Agriculture : Stopper l’accaparement des terres

vendredi 7 avril 2017.
 

La terre est à la base de notre alimentation, et constitue ainsi une richesse majeure pour l’Humanité. Dans les pays du Sud, l’utilisation agricole des terres est souvent la frontière ténue qui sépare des millions de familles de la pauvreté : l’agriculture familiale concerne 2,6 milliards de personnes dans le monde. Cette richesse est aujourd’hui prise d’assaut par la convoitise des investisseurs, publics ou privés, souvent étrangers, avides de l’exploiter pour en retirer un maximum de profit, le plus rapidement possible. Ces investisseurs achètent ou louent d’importantes surfaces de terres fertiles pour en exporter la production : c’est « l’accaparement des terres ».

Une telle prédation s’effectue au détriment des agricultures vivrières et implique des processus d’expropriation des paysan.ne.s. Deux tiers des investissements fonciers étrangers sont en effet réalisés dans les pays pauvres. La tendance d’accaparement des terres est encore aujourd’hui à la hausse, principalement en Afrique, en Amérique Latine, en Asie, en Océanie et en Europe de l’Est. Les ONG recensent que l’accaparement des terres concerne 80 à 227 millions d’hectares, loués ou vendus, depuis 2001. Aujourd’hui encore, 30% des terres agricoles disponibles dans le monde font l’objet de négociations. Ces processus apparaissent de plus en plus comme des stratégies d’entreprise visant également à piller d’autres ressources naturelles telles que l’eau.

Ces investisseurs sont de nature diverse, mais le poids des financiers est important : par exemple, les fonds de pension ont déjà investi entre 15 et 20 milliards de dollars dans l’agriculture. L’accaparement des terres profite également de la complicité de certains gouvernements qui concluent des partenariats public-privé pour faciliter les investissements privés dans l’agriculture. Des institutions publiques telles que la Banque Mondiale (organe de l’ONU) et les Institutions de financement du développement (IFD), financent ces projets, sous couvert de « développer l’agriculture ». Il est clair que de tels projets agro-industriels et exportateurs profitent des accords de libre-échange, soutenus par l’OMC.

En effet, les conséquences de l’accaparement des terres agricoles sont nombreuses : le développement de l’agro-industrie, exploitant des structures toujours plus gigantesques, saccage l’environnement, participe de la déforestation, et condamne au chômage, à la pauvreté parfois à l’exode les millions de paysan.ne.s exproprié.e.s. De plus, l’usage agricole de ces surfaces est détourné vers la production d’agrocarburants ou d’aliments OGM pour le bétail européen, au détriment des cultures alimentaires : 60% des terres vendues à grande échelle au cours des 10 dernières années sont destinées à produire des agrocarburants, alors qu’elles pourraient permettre de nourrir 1 milliards d’êtres humains. Comment s’étonner ensuite que la faim dans le monde ne régresse pas ? Les paysan.ne.s expropriés sont poussés vers les bidonvilles et condamnés à vivre dans la pauvreté.

Les exemples concrets d’accaparement des terres agricoles et de ses conséquences ne manquent pas. Le plus parlant est le cas du Brésil. L’agriculture brésilienne est aujourd’hui très productive, et serait en capacité de nourrir environ deux fois la population actuelle du pays. Or, cette production agricole est aujourd’hui détournée pour fabriquer des agrocarburants ou nourrir le bétail européen, si bien que 12 millions de brésiliens souffrent de la faim, soit 6% de la population totale du Brésil.

La France elle-même n’est pas à l’abri de la prédation des investisseurs étrangers. En 2016, une société chinoise a acquis, dans la discrétion la plus totale, 1 700 hectares de terres agricoles dans le département de l’Indre. Ces investisseurs profitaient en effet d’une faille dans le droit français : l’achat de moins de 100% des parts d’une société exemptait alors du droit de regard des SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural). De plus, le rachat de ces terres s’est effectué à un prix bien supérieur à celui du marché : 15 000 € l’hectare contre environ 4000 € en temps normal. Une telle spéculation sur les prix des terres exclut de fait tout jeune agriculteur qui souhaiterait s’installer. Ce « cas d’école » a poussé l’Assemblée Nationale à voter une loi, cette année, visant à assurer une meilleure transparence dans les cessions et les achats de parts de sociétés détenant du foncier agricole. Les acheteurs devraient être obligés de déclarer leur acquisition même s’ils prennent moins de 100% des parts. De plus, le texte adopté semble renforcer les pouvoirs des SAFER pour maîtriser la spéculation et éviter la financiarisation des terres agricoles par des sociétés d’investissement.

Il est urgent de mener une lutte efficace contre l’accaparement des terres, en France et dans le monde : le programme de Jean-Luc Mélenchon dispose de mesures concrètes. En France, les SAFER doivent être réellement refondées et leurs missions élargies pour créer des Etablissements Publics Foncier Ruraux (EPFR). Ces EPFR seront en charge de la gestion du foncier agricole et appliqueront un droit de préemption renforcé pour toute transaction de terres agricoles. Ils pourront ainsi stopper la spéculation sur les terres en révisant leur prix de vente, encadrer les fermages et prioriser les projets d’agriculture paysanne et écologique. Une surface maximale d’exploitation par actif (agriculteur ou salarié agricole) sera également appliquée lors d’un projet d’installation, d’agrandissement par location, d’achat de terres ou de transferts des parts d’une société. L’idée est de favoriser le partage des terres agricoles, au service de l’installation des 300 000 nouveaux agriculteurs dont nous aurons besoin pour mener la transition écologique de l’agriculture, mais aussi de la consolidation des plus petites fermes. D’une part, nous permettrons la déconcentration de la production agricole, et d’autre part, nous empêcherons l’accaparement des terres à grande échelle, comme ce fut le cas dans l’Indre.

Au niveau international, lutter contre l’accaparement des terres est la condition pour assurer la sécurité alimentaire de chaque pays et région du monde. Nous interdirons aux entreprises opérant en territoire français d’être liées à des processus d’accaparement de terres agricoles. Dans le cadre de l’ONU, nous proposerons une réforme de la FAO (organisation pour l’agriculture et l’alimentation) afin de favoriser la souveraineté alimentaire, la régulation des marchés mondiaux et la conversion écologique de l’agriculture. Ainsi, les terres agricoles devront rester disponibles en priorité pour les agricultures paysannes et vivrières. Enfin, nous mettrons fin aux accords de libre-échange qui bénéficient à l’agro-industrie et à l’accaparement des terres dans les pays du Sud, et privilégierons des accords de coopération, en imposant notamment le commerce équitable pour nos importations.

Romain Dureau


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