Coca-Cola gagne 10 milliards par an avec la stévia volée aux Indiens Guarani

vendredi 11 août 2017.
 

Coca-Cola doit partager les bénéfices qu’il tire de la plante avec les Indiens qui en ont découvert les vertus, exige une campagne en ligne qui a recueilli 280 000 signatures.

Les Guarani l’avaient baptisée ka’a he’e. En traversant les ans et les frontières, elle est devenue Stevia rebaudiana. Stévia, pour les intimes, et ils commencent à être légion. Ce nom a percé voilà quelques années sur les étiquettes d’une pelletée de produits de grande consommation qui l’affichent en gage de leurs bonnes intentions alimentaires.

Plante dont les origines plongent dans l’humus des terres sud-américaines, la stévia est reconnue pour ses vertus sucrantes. Sans calories, elle est devenue, en quelques années, la coqueluche des marques réputées pour nous en faire trop avaler, substitut marketing idéal au saccharose ou aux édulcorants de synthèse.

Depuis quelques mois, cependant, la stévia est au cœur d’une mobilisation intensive. Plusieurs grandes organisations internationales exigent, en vertu des principes défendus par les Nations unies, que les industriels qui en exploitent les qualités en partagent aussi les bénéfices avec les peuples qui les ont mises au jour.

En novembre, ce collectif d’ONG, d’universitaires et d’associations, épaulé par le réseau d’activistes numériques SomOfUs, lançait une pétition en ligne ciblant spécifiquement Coca-Cola. Deux cent quatre-vingt mille signatures ont été recueillies depuis, et pas en vain. La semaine dernière, la multinationale a accepté de rencontrer les plaignants. «  C’est en soit positif  », relève Marion Weber, chargée du programme Droit des peuples de la Fondation France Libertés, partie prenante de la bataille. «  Coca-Cola s’est engagé à discuter de la possibilité de partager les avantages tirés de la stévia avec les Indiens guarani.  » Car ce sont eux qui sont à la source de cet engouement mondialisé pour la plante. À leur corps défendant, faut-il bien préciser.

Un pouvoir sucrant 300 fois plus élevé que le saccharose

On peut retrouver leur histoire et celle de ka’a he’e dans un rapport nourri (1), publié cet automne par le collectif qui défend leur cause. Pendant des millénaires, les Guarani-Kaiowas, au Brésil, et les Pai Tavyteras, au Paraguay, ont usé de la plante en toute confidentialité pour sucrer leurs tisanes ou lors de rituels. Jusqu’en 1918.

Dans le récit d’une expédition entreprise trois décennies plus tôt, Moisés Santiago Bertoni, un botaniste suisse, en rapporte alors les vertus au monde occidental. L’homme prend le soin de rendre à César ce qui appartient à César. «  J’ai recueilli des témoignages à propos de cette plante auprès d’herboristes et des Indiens du Mondaih, écrit-il. Ces derniers connaissaient la plante par sa présence dans les prairies voisines du Mbaevera et du Ka’a Guasu (au Paraguay – NDLR).  »

Mais, longtemps passera avant que l’Occident n’en ait cure. C’est le développement du diabète et de l’obésité, couplé à la mise en cause de plusieurs édulcorants de synthèse suspectés d’être cancérigènes, qui le conduira à s’y intéresser. Dans ce contexte, la stévia apparaît comme une aubaine. Les glycosides de stéviol, molécules que l’on en tire, ont un pouvoir sucrant 300 fois plus élevé que le saccharose (sucre classique). À l’inverse, ils sont absolument acaloriques.

Dès 1970, l’industrie japonaise saute sur l’occasion. En deux expéditions, elle prélève près de 500 000 plantes sauvages dans les régions d’origine. L’enthousiasme ira crescendo. En 2009, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) jugeait que les glycosides de stéviol pourraient bientôt remplacer 20 à 30 % de tous les édulcorants, sucre de canne compris. Les majors de l’agrobusiness n’ont pas raté la manne. En 2015, on estimait que les boissons édulcorées à la stévia représentaient un marché de 8 à 11 milliards de dollars. Celui des glycosides de stéviol eux-mêmes visait alors les 275 millions de dollars pour 2017. Cargill, un géant de l’agroalimentaire mondial, en est aujourd’hui l’un des principaux producteurs. Coca-Cola et PepsiCo comptent parmi ses principaux clients.

L’un comme l’autre ont commercialisé des sodas sucrés à la stévia à grand renfort de publicités promptes à assainir leur image. Ou pas. Lors de la Coupe du monde de foot de 2014, au Brésil, Coca-Cola exposera ainsi, sous son logo, un Indien guarani rigolard présenté dans le pur style Banania de l’époque coloniale.

Les Guarani, eux, n’ont pas vu la couleur de l’argent. Désormais cultivée (essentiellement en Chine), ka’a he’e a, pour ainsi dire, disparu de leur quotidien. On ne la trouve plus à l’état sauvage que par touches résiduelles. Un cas d’école de biopiraterie, dénoncent les organisations de défense des droits humains, qui exigent aujourd’hui de Coca-Cola qu’il engage des négociations avec les populations concernées. «  D’une façon ou d’une autre, le groupe va devoir envisager un partage de ses bénéfices  », reprend Marion Weber. Adopté en 2010 dans le cadre de la Convention des Nations unie sur la biodiversité, un accord international – le protocole de Nagoya – indique clairement que les détenteurs de savoirs traditionnels doivent bénéficier des avantages tirés de leur commercialisation. «  Or, le Brésil compte parmi les pays qui ont ratifié ce protocole et l’ont retranscrit dans leur loi  », poursuit la responsable de la Fondation France Libertés. Les Guarani du Paraguay et du Brésil, de leur côté, s’organisent pour établir leurs revendications. Leurs discussions pourraient, d’ici peu, déboucher sur l’élaboration d’un protocole communautaire.

(1) «  Stévia, une douceur au goût amer.  »

Marie-Noëlle Bertrand Chef de rubrique Planète


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