Après le 1er tour : on lâche rien !

mardi 9 mai 2017.
 

Le monde du travail, qui s’est rassemblé dans les rues ce 1er mai, n’était pas à la fête. Il sort meurtri du quinquennat écoulé. Sous le règne du « débonnaire » Hollande et de son associé Macron, les travailleurs ont en effet subi une offensive sans précédent, menée avec détermination et brutalité, en trois temps.

Hollande, pour mémoire

Première étape : la loi dite « de sécurisation de l’emploi » (2013), issue de l’ANI (Accord national interprofessionnel). Elle a notamment permis au patronat de conclure des accords d’entreprise prévoyant, en échange d’une garantie temporaire de maintien de l’emploi, une augmentation du temps de travail, une réorganisation des tâches et une baisse des salaires. Il devenait ainsi possible de modifier substantiellement le contrat de travail sans l’accord du salarié.

Deuxième étape : la loi Macron (2015), qui – entre autres méfaits – prévoyait le plafonnement des indemnités de licenciement, entamait sérieusement le principe du repos dominical, fragilisait les prudhommes et l’inspection du travail.

Dernière étape : la loi « Travail », ou loi El Khomri (2016). On n’en finirait pas d’énumérer les reculs introduits par cette loi, sur la durée du travail (possibilité de travailler 12 heures par jour ; ou 60 heures dans la semaine ; généralisation du forfait jour), les rémunérations (baisse de la majoration des heures supplémentaires) ou les licenciements (licenciements économiques facilités ; indemnités plafonnées). Mais l’essentiel est sans doute ailleurs : la loi « Travail » liquide le principe de faveur (instauré sous le Front populaire) et renverse la hiérarchie des normes, en permettant que, sur des sujets essentiels, le cadre normatif protecteur établi au niveau national (les « dispositions supplétives ») soit renégocié à la baisse au sein de la branche, ou un niveau de l’entreprise.

On sait que le gouvernement Valls a dû passer en force pour imposer cette dernière réforme, dont le monde du travail ne voulait pas. Et l’on pouvait espérer que cette brutalité, qui avait jeté dans les rues des millions de travailleurs, serait la dernière. Mais, après l’élimination de la France insoumise, les perspectives se sont assombries. Car le duo Le Pen/ Macron n’a rien de bon à offrir aux travailleurs.

Marine Le Pen : séduire les travailleurs

Marine Le Pen a eu beau toiletter son programme, mettre en scène un prétendu « virage social » et multiplier les déclarations d’amour aux travailleurs, sa conversion reste pour le moins suspecte. Elle prétend aujourd’hui abolir la loi « Travail » ? Elle oublie, sans doute, qu’elle n’a rien fait pour empêcher son adoption, et que les députés FN ont même concocté des amendements qui devaient renforcer la teneur néolibérale de la loi.

Elle dénonce la directive sur les travailleurs détachés ? Mais elle ne s’y est pas opposée au Parlement européen.

Elle propose le maintien des 35 heures ? Oui, mais tout en ajoutant qu’elle autorisera « la négociation sur l’allongement du temps de travail (…) au niveau des branches professionnelles », pour atteindre, par exemple, « 37 heures payées 37 » ou « 39 heures payées 39 » (sans majoration, donc).

Elle prétend soutenir les salaires ? Mais elle promet, dans le même temps, d’alléger les « charges sociales » qui pèsent sur les entreprises.

Et sous les vagues promesses de campagne, le vieux fond anti-social demeure. Les ennemis du FN restent les mêmes : les syndicats de lutte, qui doivent être brisés (remise en cause des seuils sociaux ; fin du « monopole de représentativité » des grands syndicats) ; les fonctionnaires, qu’il faut mettre au pas ; les chômeurs, ces fainéants, dont les efforts et la bonne volonté seront « plus sérieusement vérifiés ».

Bref, le tournant « social » du FN est un trompe-l’œil, et un attrape-nigauds. Bernard Monot, inspirateur du programme économique du parti, ne s’en cache d’ailleurs pas : « Nous sommes des capitalistes d’abord. (…) À l’intérieur de l’Hexagone, nous sommes libéraux, c’est-à-dire en faveur du profit ». On ne saurait mieux dire. Les promesses sociales de l’extrême droite n’engagent que ceux qui les croient.

Macron : finir le travail

Emmanuel Macron, lui, compte bien finir le travail entamé sous François Hollande. Il a déjà annoncé que sa première mesure consisterait à réformer par ordonnances (donc sans concertation) le droit du travail. Il prolongera et approfondira la loi El Khomri, en allant vers toujours « plus de flexibilité » et de « souplesse ». Traduction : les normes nationales seront encore abaissées, et la détermination des conditions réelles du travail sera renvoyée à des négociations de branche ou d’entreprises, où les collectifs syndicaux auront été affaiblis et marginalisés (grâce à la possibilité offerte à l’employeur de convoquer un référendum d’entreprise en cas d’échec des négociations). Macron peut ainsi maintenir formellement les 35 heures au niveau national, tout en ouvrant « à l’accord de branche, l’accord d’entreprise la possibilité de négocier d’autres équilibres ».

Le candidat d’En Marche entend aussi procéder à une réforme de l’assurance chômage. En renforçant le contrôle des chômeurs qui, à la deuxième offre d’emploi refusée, « perdr[ont] tout chômage ». Et en remplaçant les 2,4 points de cotisations sociales salariées par de la CSG. Si la nocivité de la première mesure (qui stigmatise les chômeurs, mais ne règle aucunement le problème structurel du chômage, lié à un problème d’offre et non de motivation) est évidente, la seconde mesure n’est pas moins pernicieuse.

Comme le notent les Economistes atterrés, transférer les ressources de l’assurance chômage de la cotisation salariés vers l’impôt risque, à terme, d’ôter aux salariés « tout pouvoir de décision en matière de couverture chômage ». L’allocation-chômage, gérée par l’Etat, sans interférence fâcheuse des syndicats, deviendrait alors « une prestation universelle dont le niveau serait très bas ». En outre, le candidat Macron a établi le chiffrage de son programme en tablant sur une diminution du chômage et une baisse corrélative de 10 milliards des prestations chômage. Si, comme c’est probable, ses vieilles recettes néolibérales n’entraînent pas de redémarrage de l’emploi, il lui faudra donc gérer plusieurs milliards de déficit de l’assurance chômage.

En réduisant le montant, ou la durée, des prestations.

Durs avec les salariés et les chômeurs, Macron sera, en revanche, cajolant avec les patrons. Convaincu que « le cœur de la bataille, c’est l’investissement privé », il reste fidèle à la « politique de l’offre » de F. Hollande et promet « une baisse des charges » patronales. Au menu : une baisse du taux d’IS de près de 10 points ; une exonération de cotisations sociales employeurs pour les heures supplémentaires ; une baisse de 4 points des cotisations au niveau du SMIC… Soit un triple message aux patrons : enrichissez-vous ; préférez les heures supplémentaires aux créations d’emplois ; et s’il faut embaucher, embauchez au salaire minimum.

Pour de nouvelles conquêtes sociales

Entre le néolibéral fringant et l’opportuniste du FN, entre le clone de Tony Blair et la fille de son père, les travailleurs se retrouvent coincés. Macron et Le Pen n’ont rien à leur apporter, sinon des boucs-émissaires commodes (les insiders trop protégés pour l’un ; les étrangers voraces pour l’autre) et une nouvelle fournée de contre-réformes.

Raison de plus pour regarder au-delà du second tour. Il faudra, comme toujours, se rassembler, s’organiser, s’opposer aux mesures qui nous sont promises. Mais résister pied à pied ne suffira pas. Se contenter de défendre les acquis sociaux quand ils sont attaqués est une position faible – les grandes mobilisations sociales de ces dernières années l’ont, hélas, bien montré. Au projet régressif des néolibéraux, au programme restaurationniste de l’extrême-droite, il faut maintenant opposer un projet positif, offensif, de nouvelles conquêtes sociales.

Au cours de la campagne présidentielle, la France insoumise a commencé à définir les contours d’un tel projet. Dans son programme L’Avenir en commun et dans les livrets qui l’accompagnent, elle propose plusieurs chantiers.

Consolider le droit du travail, en abrogeant la loi El Khomri et en rétablissant la hiérarchie des normes sociales. Refaire du CDI la norme, et limiter le nombre de contrats précaires autorisés. Lutter pour l’emploi, en effectuant une relance ambitieuse, en interdisant les licenciements boursiers, et faisant de l’État l’employeur en dernier ressort. Poursuivre le mouvement historique de réduction du temps de travail, en imposant l’application réelle des 35 heures, en entamant la marche vers les 32 heures, et en instaurant une sixième semaine de congés payés. Étendre la démocratie dans l’entreprise, en donnant de nouveaux pouvoirs aux CE et aux représentants de salarié·e·s.

Ces propositions existent. À nous de les faire vivre.

Antoine Prat


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