Pour une Pologne laïque et démocratique

samedi 30 septembre 2017.
 

- B "On veut façonner les jeunes à obéir à la volonté du régime et de l’Église"

- A) Krystian Lupa : «  Une haine catholique contre la pensée libre  »

B) On veut façonner les jeunes à obéir à la volonté du régime et de l’Église

Entretien avec Wanda Nowicka, militante laïque et féministe, ancienne vice-Président de la Diète polonaise.

La Libre Pensée : Pourquoi vous engagez-vous dans le combat pour l’Etat laïque ?

Wanda Nowicka : Sans trop exagérer, je peux admettre que l’Église catholique m’a fait « sortir dans la rue », m’a poussée à participer activement dans l’action publique. Lorsque, en 1989, la Pologne a commencé la période de la transformation du régime et est entrée dans le chemin vers la démocratie, je n’aurais jamais imaginé que l’Église en profiterait pour influencer la vie politique du nouveau régime, construire un puissant empire économique soutenu par les fonds publics et pour faire en sorte que la Pologne devienne le leader conservateur de l’Europe qui promeut l’intégrisme religieux comme pierre angulaire de la politique de l’État.

En 1990, les autorités polonaises, sous la pression de l’Église, ont décidé d’introduire la religion comme matière dans les écoles. Pour protester contre cette évidente violation du principe de Séparation de l’Église et de l’État, avec quelques personnes qui partageaient les mêmes idées, nous avons décidé de fonder une association NEUTRUM, en faveur de l’État idéologiquement neutre. Lorsque, toujours sous la pression de l’Église, le gouvernement a commencé le travail sur le projet de l’interdiction de l’avortement, et, au bout de trois ans de combat, a fini par adopter une loi répressive, j’ai lutté contre la restauration de « l’enfer des femmes ». J’ai ensuite cofondé la Fédération des Femmes et de la Planification Familiale qui lutte pour les droits reproductifs des femmes. J’étais en tête de la Fédération pendant 20 ans (1991-2011), jusqu’à ce que je sois élue au parlement polonais (le Sejm). En tant que députée et vice-présidente du Sejm, j’ai entrepris de nombreuses initiatives en faveur de l’État laïque. J’étais la première Elue à organiser dans le Sejm plusieurs conférences avec des organisations laïques, dont quelques-unes avec la participation de mes amis français de la Libre Pensée, traitant de divers aspects de la violation des principes de laïcité en Pologne et dans le monde. D’ailleurs, il y a 20 ans, sous le couvert de la nuit et contrairement à la loi, quelqu’un a suspendu une croix dans le Sejm et jusqu’à aujourd’hui personne n’a eu le courage de l’enlever.

En tant que Vice-présidente du Sejm, j’ai fondé le prix de « Bougeoir en Cristal » pour tous ceux qui mènent un combat actif en faveur de la laïcité. Ce prix a entre autre été attribué aux lycéens pour avoir organisé les manifestations contre la pendaison de la croix dans une école laïque. Le Président de l’Université de Bydgoszcz a également reçu ce prix pour avoir enlevé la croix de la salle universitaire du Sénat. Maintenant j’étudie la philosophie et bioéthique a la Sorbonne.

LP : En Pologne, une « réforme » scolaire vient d’être mise en place. En quoi consiste-t-elle et comment a-t-elle été perçue par les enseignants et les laïques ?

WN : La réforme de l’éducation ou plutôt la « déforme », appelée ainsi par ses opposants, qui est en vigueur depuis le mois de septembre à l’école, est à l’origine de nombreuses protestations sociales. Le mouvement civique « Les parents contre la réforme de l’éducation » avec l’Union des Enseignants Polonais ont pris l’initiative d’organiser un référendum sur cette question. Malgré près d’un million de signatures recueillies, cette motion civile a été rejetée par le parti au pouvoir conservateur Droit et Justice (PiS).

La « déforme », actuellement appliquée par le gouvernement et contre laquelle la mobilisation est organisée par les enseignants et les parents, est critiquée pour au moins deux raisons. Elles se reflètent parfaitement par les slogans utilisés pendant les manifestations : « NON pour le chaos à l’école », « Oui pour l ’éducation ! Non pour l’endoctrinement ! », « Nous voulons de l’éducation du XXIème siècle ! ». La réforme vise à modifier la structure du système de l’éducation de celui à trois niveaux à deux niveaux. Le collège est supprimé, la durée de l’école primaire est restaurée à 8 ans, 4 ans pour le lycée. Ces changements n’ont pratiquement aucune valeur substantielle, on ne sait pas comment ils amélioreraient le niveau d’éducation. En revanche, la réforme a provoqué un énorme chaos, entraîné des coûts considérables et des licenciements chez les enseignants.

Ce qui a sans doute provoqué les changements à l’école, et ce qu’on voit d’ailleurs au bout de quelques semaines après l’entrée en vigueur de la réforme, c’était la volonté de retourner à l’enseignement autoritaire, la propagation des « idées justes » plutôt que de favoriser la pensée autonome. On veut façonner les jeunes Polonaises et Polonais à devenir des citoyens qui obéissent à la volonté du régime et de l’Église en abolissant le restant de l’éducation sexuelle et en la remplaçant par l’enseignement de la doctrine de l’Église en matière de la sexualité et de la reproduction. Bref, au lieu de construire une école moderne, ouverte et pluraliste, on est en train de créer une école enfermée où il n’y aura pas de place pour les idées différentes de celles transmis pendant les cours, et où les personnes de nationalités ou d’origines différentes, de plus en plus nombreuses en Pologne, se sentiront rejetées. On peut seulement compter sur les parents et les enseignants pour qu’ils continuent à protester et stigmatiser toute manifestation d’intolérance ou discrimination.

LP : Les droits des femmes semblent particulièrement remis en cause aussi. Comment ?

WN : Bien que la lutte pour les droits de femmes ne finisse jamais, non seulement en Pologne, la situation dans notre pays est particulièrement difficile en ce moment. Il existe au moins deux dangereuses tentatives soutenues par l’Église qui visent à exacerber la législation sur l’avortement, déjà très restrictive. Les deux ont pour l’objectif d’interdire l’interruption de grossesse lorsque le fœtus est gravement endommagé. La première est une initiative populaire, la seconde est un recours constitutionnel. Les milieux pro-choice appelés « Sauvons les femmes 2017 » ont à nouveau lancé une initiative populaire en faveur de la libéralisation de l’avortement, l’introduction de l’éducation sexuelle et de la contraception. Son but n’est pas pour autant de changer la loi en termes réels, ce qui serait impossible à faire aujourd’hui, mais de bloquer les tentatives des fondamentalistes.

L’année dernière, nous avons réussi à empêcher l’adoption de l’interdiction totale de l’avortement, on verra comment la situation va évoluer cette année. Je crains que le Tribunal Constitutionnel, qui est désormais sous l’influence des autorités, ne finisse par juger l’avortement inconstitutionnel. Ainsi, on priverait les femmes de ce qui reste aujourd’hui de leurs droits de reproduction. Mais, comme le disent les féministes polonaises, « on ne met pas les parapluies de côté », le parapluie étant le symbole de la Grève Nationale des Femmes (Octobre 2016) dont l’action a empêché de nouvelles répressions.

La lutta continua !

Wanda Nowicka

Source : La Raison, organe de la Fédération Nationale de la Libre Pensée

A) Krystian Lupa : «  Une haine catholique contre la pensée libre  »

Krystian Lupa dénonce, dans cet entretien, les dérives autocratiques et obscurantistes qui s’abattent sur la Pologne

Fin août, la nouvelle est tombée comme un couperet. Les autorités polonaises (régionales et gouvernementales) ont décidé de limoger Krzysztof Mieszkowski, l’emblématique directeur du Teatr Polski de Wroclaw, une des plus grandes villes du pays, et de nommer, à l’occasion d’un concours totalement biaisé, Cezary Morawski, un homme de main, poursuivi pour détournements de fonds. Le pouvoir ultraconservateur rêve aujourd’hui d’un retour à l’ordre moral, d’un théâtre patriotique, hagiographique, catholique et apostolique qui encenserait l’histoire du pays, sa résistance depuis le Moyen Âge aux invasions barbares de tout poil, ou encore la vie et l’œuvre de Jean-Paul II. Le Teatr Polski cristallisait tous les démons du pouvoir actuel, qui a donc décidé d’effacer du paysage artistique et intellectuel ce lieu unique et singulier où artistes et public poursuivaient les échanges longtemps après les représentations.

En nommant à sa tête Cezary Morawski, les autorités polonaises ont balayé d’un revers de main dix années de travail menées par Krzysztof Mieszkowski, éminent directeur et opposant politique connu. Ce dernier a contribué à l’essor de ce théâtre de par le monde, réunissant l’une des meilleures équipes artistiques du pays, permettant l’émergence de nouveaux talents. Le public pouvait assister à un théâtre audacieux, ouvert sur le monde, où la poésie des textes permettait à chacun d’approcher d’un peu plus près la vérité des arguments dans le débat politique qui anime toute société.

Krystian Lupa est l’un des artistes emblématiques du Teatr Polski. Au lendemain des élections polonaises d’octobre 2015, il a rédigé un manifeste (à paraître ces jours-ci chez Actes Sud) dans lequel il annonçait la catastrophe imminente pour son pays suite à la victoire du PiS, la droite ultranationaliste. Lupa travaillait à une adaptation du Procès de Kafka pour le Teatr Polski. Familier des œuvres de Thomas Bernhard, d’Elfriede Jelineck et de bien d’autres, il pratique un théâtre de l’intranquillité. Dans Place des Héros, que nous avons vu à Avignon et qui sera à l’affiche du Festival d’automne en décembre au Théâtre de la Colline (lire notre critique dans l’édition du 20 juillet dernier), il signe une mise en scène d’une intelligence lumineuse, nous conviant à un spectacle féroce, pessimiste et lucide sur l’état du monde, en Pologne, en Autriche comme dans toute l’Europe. Car ce qui se joue là-bas, en Pologne, doit nous faire réfléchir sur l’état de nos démocraties à l’heure où l’extrême droite n’avance plus masquée.

Malgré la vague de protestation des artistes polonais et du public, les autorités, les élus ont limogé le directeur du Teatr Polski de Wroclaw et nommé grâce à un concours biaisé leur candidat. Comment qualifiez-vous cette décision  ?

KRYSTIAN LUPA Les pouvoirs en place ne veulent pas de l’art indépendant. Ils le haïssent parce qu’ils ne le comprennent pas et qu’ils en ont peur. Ils ne veulent pas d’un théâtre reconnu mondialement car il s’agirait de la reconnaissance de valeurs et d’idées qui leur sont tout à fait étrangères. Les pouvoirs veulent leur art à eux, comme autrefois, l’art de la cour. Pour eux, l’art doit être servile  ; il doit être pour les pouvoirs une sorte de propriété, une institution facile à manipuler. Les deux décideurs de ce massacre culturel et organisateurs du concours dont le résultat était joué d’avance n’appartiennent pas au même parti mais leur détermination à liquider les lieux qui ont une vision du monde différente de la leur les réunit. C’est paradoxal – le niveau artistique du Teatr Polski, les voix massives de l’élite culturelle en Pologne et en Europe qui se dressent contre l’anéantissement des valeurs ne font que renforcer cette détermination. Ce qui, pour toute personne sensible et capable d’une réflexion, est une évidence – la nécessité de préserver l’avant-garde culturelle – ne fonctionne plus. Au contraire  ! Ces phénomènes inspirent de l’aversion aux dirigeants actuels, suscitent une sorte de jalousie haineuse car, aujourd’hui, dans le discours public actuel, ces deux champs de force se trouvent à deux pôles extrêmes opposés. Cela fait penser à la haine pour l’avant-garde artistique dans l’Allemagne nazie dans les années 1930. C’est un phénomène très symptomatique…

Immédiatement après les élections en Pologne du 25 octobre, vous avez écrit un manifeste dans lequel vous dénonciez les dérives nationalistes et xénophobes du gouvernement mais aussi votre peur. Vos craintes sont, hélas, plus que confirmées… Y a-t-il un durcissement des menaces à l’égard des artistes et du théâtre en Pologne  ?

KRYSTIAN LUPA Oui, et de plus dans une progression géométrique. On arrive à une guerre ouverte entre les intellectuels, les artistes et les dirigeants actuels. Souvent, contrairement aux politiques, les artistes savent mettre à nu et ridiculiser avec précision la mentalité médiocre et la petitesse des dirigeants. À côté de la désorientation et de l’effroi se forme et grandit autour des actions de PiS (Droit et justice, le parti actuellement au pouvoir fondé par les frères Kaczynski –NDLR) une bouffonnerie ridicule. Ce tableau grotesque et absurde est en grande partie dû à des artistes. Je n’exclus pas que PiS puisse mourir de ridicule  ; la furie grandissante dans cette bataille convulsive tisse le cocon du ridicule. Quand la lutte pour la liberté de l’art et de la culture s’intensifiera pour de bon, les artistes commenceront à fuir la Pologne, comme cela se passe aujourd’hui en Hongrie…

Que reprochent donc les autorités politiques à l’ancien directeur du Teatr Polski, Krzysztof Mieszkowski  ? Sa liberté, son audace  ? Que se cache-t-il derrière l’argument du « déficit »  ? Le théâtre est-il le dernier endroit où la parole politique est libre  ?

KRYSTIAN LUPA L’argument financier est leur seul point de chantage, dans le contexte des réussites artistiques et des succès spectaculaires du théâtre dirigé jusqu’alors par Mieszkowski. Il faut souligner que les problèmes financiers récurrents du Teatr Polski résultent du simple fait que, année après année, le conseil de la région de la Basse-Silésie ne remplit pas ses obligations. Tous les ans, Mieszkowski se trouve face à un budget réduit mais il s’obstine à ne pas arrêter l’activité du théâtre ni les nouvelles productions pour cause du manque de subventions.

La vraie raison de cette détermination commune du président du conseil de la région et du ministre de la Culture pour congédier Mieszkowski et détruire la ligne artistique du Teatr Polski est une irrépressible envie de revanche, une envie de punir un directeur de théâtre qui les ridiculise tant par ses prises de position politiques que par sa programmation artistique.

Vous avez eu affaire à la censure du ministère de la Culture suite à la création de la Jeune Fille et la Mort d’Elfriede Jelinek qui a tout fait pour interdire la pièce – sans l’avoir vue. Comment de telles attitudes sont-elles possibles  ?

KRYSTIAN LUPA On pourrait multiplier sans fin les raisons de tous ces sentiments de rancœur et de haine. Cette « haine catholique » qui prend aujourd’hui une dimension excessivement démesurée contre la pensée totalement libre cultivée par Mieszkowski et son théâtre n’est pas sans signification. Il y a déjà eu des tentatives de la part du ministère de censurer les spectacles, entre autres la Jeune Fille et la Mort, avant même que la première n’ait lieu. Le ministre a tout essayé pour l’annuler bien qu’il ait bien peu très peu su de ce spectacle. Oui, c’est la première fois que le ministre de la Culture fraîchement nommé par PiS s’est ridiculisé. La rumeur concernant la présence d’acteurs porno et de leur performance provocatrice a réveillé une vive indignation auprès des ultracatholiques de Wroclaw, qui, d’ailleurs, n’ont même pas vu le spectacle et qui de surcroît ne fréquentent pas le théâtre. Il va sans dire que le ministre de la Culture s’est associé de gaieté de cœur à ce mouvement de protestation. Il s’est saisi de la situation et, dans une manœuvre tout à fait spectaculaire, a invoqué le sauvetage de la morale menacée et de la pureté de l’art polonais, qui, selon lui, devraient avoir un caractère uniquement patriotique et chrétien. Ces propos ministériels ont immédiatement cristallisé une gigantesque vague de protestation dénonçant leur ridicule. Le ministre Glinski a paniqué. Il est devenu sur-le-champ, à cause de sa monumentale emphase, un objet de caricature…

Votre prochaine création, le Procès de Kafka, dont la première était prévue le 23 novembre prochain, est désormais annulée. Comment comptez-vous poursuivre votre travail dans votre propre pays  ? Quels sont désormais vos marges de manœuvre  ?

KRYSTIAN LUPA C’est une inconnue. Avec le Teatr Polski de Wroclaw disparaît le dernier endroit où je peux et où je désire travailler. La collaboration, la relation créatrice avec le directeur du théâtre est pour moi une condition nécessaire. Il ne s’agit pas d’un lieu pour créer un nouveau spectacle mais plutôt d’une société artistique, qui vit dans un processus tourné vers le progrès. C’est justement ce phénomène inestimable qui a été détruit à Wroclaw, et qui sera peut-être perdu à jamais. C’est touchant que trois théâtres de Varsovie m’aient proposé de finir les répétitions du Procès de Kafka avec les acteurs du théâtre de Wroclaw. C’est un geste magnifique, seulement difficile logistiquement, ne serait-ce qu’à cause de l’avenir incertain des acteurs du Teatr Polski de Wroclaw.

Ce qui se passe en Pologne est-il annonciateur de ce qui pourrait arriver en Europe avec une mise au pas des artistes, de la création, de la liberté  ?

KRYSTIAN LUPA J’espère que les vieilles démocraties européennes qui, à vrai dire, elles-mêmes subissent déjà certains troubles seront épargnées par cet ahurissant cas polonais. Sauf si, ici aussi, les gens comme Mme Marine Le Pen arrivent au pouvoir…

Les autorités polonaises s’attaquent à la culture mais aussi à la liberté de la presse. La Pologne est membre de la Communauté européenne. Pour autant, est-ce encore une démocratie  ?

KRYSTIAN LUPA Regardons attentivement ce qui se passe autour de nous, dans notre monde. Quelque chose nous échappe. Nous n’arrivons toujours pas à créer une œuvre nouvelle, qui donnerait une synthèse espérée de ce monde et qui orienterait nos pas dans une nouvelle direction…

Et puis, ne perdons pas de vue et n’effaçons pas de nos âmes le mystère du rêve et l’enthousiasme.

Les pouvoirs en Pologne s’attaquent à la culture mais aussi à la liberté de parole. La Pologne est membre de l’Union européenne, est-ce toujours une démocratie  ? Non  ! Ce n’est plus une démocratie. Plus vite nous trouverons le courage de réaliser cela et de nous le dire, mieux cela sera.

Marie-José Sirach

Chef de la rubrique culture de l’Humanité


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