps de coiffer les personnes. Et vous pensez bien qu’on n’a pas le temps de discuter avec elles, pas le temps d’entretenir leur autonomie en les invitant à faire eux-mêmes des choses. On fait tout à leur place, donc les gens deviennent plus vite grabataires.

Le manque de personnel est criant : vous pouvez vous retrouver seule, un matin, à prendre en charge un étage de 18 lits. Plutôt que d’embaucher on demande toujours plus aux soignants. Cette pression généralisée a des effets sur le soin, mais aussi sur les soignants eux-mêmes : nous sommes devenus la profession qui a le plus d’accidents de travail, devant les métiers du BTP. Et l’on compte déjà 15 suicides de soignants en un an.

Votre discours, et les mobilisations de cet été, semblent avoir produit quelques effets…

Oui, madame Buzyn et la majorité ont bien dû faire un geste. On a lancé une « mission flash », c’est-à-dire une mission parlementaire d’urgence menée en quinze jours avec des auditions, sur les EHPAD. Elle a donné lieu à un rapport et des recommandations. Il semble que la mission n’ait pas beaucoup intéressé la centaine de députés qui siège à la commission des Affaires sociales. Mais pour ma part, j’ai été présente tous les jours aux auditions. Le rapport rendu, s’il est loin d’être parfait, a le mérite d’attirer l’attention sur quelques points urgents, dont la ministre devrait se saisir.

Lesquels, par exemple ?

D’abord, la nécessité de revoir les compétences des aides-soignants, et leur rémunération. Aide-soignant, c’est la seule profession de santé qui n’ait pas de statut, pas de fiche de poste. Dans la pratique, nous sommes amenés à accomplir des tâches qui, en principe, ne relèvent pas de nous. Par exemple, aujourd’hui, il n’y a pas d’aide-soignant qui ne fasse une évaluation du taux de glycémie – mais ce geste « invasif », qui comporte des risques liés au sang, est officiellement réservé aux infirmières. C’est une compétence qu’il faut reconnaître aux aides-soignants, notamment pour qu’ils soient couverts en cas de problème.

Il ne s’agit pas pour autant de remplacer les infirmiers par des aides-soignants ?

Non. Au contraire : le rapport recommande de rendre obligatoire la présence d’une infirmière de nuit dans les EHPAD. La nuit, il y a des urgences à gérer, des gestes à faire que seules les infirmières connaissent. Mais attention : le fait de travailler la nuit est, pour beaucoup d’aides-soignants, un choix. Il faut donc éviter que l’on se retrouve avec des aides-soignants de nuit mis à la porte parce qu’on les remplace par une infirmière. J’ai donc suggéré que l’on propose aux aides-soignants de nuit de leur payer l’école d’infirmières, pour leur permettre de continuer à accomplir leur travail, avec la qualification qui convient.

Le rapport appelle également à revoir la tarification de l‘hébergement en EHPAD

Oui. La tarification actuelle est incompréhensible, dans le public comme dans le privé. Selon que vous habitiez dans tel ou tel département, en métropole ou dans les outre-mer, vous êtes plus ou moins bien loti. Il est temps de revoir et d’harmoniser tout cela.

Peut-on se satisfaire des résultats de cette mission flash ?

Non, dans la mesure où beaucoup de recommandations du rapport restent insuffisantes. Le rétablissement des contrats aidés dans le secteur médico-social, par exemple, est une vraie victoire, mais on ne peut s’en contenter. Pour la FI, les contrats aidés, ne sont pas une vraie solution : puisqu’on manque de personnel, il s’agit d’obtenir que ces contrats aidés débouchent sur des postes pérennes, en payant la formation d’aides-soignants aux gens qui bénéficient aujourd’hui des contrats aidés. Il reste donc du chemin à faire. Nous allons continuer à travailler et à nous battre, notamment dans le cadre de la mission d’information qui va être ouverte – une mission de six mois, avec des moyens accrus : auditions, perquisitions, investigations… Chaque mission dispose de deux rapporteurs, un de la majorité et un de l’opposition. J’ai donc demandé le poste de co-rapporteur. Mais le rapport issu de la mission flash a un intérêt majeur : il a mis le sujet EHPAD sur la place publique. Si l’on apprend demain, à nouveau, le suicide d’un soignant, ou des actes de maltraitance, nous pourrons interpeler la ministre. Elle a le rapport sous les yeux. Elle est informée. Elle ne pourra pas feindre l’étonnement et dire « je ne savais pas ».

Quels seraient les axes d’une politique de progrès en ce qui concerne les EHPAD ?

Il y a beaucoup à faire. Du côté des patients, il faut revoir les prix, le reste-à-charge. Aujourd’hui, entrer dans un EHPAD coûte une fortune : en moyenne, 3800 euros par mois dans le privé, et 1800 ou 2000 euros dans le public. Quand on sait que la moyenne des retraites en France est d’un peu moins de 1000 euros… Vous dilapidez ce que vous avez accumulé au cours de toute votre existence, pour avoir une fin vie en EHPAD qui, hélas, est loin d’être digne.

Plus généralement, il faut interdire de faire de l’argent sur l’humain. A l’heure actuelle, si vous allez sur un moteur de recherche et que vous tapez EHPAD, on vous dit « Investissez dans les EHPAD ». Des groupes comme Korian et Orpea sont même cotés en Bourse !

Et puis il faut poser la question de la fin de vie. Le problème de l’euthanasie est délicat. Chacun peut en juger selon ses valeurs. Mais la fin de vie digne ne doit plus être un sujet tabou.

Et en ce qui concerne les soignants ?

Il faut des moyens, et du personnel. La mode, maintenant, c’est de faire travailler les soignants douze heures. Sauf que dans certains services, vous ne tenez pas douze heures. Douze heures à porter des corps meurtris et souvent lourds, ça ne peut pas fonctionner. On compte aujourd’hui 0,56 encadrants pour 1 résident dans les EHPAD. Cela peut paraître beaucoup. Mais en réalité, dans ces 0,56 personnes, on compte le directeur, le secrétaire, le cuisinier, le technicien… En Irlande, on en est à 1 soignant pour 1 résident. Puisqu’on parle sans cesse d’harmonisation européenne, alignons-nous par le haut sur nos voisins irlandais. Tout le monde en profitera, les soignants comme les patients.

Propos recueillis par Antoine Prat


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