Réfugiés : Etat de non-droit dans les Alpes maritimes

jeudi 7 septembre 2017.
 

De retour des Alpes Maritimes Eric Coquerel, député FI de la Seine-Saint-Denis explique à l’Heure du peuple quelle est la situation des réfugiés et de ceux qui veulent les aider dans ce département.

Vous vous êtes rendu lundi 28 août dans les Alpes-Maritimes pour voir la situation des réfugiés. Quel bilan faites-vous ?

C’est simple : dans les Alpes-Maritimes existe un état de non droit sur la question des réfugiés. Les associations et militants de la FI 06 m’avaient alerté en juillet sur ce qu’il se passait, d’où une première question écrite au gouvernement le 9 août, mais sur place la gravité de la situation vous prend à la gorge. Les deux avocates du Syndicat des Avocats de France (SAF) rencontrées à Nice m’ont dressé, exemples à l’appui, un sinistre état des lieux. Premières victimes, les mineurs isolés qui en théorie sont protégés par le droit international mais sont réexpédiés sans aucune procédure dans le train pour l’Italie. C’est quotidien.

Les demandeurs d’asile quel que soit leur âge ne peuvent faire valoir leurs droits dans le 06. Ils sont eux aussi réexpédiés en Italie. Au nom de l’état d’urgence et de la lutte contre le terrorisme, la France a eu le droit de déroger à la libre circulation et à la création des 12 points de passage autorisés (PPA) dans le 06. En théorie il s’agit uniquement d’un dispositif anti-terroristes. En réalité c’est devenu un contrôle permanent des réfugiés avec reconduite en Italie.

En novembre ce dispositif dérogatoire devra cesser. Que fera l’État ? À Menton la PAF (Police de l’air et des frontières) est d’après maints témoignages devenu un centre de rétention et de réexpédition officieux. Malgré un recours des avocates, le Conseil d’Etat a accepté que des étrangers y soient retenus 4 heures pour vérification d’identité. Au-delà on entre dans une rétention totalement illégale. Or des vidéos et témoignages montrent que beaucoup y passent des jours et des nuits dans des Algeco de fortune ou une pièce disposant d’un seul robinet au 1er étage de la gare de Menton-Garavan. C’est une véritable machine à repousser illégalement des réfugies en très grande majorité érythréens et soudanais. Or 80 % des Érythréens qui frappent à la porte de l’Ofpra obtiennent le droit d’asile. Dans le 06 ils ne peuvent même pas arriver au dépôt du dossier !

Qui avez-vous rencontré ?

Les deux avocates du SAF donc, des militants de l’association Roya citoyenne, Roya solidaire, Cédric Herrou et les membres de Habitat et solidarité.

Dans quelles conditions travaillent les associations d’aide aux réfugiés ?

Eux aussi sont inquiétés. On peut parler d’un délit de solidarité. Grossièrement la loi protège les bénévoles quand il s’agit de soutien en nourriture, hébergement, soins, formations. C’est sur le transport que les autorités jouent pour inquiéter en justice les soutiens. D’où un traitement disparate selon les départements. A Paris, par exemple, des associations comme Utopia se déplacent sans souci pour amener des demandeurs d’asile à un PADA (plateforme d’accueil des demandeurs d’asile), la même chose dans le 06 peut vous amener devant le tribunal. Raison pour laquelle le SAF demande que la loi clarifie les choses : il ne peut y avoir poursuite en matière de transport que s’il y a contrepartie afin de pourchasser les seuls passeurs. Globalement les soutiens sont inquiétés régulièrement par la police quand ce n’est pas par l’extrême-droite. Dans la Vallée de la Roya un journal d’extrême-droite A vugi d’à la Roya dont le slogan est « Ni loups, ni camions, ni migrants », attaque en permanence les soutiens, photos à l’appui. L’ambiance est pesante. Il n’est pas rare que dans cette vallée, les militants de Roya solidarité aient leurs voitures détériorées.

Vous avez rencontré Cédric Herrou, dans quel état d’esprit est-il ?

Pour comprendre la situation de Cédric, disons un mot sur la vallée de la Roya : c’est une enclave française en territoire italien puisque hors une route inutilisable une grande partie de l’année, on accède dans la vallée par l’Italie à partir de Vintimille. Cédric s’appuie d’ailleurs sur la tradition d’accueil de cette vallée, dont il ne veut pas séparer les parties française et italienne, pour revendiquer le droit d’accueillir des réfugiés dans son terrain et de les aider, y compris en matière de transport, à déposer leur demande d’asile. Pour lui cette politique de contrôle répressif ne résout pas la question et n’empêche pas les migrants de passer la vallée sauf qu’ils le font dans des conditions d’extrême dangerosité pour échapper aux PPA. D’où 18 migrants tués en 12 mois sur cette partie de la frontière. Il confie d’ailleurs que les policiers et gendarmes eux-mêmes jugent ces mesures inefficaces. Mais pour l’heure, elles s’appliquent avec la plus grande sévérité : il y a au moins 200 à 300 gendarmes qui contrôlent en permanence la vallée. Coût au moins 60 000 euros par jour. En ce qui concerne Cédric, 6 gendarmes surveillent en permanence son terrain, guettant le moindre geste et photographiant tout ce qui bouge. Les soutiens qui sont sur sa propriété pour l’aider se font contrôlés plusieurs fois par jour. C’est une véritable liberté surveillée qui ne dit pas son nom. Il en est à 6 gardes à vue en 12 mois et a deux procès dont un sur Appel du parquet après qu’il a été relaxé par le tribunal de Nice au nom de l’immunité humanitaire, pour reprendre les beaux termes de la courageuse magistrate qui avait pris cette décision. Je rappelle que Cédric n’est pas un terroriste... Juste un soutien de réfugiés.

Quels moyens d’action ont tous ceux qui aident les réfugiés pour faire valoir leurs droits ?

La mobilisation, l’appel à la solidarité mais c’est vrai que la situation est difficile. Il faut aussi éclairer leur combat, éviter que la situation dans le 06 devienne un non-événement. C’était le but de mon déplacement.

Quels sont les recours possibles ?

Au nom du principe de proportionnalité qui consiste à dire qu’il n’y pas infraction dès lors qu’elle est faite dans le cadre de la défense d’un droit qui lui est supérieur, le SAF va tenter de dépénaliser le transport non rémunérateur mais disons solidaire des migrants. Sinon les associations type Amnesty, Ligue des droits de l’Homme, Collectifs citoyens tentent de réveiller les consciences.

Vous avez annoncé à l’issue de cette visite que vous allez demander une enquête parlementaire, quelles sont ses chances d’aboutir ?

J’espère que beaucoup d’autres députés voudront en savoir plus sur une situation anormale. Quelle que soit leur position sur les migrations, beaucoup de députés sont attachés à l’état de droit. Je pense donc pouvoir convaincre. Dès septembre je vais regarder concrètement comment la faire déboucher. Comme disent les soutiens des migrants dans le 06 « ici on n’en est plus à faire des actions aux limites de la légalité pour alerter sur le sort des réfugiés, on en viendrait à se satisfaire que la loi soit respectée même si celle-ci est loin d’être parfaite ! »

Propos recueillis par Christiane Chombeau


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