Face au capitalisme : « Plutôt que d’insister sur la préservation des acquis, nous devons proposer un projet nouveau »

vendredi 2 mars 2018.
 

Le mouvement Attac est né il y a près de vingt ans. Aujourd’hui, la financiarisation du monde s’est aggravée, ainsi que la crise sociale et écologique. Comment contrer le capitalisme et comment promouvoir un système sans croissance ? Les réponses d’Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac.

Reporterre — Le 1er décembre 1997, Ignacio Ramonet publiait un éditorial dans le Monde diplomatique fondateur du mouvement Attac (Action pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens). Vingt ans après, qu’est-ce qui a changé ?

Aurélie Trouvé — Attac s’est constitué autour de la question financière et de la taxe sur les transactions financières (TTF). Depuis, le spectre des mobilisations s’est élargi aux conséquences de ce capitalisme financier : Traité constitutionnel européen, loi Travail, et bien sûr l’écologie. La caractéristique du mouvement altermondialiste aujourd’hui est de faire le lien entre le capitalisme financier, la question sociale et la crise écologique. Cette relation est essentielle, d’autant qu’on assiste aujourd’hui à une tentative de récupération de la question environnementale par le capitalisme. L’exemple le plus récent en est l’entrée de Nicolas Hulot dans le gouvernement très libéral de Macron. Les lignes deviennent floues, et certains s’y laissent prendre.

C’est-à-dire ?

Il s’agit d’une tentative de verdissement d’un capitalisme financier très dur. Face à cela, nous devons réaffirmer que l’écologie altermondialiste est absolument incompatible avec le social-libéralisme de Macron.

Pourquoi est-ce incompatible ?

Emmanuel Macron nous annonce qu’il faut baisser drastiquement les dépenses publiques... ce qui est incompatible avec les investissements écologiques de long terme qu’il a promis. Pour créer un million d’emplois dans le cadre de la transition écologique, il faut 100 milliards d’euros d’investissements publics. Cela nécessite d’aller chercher l’argent dans les sphères où il abonde sans pour autant produire de l’utilité sociale.

Dans la sphère financière, par exemple...

Il faut s’attaquer au capitalisme financier, en dégonflant la bulle financière et en reversant l’argent dans les activités utiles. C’est l’objectif de la taxe sur les transactions financières. Or, Emmanuel Macron a déclaré il y a quelques jours qu’il remettait les négociations européennes sur cette taxe à après le Brexit, autant dire à la Saint-Glinglin.

« L’écologie altermondialiste est absolument incompatible avec le social-libéralisme de Macron. »

Peut-on en dire autant d’Angela Merkel, qui a aussi un positionnement très libéral ?

Elle a eu des positionnements plus courageux sur l’environnement, notamment la sortie du nucléaire. Elle a également été volontaire sur la TTF. Mais il existe une grande différence entre la France et l’Allemagne : le mouvement écologiste est là-bas bien plus fort et radical que chez nous. Ce qu’a fait le collectif Ende Gelände à Welzow est très impressionnant, même si on a Notre-Dame-des-Landes ici. Ils ont une puissance de feu citoyenne importante. En France, nous sommes encore en train de la construire. Et ce mouvement doit se constituer sur des fondations altermondialistes, c’est-à-dire de remise en cause profonde du capitalisme financier.

Malgré tout, Angela Merkel est toujours là, Emmanuel Macron et Donald Trump viennent d’arriver au pouvoir. N’y a-t-il pas un échec des mouvements sociaux et altermondialistes à modifier les dynamiques du capitalisme ?

Oui, c’est un échec du mouvement social, mais aussi du mouvement politique et du mouvement intellectuel. Il s’agit d’un échec très large de la gauche citoyenne, dans toutes ses dimensions.

Comment l’expliquer ?

Nous n’avons pas réussi à imposer dans les esprits l’idée qu’il pouvait y avoir une mondialisation protectrice des citoyens. Une mondialisation qui mette en place des contrôles aux frontières sans pour autant être une fermeture au monde, comme le Brexit. Nous ne sommes pas parvenus à montrer qu’une autre mondialisation était possible. Ou, plutôt, nous n’arrivons pas à faire passer nos idées à l’ensemble de la population. Nous prêchons surtout des convaincus, c’est-à-dire une population informée, éduquée. C’est valable pour Attac, mais pas uniquement.

Depuis quelques années, nous faisons évoluer nos outils de mobilisation, pour toucher plus de personnes. À présent, nous utilisons beaucoup la désobéissance civique, qui nous semble un moyen humoristique, efficace, concret de faire valoir une colère légitime. En plus, même avec un faible nombre, on peut faire pression et avoir un impact.

Mais le problème n’est pas tant ce faible nombre. Attac, c’est près de 10.000 adhérents. Et à côté de nous, il y a des centaines d’organisations associatives, syndicales, des résistances locales... La difficulté, c’est de parvenir à agréger, à fédérer toutes ces alternatives dans un mouvement politique au sens noble du terme, qui impose des visions de la société.

« Nous n’arrivons pas à faire passer nos idées à l’ensemble de la population. Nous prêchons surtout des convaincus, c’est-à-dire une population informée, éduquée. »

Et si le capitalisme gagnait parce qu’il a raison ?

Non, il n’a pas raison. Mais il détient tous les pouvoirs, médiatique, politique, économique, intellectuel. Dans le monde académique, les économistes orthodoxes sont ultradominants. Mais soyons optimistes : il existe des poches de résistance dans tous ces secteurs. Nous sommes des centaines d’économistes à nous opposer au courant dominant. Il y a partout des résistances locales à des projets nuisibles. Et les alternatives fleurissent, notamment dans le domaine médiatique, avec des journaux comme le vôtre !

Une des forces du capitalisme n’est-elle pas aussi sa capacité à se réinventer ? Emmanuel Macron, avec son discours sur les start-up, l’esprit d’entreprise, la technologie, ne remet-il pas au goût du jour le capitalisme ?

Oui, il a la capacité de se projeter dans un monde nouveau. Nous devons en prendre de la graine et cesser d’être sans arrêt dans la défensive. Par exemple, sur la loi Travail, plutôt que d’insister sur la préservation de nos acquis sociaux, nous devrions proposer un autre projet de société, une autre relation au travail. Comment faire en sorte que chacun puisse agir sur ses manières de produire ? Comment nous libérer du travail ? Idem dans l’agriculture, les scenarii Afterre 2050 nous expliquent comment développer la bio, les circuits courts, les énergies renouvelables... Nous avons déjà les outils, les cadres de pensée, il reste à se les approprier, et à les diffuser largement.

Emmanuel Macron a réussi un incroyable tour de force en se faisant passer pour le renouveau. Il représente tout ce qu’il y a de plus ancien : l’ENA, le libéralisme pur et dur…

N’incarne-t-il pourtant pas un libéralisme qui se renouvelle ? Par rapport au capitalisme de Trump, fondé sur les énergies fossiles et la xénophobie, il prône un capitalisme technologique, vert, séduisant…

Le moteur reste le même ! Le capitalisme financier se nourrit de la croissance économique. Or tout point supplémentaire de croissance s’accompagne d’émissions de gaz à effet de serre - c’est ce qu’a montré la commission sur le développement durable britannique de Tim Jackson. L’enjeu pour nous est de penser un système sans croissance qui apporte de la prospérité. Cela veut dire partager le temps de travail, soutenir la création d’emplois verts et dans les services relationnels.

C’est ce type de vision sociétale qu’il faut promouvoir pour que les gens y adhèrent et se rendent compte que cette société est possible, mais que cela suppose de remettre en cause le système actuel.

Emmanuel Macron est le promoteur le plus absolu du capitalisme financier, même s’il a eu besoin de le verdir. Mais l’écologie version Macron ne pourra être qu’un environnementalisme dénué de social — puisqu’il prévoit une destruction massive des droits des travailleurs — et compatible avec les multinationales. Les multinationales se développent en exploitant le travail et les ressources naturelles. Nous ne devons pas oublier que les mobilisations sociales et écologistes sont étroitement liées, car je crains que ce ne soit là la stratégie de Macron. En ayant recruté Nicolas Hulot et en verdissant son image, il montre qu’il a compris que le plus dangereux pour son système serait l’alliance entre les mobilisations sociales et écologistes.

« Le capitalisme financier se nourrit de la croissance économique. Or tout point supplémentaire de croissance s’accompagne d’émissions de gaz à effet de serre. »

Le choix de Hulot serait donc un coin dans le mouvement social, pour le diviser ?

Je crains qu’il y ait cette tentation de donner quelques gages aux organisations environnementales tout en allant à fond dans la loi Travail, en espérant ainsi endormir les écolos et affaiblir la mobilisation.

En l’absence d’une gauche politique forte comme contre-pouvoir, que peut le mouvement social ?

Dans ce contexte de recomposition, il est essentiel que le mouvement social et les partis politiques discutent. Il est peut-être temps de réinterroger la Charte d’Amiens de 1901, qui actait l’indépendance des mouvements syndicaux vis-à-vis des mouvements politiques. Aujourd’hui, le fossé se creuse de plus en plus. D’un côté, syndicats et associatifs rejettent les partis et la politique, allant même jusqu’au vote blanc ou l’abstention. De l’autre côté, un certain nombre de leaders politiques de gauche méprisent le mouvement social, considérant qu’il n’est plus représentatif et qu’il ne sert plus à grand-chose.

Au contraire, nous avons besoin d’une convergence très forte entre mouvements sociaux, intellectuels et politiques. Il y a des expériences très intéressantes qui vont dans ce sens : l’expérience des villes rebelles en Espagne, ou même à Grenoble. Les prochaines municipales pourraient permettre cette convergence. Mais ce n’est pas fait ! À Montreuil, où j’habite, les différents partis de gauche se bouffent entre eux, et les listes citoyennes n’ont pour l’instant pas donné grand-chose.

Attac est né de l’altermondialisme. Aujourd’hui, nous sommes passés à une opposition protectionnisme vs mondialisation. Quelle place pour la troisième voie qu’est l’altermondialisme ?

Il faut revenir à un multilatéralisme comme celui des Nations unies. Le mouvement altermondialiste n’est pas protectionniste : nous prônons une autre mondialisation, où l’on régulerait la finance, où l’on reviendrait à un ordre monétaire international beaucoup plus fort... C’était le projet de Keynes en 1944 à Bretton Woods, et il a failli aboutir. Notre projet n’est pas utopiste !

C’est tout l’enjeu de la période actuelle : arriver à construire politiquement, intellectuellement et dans les mouvements sociaux, une mondialisation qui soit porteuse de protection pour les citoyens, et de progrès social et écologique. Pour ce faire, il s’agit de remettre en cause le dogme du libre-échange, et de faire passer les droits humains fondamentaux avant le droit de la concurrence.

Dans un contexte de xénophobie et de fermeture des frontières, l’altermondialisme n’a jamais été autant d’actualité.

« Nous avons besoin d’une convergence très forte entre mouvements sociaux, intellectuels et politiques. »

Quel est l’objectif de l’Université d’été d’Attac, dont Reporterre est partenaire ?

L’objectif premier de cette Université, c’est de débattre. Dans la période actuelle de recomposition, nous avons un besoin urgent de discuter, entre chercheurs, leaders de mouvements sociaux, leaders de résistances locales. Deuxièmement, ce sera un moment fort de construction des mobilisations à venir. En septembre nous attendent trois campagnes. Celle contre la loi Travail, que l’on commence déjà à organiser. Celle contre le traité Ceta, puisque Macron ne fera aucune concession sur le traité, cela fait partie de son ADN libéral, sauf s’il y a une très forte mobilisation citoyenne. Et celle contre le capitalisme financier, que nous appelons « Rendez-nous l’argent ». Nous avons les moyens de financer la transition écologique, à condition que les multinationales plient. Nous allons donc cibler prioritairement la première multinationale en matière de capitalisation boursière, Apple, qui est aussi une championne de l’évasion fiscale.

Propos recueillis par Hervé Kempf et Lorène Lavocat

* Aurélie Trouvé est économiste et porte-parole d’Attac France.


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