Le pénis et la confiance, cercle vicieux ou vertueux ?

dimanche 25 juin 2017.
 

Je me porte, je me supporte, je me censure.

Quelle partie du corps des hommes est plus fragile que la zone génitale ? Des incessantes crises de la masculinité aux paniques identitaires à répétition, clairement : la confiance.

D’ailleurs sans confiance, les parties génitales sont les premières à chavirer. Les sexologues le disent et le répètent : rien de tel qu’un surinvestissement du pénis (une première nuit, une angoisse de performance) pour enclencher le cycle infernal des débandades.

« J’ai été nul, je dois me rattraper, sauf qu’avec deux fois plus de pression, j’ai deux fois plus de risque de perdre mes moyens, et j’en ai conscience, donc je commence à cogiter, l’existence précède-t-elle l’essence, ai-je racheté des aubergines, pourquoi ne suis-je pas moi-même une aubergine ? »

En 2017, les ennemis de la confiance masculine sont nombreux. Et comme toujours, nous sommes nos adversaires les plus coriaces. Sans même parler des idées fausses liées à la sexualité, sans même parler du perfectionnisme qui diminue le fonctionnement sexuel, nous nous acharnons à propager de fausses normes. Prenons le couple stable. Celui qui s’accorde deux rapports par semaine de quinze minutes avec une pénétration opérée par un pénis raisonnable de quinze cm.

Intériorisation de normes absurdes

Si cette description de la banalité vous semble juste, vous vous infligez une pression superflue. Selon le statisticien Seth Stephens-Davidowitz [1], qui s’appuie sur les ventes de préservatifs et non sur nos vantardises (il vient de publier Everybody Lies, HarperCollins, 2017), les hommes rapportent trois fois plus de rapports sexuels qu’ils n’en ont, et les femmes, un peu moins menteuses, deux fois plus.

Ce qui nous ramène à moins d’un rapport par semaine – une fréquence qui, selon la revue Social Psychological and Personality Science, est parfaitement suffisante pour assurer notre bonheur http://time.com/4116508/for-a-happi...]]. Le temps médian d’une pénétration est de 5 minutes et 24 secondes (Journal of Sexual Medicine, 2015). Quant au pénis moyen, il mesure 13 centimètres en érection (King’s College de Londres).

Au-delà de nos propres attentes, encore faut-il ajouter celles de la culture. Nous avons plus facilement accès, visuellement, aux corps médiatiques qu’aux corps réels. D’où une fâcheuse tendance à comparer sa masculinité à celle d’hommes dont le travail consiste à l’incarner : acteurs hollywoodiens aux torses musclés, acteurs pornographiques aux pénis surdimensionnés.

Autant de spécialistes qui bénéficient souvent d’effets spéciaux, parmi lesquels on rangera non seulement les cadrages et les lumières avantageuses, mais aussi les phénomènes de dopage aux stéroïdes et au Viagra. Pour le dire clairement : les performances de ces professionnels sont hors de portée de l’homme moyen potelé, ce qui n’empêche pas l’intériorisation de normes absurdes.

Rompre le silence

Ainsi, selon une étude de l’Université Chapman (Californie) en 2016 [2], les hommes rattrapent le niveau d’insécurité des femmes : 15 % sont extrêmement insatisfaits de leur poids (et 20 % des femmes), 6 % détestent leur apparence (et 9 % d’entre elles).

Là où ça devient compliqué, c’est que les mâles velus se trouvent face à un double discours inconciliable : il faut séduire, donc avoir conscience de son apparence (jusqu’au bout du pénis), mais un « vrai » bonhomme laisse ces basses considérations aux femmes... donc devrait être invisible à lui-même. Résultat : quand les hommes ont des problèmes de confiance, ils ne peuvent pas toujours s’épancher, surtout auprès d’autres hommes. Et parce qu’ils n’en parlent pas, la boucle du silence se resserre.

Malgré l’émergence du métrosexuel sensible, décomplexé dans sa vulnérabilité, la majorité des hommes doutant de leurs performances sexuelles (petit pénis, éjaculation rapide, aubergine tordue) se retrouvent avec une unique interlocutrice : leur compagne. Du moins quand l’intimité du couple autorise ce genre de confidences.

Ce besoin d’être rassuré prend la forme innocente de conversations sur l’oreiller : « C’était bien ? Tu as joui ? » Les femmes ont d’ailleurs intégré leur rôle de supportrices morales indéfectibles (« Tu as assuré dans la gloire phallique éternelle, Jean-Patrick, tel un étalon de Gengis Khan »). La simulation peut d’ailleurs être considérée comme une forme indirecte de soutien moral.

Quand tout repose sur la pénétration

Une fois encore, la pornographie de masse joue un rôle prescripteur. Les femmes y expriment leur validation de manière beaucoup plus explicite que dans le monde réel (nous en avions déjà parlé [3]) : elles y célèbrent l’endurance du pénis, jouissent constamment, en redemandent... Surtout, elles remettent indéfiniment en scène et en mots leur plaisir. Un travail de constante paraphrase, compliqué à reproduire dans la vie conjugale, à moins de pouvoir se concentrer à la fois sur ses sensations et sur le bien-être émotionnel de Jean-Patrick.

Conséquence logique : selon une toute récente étude de l’université du Michigan [4], les hommes ont tendance à utiliser l’orgasme féminin comme un étalon à la fois de leur confiance sexuelle (ça peut se comprendre), mais aussi de leur masculinité en général. C’est sur ce second point que ça coince : faire reposer son identité sur le plaisir d’une autre personne reste une entreprise hautement risquée.

Ajoutons à cette équation une contrainte supplémentaire : dans le contexte d’une sexualité génitale classique, tout repose sur la pénétration, donc sur le pénis. Si « ça » ne marche pas, c’est la faute du pénis, qui se retrouve sous le feu des projecteurs – et qui a tendance à ne pas apprécier ce surcroît d’attention.

Le moment est idéal pour réactiver la métaphore de l’œuf et de la poule : la performance sexuelle est nécessaire à l’estime de soi, mais en retour, l’estime de soi est nécessaire pour atteindre la performance sexuelle.

Elargissez votre répertoire de pratiques

Dans ces conditions, par où commencer ? Soyons pragmatiques, sortons le rasoir d’Ockham, et guérissons ce qui regarde une seule personne plutôt que l’alchimie entre deux. Paradoxalement, c’est en déconnectant l’estime de soi du pénis qu’on arrivera le plus facilement à rétablir les performances péniennes – en impliquant le corps masculin entier dans l’acte sexuel. Sans vouloir faire de mauvais jeu de mot, plus vous élargissez votre répertoire de pratiques, moins vous avez besoin d’élargir le pénis.

Le lâcher-prise peut aussi venir à la rescousse. Comme l’écrit la psychiatre Annie Boyer-Labrouche dans son ouvrage De la séduction à la perversion (Doin, 2013), « il est absolument nécessaire que le sujet (...) observe de lui-même qu’après une baisse d’énergie il y a toujours une remontée. Nous sommes là au cœur du travail. Lorsque la personne a accepté ces phénomènes, qu’elle n’en a plus peur et qu’elle peut se laisser aller, elle est libérée. »

Si la littérature médicale a rabâché la formule latine tota mulier in utero (toute la femme est dans son utérus), évitons de réduire à leur tour les hommes à leur pénis : totus vir in mentula*. La confiance est une qualité trop cruciale pour être confiée à votre partie la plus sensible.

Maïa Mazaurette

* Ici, la sexperte prie les dieux du latinisme qu’ils ne l’aient point abandonnée depuis ses années lycée.

Notes

[1] http://freakonomics.com/podcast/big...

[2] http://www.sciencedirect.com/scienc...

[3] http://abonnes.lemonde.fr/m-perso/a...

[4] http://www.tandfonline.com/doi/abs/...


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