Les grandes entreprises américaines et canadiennes inondent le monde de saumon trangénique

samedi 14 octobre 2017.
 

Le saumon OGM refait surface. AquaBounty, qui en détient les droits, appartient à la tentaculaire Intrexon, elle-même détenue par la pachydermique Third Security LLD…

Tout en bas de la chaîne, il y a le poisson, et celui dont il est question présentement a beau être élevé en piscine, beaucoup lui reprochent d’évoluer en eaux troubles. Fruit d’un savant cocktail transgénique, conçu pour grossir deux fois plus et deux fois plus vite que ses semblables, le saumon OGM est le premier animal de ce type à avoir été autorisé à la consommation humaine. La bataille juridique aura duré vingt ans, avant qu’en 2015, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, la FDA, ne lui accorde un laisser-passer en rayon frais, copiée, un an plus tard, par son homologue canadienne.

C’est d’ailleurs là-bas, au Canada, qu’il a refait surface le 4 août dernier, jour où les consommateurs ont appris qu’il flottait au-dessus de leurs assiettes. Incognito, faut-il préciser. C’est en communiquant ses résultats financiers que son propriétaire a annoncé, de façon lapidaire, en avoir déjà commercialisé cinq tonnes dans le pays depuis janvier. Car la friture n’est pas libre de droits. Son patronyme officiel en témoigne, qui ne peut être mentionné sans copyright  : résultat d’une manipulation génétique brevetée, AquAdvantage® – quel drôle de nom pour un poisson –, est le patrimoine exclusif d’AquaBounty Technologies, entreprise canadienne lancée en 1991 par une poignée de scientifiques. Un marché de 2 milliards de dollars américains de saumon d’Atlantique

C’est elle, son créateur. AquAdvantage® n’en a peut-être pas conscience du fond de ses bassins osmosés, mais il lui doit la vie. Non sans retour d’ailleurs, puisque ses premiers filets vendus ont déjà rapporté 53 000 dollars américains à sa maison mère.

Le chiffre n’est pas mirobolant. AquaBounty Technologies elle-même a tout du menu fretin. Sur son site Internet, elle vante sa dimension familiale comme un caractère censé valider toutes ses promesses éthiques  : 23 salariés en tout et pour tout, répartis dans deux bureaux – l’un dans le Massachusetts, aux États-Unis, l’autre sur Prince Edward Island, minuscule île canadienne.

Mais la société a un gros appétit et entend bien nager dans le bassin des grands, pas uniquement au nord. Sa cible, c’est le continent américain tout entier. En 2008, elle se dotait d’une filiale au Panama.

En 2014, elle s’est enregistrée dans le Delaware, aux États-Unis, et en 2015 elle créait AquaBounty Brésil, dédiée à la commercialisation du produit. Le 13 juin dernier, enfin, Ronald Stotish, son PDG – joues roses, moustache blanche et sourire bonhomme – annonçait être sur le point d’acquérir pour 14 millions de dollars d’actifs dans les installations de fermes aquacoles Bell Fish, dans l’Indiana. «  Cela fournirait à AquaBounty Technologies ses premières installations de production à l’échelle commerciale des États-Unis  », faisait-il savoir.

Un marché qui a de quoi appâter, alors que l’on y écoule chaque année pour 2 milliards de dollars américains de saumon d’Atlantique. Dès 2019, AquaBounty espère y insuffler l’équivalent de 1 200 tonnes métriques par an de son AquAdvantage®, «  ce qui représente un potentiel de ventes de 10 millions de dollars américains par an, pour commencer  », précise encore le communiqué.

Si le temps a été long avant que l’aventure ne profite, l’avenir promet donc des lendemains fructifiants. La perspective n’est pas sans intéresser de plus gros poissons, voire quelques pieuvres. Ainsi Intrexon. Le nom est peu connu, pour ne pas dire pas. Rien à voir, en tous les cas, avec la notoriété d’un Monsanto, avec qui Intrexon partage toutefois quelques points communs. Dans un long article titré «  Intrexon, l’entreprise qui modifie tout le vivant  », Christophe Noisette, rédacteur en chef du site Inf’OGM (1), en décortique l’ADN. D’abord, Intrexon est allée recruter chez le maître. «  On retrouve dans le board (bureau – NDLR) d’Intrexon Robert B. Shapiro, ex-PGD de Monsanto entre 1995 et 2000  », rappelle le journaliste. L’exécutif comprend également John McLean, qui l’a rejoint après avoir travaillé vingt-cinq ans pour Monsanto, ainsi que Sekhar Boddupalli, ancien cadre de la division des semences potagères de Monsanto. Mais ce qu’Intrexon et le géant de la semence partagent avant tout, c’est le goût de l’absorption. Début 2017, Intrexon a donc gobé AquaBounty, et en est devenu le principal actionnaire. Ce n’était pas son coup d’essai.

«  En août 2015, elle achetait pour 160 millions de dollars la start-up britannique Oxitec  », spécialiste des insectes OGM, poursuit Christophe Noisette. Ragaillardie, Oxitec mettait au point dans la foulée une usine de moustiques transgéniques au Brésil, qui font aujourd’hui fureur dans le pays.

Avant elle, Intrexon avait déjà absorbé TransOva Genetic et ses technologies de clonage et de reproduction bovine, laquelle avait elle-même avalé ViaGen Pets, spécialiste du clonage d’animaux domestiques. Intrexon, enfin, trouve à se nourrir dans les eaux de la thérapie génique, secteur dans lequel elle détient de nombreuses joint-ventures œuvrant dans le traitement des maladies oculaires, du diabète ou encore de l’infertilité féminine.

Mais dans l’océan du business, la pieuvre a elle aussi ses prédateurs. «  Intrexon n’est rien face à la galaxie de Third Security LLD, son principal actionnaire  », conclut Christophe Noisette. Un fonds de pension créé en 1999 par Randal J. Kirk, multimilliardaire états-unien. Acheteur et vendeur d’entreprises biotech, l’homme de 63 ans tient par le portefeuille les plus grandes sociétés travaillant sur les gènes. Cela lui permet de trôner aujourd’hui en haut de la chaîne du business du vivant. En attendant de croiser cachalot plus gros que lui.

Marie-Noelle Bertrand, L’Humanité


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